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La tarification du carbone industriel est liée à des projets majeurs d’une valeur de plus de 57 milliards de dollars

Plus de 70 projets de décarbonisation majeurs pourraient bénéficier directement de la tarification du carbone industriel – et le démantèlement de cette dernière en menacerait certains.

La tarification du carbone industriel est LA politique climatique canadienne la plus importante. Cela est dû non seulement à son potentiel de réduction des émissions (plus grand que celui de toute autre politique), mais aussi à la manière dont elle encourage l’investissement dans les projets industriels propres.

La tarification du carbone industriel n’est pas seulement le bâton, c’est aussi la carotte

Il est bien connu que la tarification du carbone industriel sert de bâton en associant un coût à la pollution industrielle, mais elle peut aussi servir de carotte. Ce système, aussi appelé système d’échange pour les grands émetteurs, crée en effet des marchés de crédits qui récompensent les installations pour la réduction de leurs émissions. Les installations qui produisent beaucoup d’émissions achètent des crédits sur ces marchés pour compenser cet excès, tandis que celles qui les réduisent peuvent générer des crédits correspondant à leur bonne performance et les vendre. Les systèmes d’échange pour les grands émetteurs peuvent donc tabler sur la perspective d’obtenir des crédits pour attirer des investissements au Canada.

Ces crédits sont très utiles aux installations pour récupérer une partie des coûts élevés des projets de réduction des émissions, particulièrement lorsque ces projets sont peu rentables en eux-mêmes. Par exemple, les projets de captation du carbone coûtent cher à mettre en place et exigent des ressources considérables, mais le gaz qu’ils captent a peu de valeur commerciale si le carbone n’est pas tarifé. En offrant des crédits pour les réductions des émissions, les systèmes d’échange pour les grands émetteurs donnent aux projets de CUSC des sources de revenus qui les rendent rentables.

Cette approche réduit aussi le besoin de subventions. Les autres politiques climatiques n’offrent pas les mêmes options de rentabilité pour la réduction des émissions. Le crédit d’impôt à l’investissement fédéral pour la captation du carbone, par exemple, compense jusqu’à la moitié des coûts en capital d’un projet, mais n’en allège en rien les coûts d’exploitation élevés. Les crédits obtenus dans les marchés pour les grands émetteurs aideraient à couvrir ces coûts, sans alourdir le fardeau pour les contribuables.

Les entreprises investissent des milliards de dollars en misant sur la tarification du carbone

Au Canada, les investissements sobres en carbone tablant sur la tarification du carbone se chiffrent déjà en milliards de dollars. Selon l’Institut climatique, cela comprend plus de 70 projets des secteurs industriels et des ressources naturelles, pour une valeur totale de plus de 57 milliards. Ces projets de réduction des émissions pourraient générer des crédits qui seraient ensuite vendus sur les marchés pour les grands émetteurs.

Ces investissements comprennent des installations de captation du carbone pour l’industrie lourde et le secteur pétrogazier, des projets de décarbonisation pour des aciéries et des usines de pâte à papier et des projets d’énergie renouvelable en Alberta (la seule province où ils peuvent obtenir des crédits à la performance et compensatoires revendables).

Les systèmes d’échange pour les grands émetteurs peuvent également profiter aux installations existantes. Les entreprises qui ont déjà réalisé des projets de réduction des émissions, comme l’installation Quest de captage et de stockage du carbone, obtiennent des crédits couvrant une partie des investissements déjà réalisés.

Le démantèlement de la tarification du carbone industriel pose des risques importants

Comme 440 mégatonnes l’a déjà démontré, des milliards de dollars d’actifs seraient menacés si les systèmes de tarification du carbone industriel étaient éliminés. Si le risque direct le plus important concerne les crédits que les entreprises possèdent déjà (d’une valeur de 5 milliards de dollars seulement en Alberta), les investisseurs ont aussi pris plusieurs autres décisions en se basant sur la tarification du carbone et pourraient changer d’avis si ces mesures disparaissent.

Une chose est claire : les investisseurs ont avancé plusieurs milliards de dollars pour la réduction des émissions au Canada et les politiques en place ont aidé à réaliser ces investissements. La tarification du carbone industriel a encouragé l’investissement de capital dans une économie canadienne plus propre et plus compétitive, mais elle doit rester en place.


Ross Linden-Fraser est chargé de projet à l’Institut climatique du Canada.

Faire une croix sur la tarification du carbone industriel, c’est faire une croix sur des milliards de dollars

Le démantèlement des systèmes d’échange pour les grands émetteurs ferait disparaître des milliards en investissements.

Les systèmes d’échange pour les grands émetteurs qui assurent la tarification du carbone industriel ont contribué à attirer des investissements massifs au Canada. Par conséquent, leur élimination amènerait une perte de valeur qui pourrait coûter très cher aux entreprises ayant déjà pris la décision d’investir. En effet, celles-ci comptent sur l’existence des systèmes d’échange et sur les crédits revendables que les projets sobres en carbone peuvent générer.

Or, la valeur totale des actifs qui seraient en péril – crédits, projets physiques et responsabilité civile compris – est loin d’être négligeable.

L’élimination de la tarification du carbone éroderait la valeur de milliards de dollars en crédits

Non seulement les systèmes d’échange créent un incitatif à l’investissement pour les projets sobres en carbone grâce aux précieux crédits, mais ils créent un marché où ces crédits peuvent être vendus au comptant. Si on élimine ces marchés, on déprécie les crédits, qui constituent d’importants actifs au bilan des émetteurs industriels.

L’Alberta a été la pionnière de l’approche nationale adoptée par la plupart des provinces et territoires. Depuis 2007, elle raffine son système au fil de ses objectifs en matière de compétitivité et d’émissions. Son système TIER (Technology Innovation and Emissions Reduction) est le plus grand système de tarification industrielle au Canada.

En Alberta, où l’on a les données réelles, le secteur privé détient près de 5 milliards de dollars en crédits carbone, et jusqu’à nouvel ordre, on comptait sur ces crédits pour générer un rendement lorsque le prix du carbone augmenterait.

L’élimination de la tarification mettrait à mal les projets physiques

Petit à petit, les systèmes d’échange du fédéral, des provinces et des territoires ont généré des investissements considérables. Les modèles issus des recherches de l’Institut au sujet des politiques climatiques du Canada indiquent que les nouveaux investissements dans l’énergie propre liés aux systèmes d’échange pour les grands émetteurs totalisent environ 4,3 milliards de dollars annuellement à l’échelle nationale. L’élimination de ces programmes va bien au-delà de la simple réorientation politique : elle signerait la disparition d’une valeur d’investissement équivalant à des milliards de dollars. En effet, des entreprises dont les projets étaient financés sur la base d’une éventuelle hausse du prix du carbone accuseraient maintenant des pertes au bilan qui viendraient affaiblir leur position financière. En Alberta, par exemple, Emissions Reduction Alberta rapporte qu’en réponse au programme de tarification provincial, le privé a investi plus de 7 milliards de dollars – tandis que la province en a investi 1 milliard – dans 296 projets de réduction du carbone. Pas plus tard que le mois dernier, le fonds a annoncé 55 millions de dollars supplémentaires en nouveaux investissements.

L’élimination des systèmes d’échange met en péril le capital investi dans des projets de réduction des émissions qui comptaient sur la possibilité de générer des crédits revendables – voire l’existence même de ces projets. On peut penser notamment à l’usine pétrochimique carboneutre prévue en périphérie d’Edmonton (9 milliards de dollars), à la modernisation projetée de deux aciéries à Algoma et à Hamilton, en Ontario (2,7 milliards), ainsi qu’à l’usine de ciment sobre en carbone attendue en Alberta (1,4 milliard).

Les retombées vont bien au-delà des poches des investisseurs : chaque projet génère des milliers d’emplois un peu partout au pays.

L’élimination de la tarification pourrait mettre les contribuables dans l’embarras

Dans certains cas, les contribuables pourraient avoir à éponger les pertes liées à la disparition de la tarification du carbone industriel. Par exemple, le Fonds de croissance du Canada a besoin des crédits carbone pour rembourser le milliard en fonds publics investi dans un projet de captation du carbone issu de l’exploitation des sables bitumineux. Sans ces crédits, il n’y aurait aucun mécanisme pour aider les contribuables à récupérer leur placement collectif. Par ailleurs, le gouvernement fédéral a signé des contrats, à hauteur de centaines de millions de dollars, garantissant la valeur des crédits carbone pour certains projets; sans ces crédits, ce sont les contribuables, ultimement, qui devront essuyer ces pertes financières.

Une décision critique

Si la tarification du carbone industriel fonctionne aussi bien et à si bas coût, c’est qu’elle s’arrime aux forces du marché. Mais dans le marché, les changements soudains détruisent la valeur. Non seulement cela, mais ils sèment l’incertitude et donnent l’image que les politiques sont instables. Or, en ces temps où l’économie canadienne est déjà sous pression, une décision critique comme celle-ci menace la prospérité actuelle et future.


Dave Sawyer est économiste principal à l’Institut climatique du Canada. Ross Linden-Fraser est chargé de recherche à l’Institut climatique du Canada. Dale Beugin est vice-président exécutif de l’Institut climatique du Canada.

Une nouvelle étude fait valoir la modernisation de la tarification du carbone industriel

Les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs sont de puissants outils pour réduire les émissions et attirer les investissements, mais ils ont besoin de mises à jour pour atteindre leur plein potentiel.

Les pays sont confrontés à des défis croissants pour faire avancer leurs objectifs climatiques avec la montée du protectionnisme, le changement des priorités politiques et le resserrement des pressions fiscales—encore compliqués par la perspective d’un retour des politiques de l’ère Trump aux États-Unis.Pour relever ces défis, le Canada doit se doter de politiques flexibles et adaptables, tout en restant fidèle à ses objectifs économiques et d’émissions à long terme.

En tête de lice, la tarification du carbone industriel – ou les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs – est le plus grand moteur de réduction des émissions au Canada, et sert de bouclier contre le protectionnisme vert.

Cependant, ces systèmes sont menacés par la saturation de crédits et les prix bas qui menacent leur efficacité. Si rien n’est fait, le Canada pourrait passer à côté d’une réduction de 48 mégatonnes d’émissions d’ici 2030, ce qui couperait de moitié l’efficacité de ces systèmes. C’est l’équivalent des émissions annuelles d’environ 15 millions de voitures. Ce risque est trop important pour être ignoré.

En plus de compromettre la capacité du Canada à atteindre ses objectifs climatiques, cette occasion ratée créerait une importante incertitude pour les industries ayant des plans d’investissement sobres en carbone à long terme. De plus, elle augmenterait le risque d’imposition de tarifs douaniers par d’autres pays, ce qui mettrait la politique climatique canadienne entre les mains de gouvernements étrangers et éroderait la compétitivité des industries canadiennes sur les marchés internationaux.

Les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs doivent absolument fonctionner comme prévu, car cela est essentiel pour maintenir leur rigueur, leur efficacité et leur capacité à adapter les industries canadiennes aux marchés avec contrainte carbone. Cette étude examine un grand défi des marchés pour les grands émetteurs du Canada, propose un nouveau modèle et met en lumière la nécessité pour les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de moderniser leurs systèmes d’échanges de façon proactive. 

Les systèmes d’échanges sont conçus pour limiter les coûts, mais ils surcompensent

Pour comprendre les défis actuels des marchés de crédits canadiens, examinons la genèse et la conception du système de l’Alberta, qui a servi de modèle pour nombre de cadres de tarification du carbone industriel au niveau fédéral et provincial.

Lancé à la fin des années 2000, le système de tarification du carbone de l’Alberta visait à répondre aux préoccupations de l’industrie quant aux coûts élevés et imprévisibles. Cette approche visait la limitation des coûts par la réduction de l’intensité des émissions plutôt que par la mise en œuvre de robustes mécanismes de système de plafonnement et d’échange pour les grands émetteurs, qui fixent une limite ferme d’émissions totales. Ce système d’échange fondé sur l’intensité a laissé les émissions augmenter parallèlement à la production tout en gardant faibles les coûts de conformité par l’imposition d’un tarif uniquement pour les émissions dépassant une norme de rendement (parfois appelée un seuil). Il a ensuite introduit une série de mécanismes pour contenir les coûts, en dessous d’un plafond de prix fixé.

En général, les faibles coûts de conformité des systèmes d’échanges sont un avantage, et non un inconvénient : ils minimisent le risque que les entreprises perdent  des parts de marché au profit des entreprises situées dans les lieux où les politiques climatiques sont moins strictes. S’ils sont bien conçus, ils peuvent inciter les entreprises à réduire leurs émissions en améliorant le rendement sans réduire la production. Ainsi les entreprises les plus performantes peuvent générer des crédits qu’elles peuvent vendre, alors que les entreprises moins performantes ont un incitatif pour améliorer leur gestion des émissions et ainsi éviter de payer pour leur volume excédentaire. En théorie, le prix des crédits sur ces marchés équivaut ou dépasse celui du carbone fixé par l’autorité de réglementation, car les crédits peuvent se substituer au paiement du prix carbone fixé.

Mais ce principe s’applique uniquement si la demande globale de crédits, c’est-à-dire celle de l’ensemble du marché, reste forte. De là l’importance de fixer des normes de rendement suffisamment ambitieuses : si les limites sont trop strictes (pour l’ensemble du marché), les coûts de conformité augmentent; si elles sont trop permissives, le marché devient saturé, les prix des crédits (actuels et prévus) s’effondrent, et on perd les incitatifs à l’investissement pour la réduction d’émissions par les entreprises, ce qui déprécie les portefeuilles de crédits. Cet équilibre délicat agit sur la valeur fondamentale des réductions d’émissions, ce qui a des répercussions directes sur les coûts et la compétitivité de l’industrie.

Les normes de rendement des systèmes d’échanges sont fixées par secteur ou par installation et guidées par les évaluations techniques et de compétitivité et les décisions des élus. Les gouvernements subissent souvent des pressions pour rendre ces normes plus permissives en raison de risques concurrentiels réels ou perçus.

Bien que le modèle albertain ait initialement trouvé un juste équilibre entre l’amélioration de la productivité carbone et la gestion des coûts, certains choix de conception n’ont pas suivi l’évolution des circonstances. Cela risque de créer une offre excédentaire de crédits et de faire baisser les prix, ce qui affaiblirait les signaux du marché qui sont essentiels pour encourager les réductions d’émissions.

On constate déjà que les crédits à la performance et les unités de compensation en Alberta valent environ 40 $ par tonne, bien en deçà du prix minimal du carbone du Canada de 80 $. Ce faible prix indique un surplus de crédits, diminue l’efficacité du système et crée un effet d’entraînement sur les attentes en matière de prix ailleurs, notamment en Ontario. C’est pourquoi l’accent mis à la limitation des coûts et non sur le fonctionnement du marché limite maintenant l’efficacité du système.

Le risque posé par les marchés de crédits saturés

Un marché de crédits saturé est fondamentalement déséquilibré, car la rareté n’est pas suffisante pour stimuler la demande ou maintenir la valeur des crédits. Dans les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs, ces déséquilibres sont souvent dus à une combinaison de choix de conception et d’interactions imprévues avec des politiques complémentaires et des technologies émergentes :

  • Les normes de rendement généreuses produisent peu de demande nette. Les autorités de réglementation conçoivent les marchés d’échanges pour qu’il y ait plus de demande que d’offre de crédits. Toutefois, afin de limiter les coûts, les normes de rendement sont souvent plus généreuses pour augmenter l’offre, réduisant ainsi la demande nette dans le système. En pratique, quelques installations reçoivent plus de crédits qu’elles n’en ont besoin, ce qui leur permet de les garder en réserve ou vendre les crédits excédentaires sans avoir à beaucoup modifier leurs pratiques. Bien que cette approche permette de réduire les coûts de conformité et de s’attaquer aux défis de compétitivité, elle mène à de minces marges de demande. Celles-ci n’offrent que peu de protection pour absorber les répercussions imprévues sur l’offre ou la demande qui peuvent saper l’efficacité du marché.
  • Les interactions entre politiques peuvent augmenter la saturation. Les interactions entre les politiques fédérales, provinciales et territoriales peuvent davantage déséquilibrer le marché des crédits. Le chevauchement des programmes peut par inadvertance amplifier l’offre et réduire la demande de crédits. Par exemple, les crédits d’impôt à l’investissement permettent aux entreprises de réduire facilement leurs émissions, ce qui veut dire que plus d’entreprises génèrent des crédits et que moins d’entre elles qui en ont besoin. Dans la même veine, les politiques fédérales conçues pour réduire les émissions dans un secteur, comme le Règlement sur l’électricité propre ou la proposition de plafond d’émissions pétrogazières, peuvent chevaucher les marchés d’échanges provinciaux, ce qui génère un surplus de crédits, fait baisser davantage les prix et diminue la capacité de réduction des émissions du marché. La solution à ces problèmes est de modifier les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs pour qu’ils prennent en compte ces interactions.
  • Certains coûts sont imprévisibles. Les coûts de la réduction des émissions ne sont pas fixes. Par exemple, les innovations sobres en carbone partout dans le monde ont entraîné une chute rapide des coûts de l’électricité renouvelable et des batteries. Cela a permis aux producteurs d’électricité de réduire leurs émissions à plus faible coût, et donc de générer plus facilement des crédits dans certains marchés, ce qui a fait davantage pencher la balance du côté de l’offre et non de la demande.
  • Les réductions d’émissions à grande échelle peuvent avoir d’importantes implications. Les technologies comme la captation, l’utilisation et le stockage du carbone (CUSC) jouent un rôle essentiel dans la réduction des émissions, mais aggravent aussi le déséquilibre du marché, simplement par leur ampleur. Les grands projets de CUSC génèrent un volume important de crédits qui peuvent submerger la demande. Cette dynamique fait diminuer encore plus les prix, particulièrement si le marché n’a qu’une mince demande nette.

En résumé, si l’intensité d’émissions des industries réglementées diminue plus rapidement (pour quelque raison que ce soit) que la norme de rendement moyenne, cela peut nuire à l’incitation de réduire davantage les émissions.

Les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs sont intentionnellement conçus pour équilibrer la limitation des coûts et la réduction des émissions, mais cette minimisation des coûts crée des défis structurels si le fonctionnement et la transparence des marchés laissent à désirer. Les normes de rendement généreuses, le chevauchement des politiques et les faibles marges entre l’offre et la demande sont tous des facteurs qui contribuent au déséquilibre des marchés.

Les marchés de crédits du Canada pourraient devenir saturés

Jusqu’à maintenant, la discussion est restée surtout théorique. De quoi a l’air la situation réelle des marchés d’échanges pour les grands émetteurs au Canada? Nous avons collaboré avec Navius Research pour modéliser le rendement des systèmes d’échanges jusqu’en 2030. Deux scénarios illustrent à quel point les systèmes sont vulnérables à une saturation de crédits, et donc à la perte de réductions des émissions et d’investissements potentiels.

Dans le scénario des politiques inscrites dans la loi, qui représente les mesures climatiques fédérales, provinciales et territoriales existantes, les marchés des systèmes d’échanges maintiennent à peine leur stabilité. Les normes de rendement généreuses et l’évolution rapide de la technologie limitent la demande nette. Dans ce scénario, la demande de crédits au pays dépasse l’offre d’environ 2 % en 2030. Cette marge étroite signifie que même une petite variation dans les crédits disponibles peut mener à une saturation du marché et à une dépréciation des prix des crédits à certains endroits. Par exemple, la modélisation montre que certains marchés pourraient devenir saturés, même avec les politiques actuelles, si des technologies comme la CUSC deviennent plus abordables que prévu.

Examinons maintenant un cas où de nouvelles politiques climatiques viennent chevaucher la tarification du carbone. Le scénario des politiques annoncées inclut les politiques fédérales proposées, telles qu’un plafond d’émissions pour le secteur pétrogazier et une réglementation sur le méthane plus stricte. Ces politiques interagissent avec la tarification du carbone de certains territoires, ce qui entraîne des réductions d’émissions qui génèrent des crédits. Comme les marchés des systèmes d’échanges ne sont pas conçus pour prendre en compte ces interactions, certains systèmes deviennent saturés, ce qui entraîne la chute des prix. Celle-ci est un argument contre les réductions supplémentaires et peut même miner le rendement des projets existants.

La figure 1 montre l’équilibre entre l’offre et la demande de crédits dans ces deux scénarios. La demande nette, c’est à dire à quel point la demande dépasse l’offre, est présentée comme une part des émissions couvertes dans chaque système.

Lorsque l’offre dépasse la demande, les prix chutent

La modélisation ci-dessus permet également d’examiner les prix prévus dans les marchés des systèmes d’échanges du Canada. La figure 2 montre le prix du carbone attendu dans ces marchés en 2030, dans le scénario des politiques annoncées. Le prix des crédits dans le système TIER de l’Alberta reste très bas à 46 $ par tonne, et les prix des systèmes de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique descendent à 139 $ et 164 $ par tonne. Ils sont tous sous le prix fédéral prévu de 170 $.

Dans le scénario des politiques annoncées, la saturation de crédits de trois systèmes d’échanges provinciaux fait chuter les prix sous le prix national du carbone. Soulignons que les installations industrielles de ces provinces – l’Alberta, la Saskatchewan et la Colombie-Britannique – produisent le tiers des émissions totales du Canada.

La saturation de ces systèmes est aggravée par les défis susmentionnés : les normes de rendement généreuses et l’évolution technologique inattendue combinées aux effets des interactions entre les politiques. Ces facteurs se présentent différemment dans chaque région.

En Alberta, la saturation est le résultat des interactions entre le système d’échanges et les politiques du secteur pétrogazier, combinées à la génération excessive de crédits dans le secteur de l’électricité.

D’abord, le système de l’Alberta génère déjà plus de crédits que la plupart des autres en raison d’une norme de rendement uniforme qui récompense avec des crédits les producteurs d’électricité renouvelable et sobre en carbone. Cette approche est exemplaire et récompense la production sobre en carbone, mais la norme de rendement semble être trop généreuse. Cette augmentation rapide et imprévue d’énergie renouvelable a entraîné la génération de beaucoup de crédits, ce qui a poussé le système de l’Alberta vers la saturation.

Ensuite, dans ce scénario, de nouvelles politiques du secteur pétrogazier, principalement le plafond fédéral d’émissions du secteur pétrogazier, ont produit des réductions d’émissions qui réduisent la demande pour des crédits. Le système d’échanges de l’Alberta devient plus strict au fil du temps, mais pas suffisamment pour prendre en compte ces crédits supplémentaires, ce qui crée une saturation.

En Colombie-Britannique et en Saskatchewan, le secteur pétrogazier produit la grande majorité des crédits excédentaires. Le système de tarification du carbone industriel de la Colombie-Britannique est particulièrement sensible aux normes de rendement pour le secteur du gaz naturel liquéfié (GNL), car les installations de GNL électriques pourraient inonder le marché si les normes de rendement sont trop généreuses. Le gouvernement provincial n’a pas encore finalisé ces normes de rendement.

D’autres dispositions pourraient exacerber la saturation. Par exemple, la Colombie-Britannique applique un plafond annuel décroissant à l’utilisation des crédits échangeables pour la conformité, ce qui peut mener à un surplus de crédits inutilisables qui peut faire baisser le prix des crédits. Ce plafond annuel n’a pas été modélisé, mais s’il l’avait été, il aurait encore fait baisser les prix des crédits. En Saskatchewan, les normes de rendement sont suffisamment généreuses pour que même de petites variations dans l’augmentation de la CUSC puissent créer une saturation du système, même dans le scénario des politiques inscrites dans la loi.

Des systèmes plus solides pourraient réduire davantage les émissions à un coût raisonnable

Notre modélisation montre que si les prix des crédits continuent sur leur trajectoire actuelle, le Canada pourrait passer à côté d’une réduction de 18 à 48 mégatonnes (Mt) d’émissions d’ici 2030.

Dans le scénario ci-dessus, où plusieurs marchés sont en équilibre précaire et certains sont saturés, les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs mènent à une réduction de 18 Mt d’émissions de moins d’ici 2030 par rapport aux marchés qui fonctionnent comme prévu, où les crédits sont échangés à 170 $ par tonne en 2030 et d’autres politiques fédérales, tant que le plafond sur les émissions du secteur pétrolier et gazier, sont mises en oeuvre comme proposés. Toutefois, le scénario ne prend pas complètement en compte le risque de ralentissement, notamment en raison de la façon dont les facteurs susmentionnés peuvent augmenter l’offre de crédits et de la précarité de l’équilibre de plusieurs marchés.

Nous avons donc analysé deux autres scénarios: l’un dans lequel les prix des crédits carbone industriels stagnent à 110 $ en 2030, et l’autre dans lequel les normes de rendement en Alberta, en Colombie-Britannique, et en Saskatchewan sont considérablement renforcées et les prix se maintiennent à 170 $, où les recettes sont réinvestis dans les technologies propres, et les chevauchements des politiques sont minimisées.. Dans le scénario où les normes de rendement sont renforcées, où les prix du carbone continuent d’augmenter et où les marchés du crédit sont stables, le Canada évite 48 Mt d’émissions supplémentaires en 2030.

Même avec des systèmes plus robustes permettant davantage de réductions des émissions, les coûts pour l’industrie restent raisonnables. Avec un prix contraignant de 170 $ par tonne en 2030 et les normes de rendement renforcées, les coûts de conformité moyens pour les industries seront modestes, en moyenne 30 $ par tonne, tandis que certains secteurs maintiendraient un crédit net en moyenne.

Créer des marchés fonctionnels pour la tarification du carbone industriel

Les données actuelles des marchés et les projections de la modélisation mettent en évidence la fragilité des marchés de crédits à marge mince dont les normes de rendement trop généreuses peuvent engendrer une saturation du marché, des surplus de crédits et une diminution des réductions d’émissions.

La cause sous-jacente de tous ces risques est un important manque de transparence quant aux activités des marchés des systèmes d’échanges pour les grands émetteurs. À part celui du Québec, où les crédits sont mis aux enchères et où le marché est régulièrement mis à jour, aucun système ne publie le prix des crédits, et seule l’Alberta tient un registre des transactions.

Heureusement, il existe plusieurs options intéressantes pour améliorer la conception des systèmes d’échanges et tous les gouvernements – fédéral, provinciaux et territoriaux – sont en mesure d’agir.

D’abord et avant tout, des systèmes plus stricts seraient plus susceptibles d’engendrer des réductions d’émissions et de la prévisibilité pour les investissements. Les normes de rendement en place ne prennent pas suffisamment en compte le risque d’une évolution technologique plus rapide que prévu et les effets possibles des interactions entre les politiques. Bien que les systèmes actuels permettent de limiter les coûts à court terme, ils n’offrent aucun gage de prévisibilité ou de compétitivité à long terme. Des normes de rendement plus strictes peuvent réduire ces risques.

Les mises à jour fréquentes sont une caractéristique de ces systèmes. L’application des normes fédérales minimales a permis d’harmoniser les systèmes d’échanges du pays par le passé, et de futurs examens fédéraux assureraient le fonctionnement des marchés. Les autorités de réglementation provinciales et territoriales peuvent faire preuve de la même initiative. Elles peuvent mettre en œuvre des solutions prometteuses telles que des prix planchers, des réserves de stabilité du marché et des ajustements proactifs des seuils.

Une plus grande transparence est également de mise. Pour assurer un fonctionnement efficace des marchés du carbone, des mécanismes robustes sont nécessaires pour faire le suivi et divulguer les échanges et les prix annoncés. Cette transparence aiderait à détecter rapidement les déséquilibres et permettrait aux décideurs d’ajuster l’équilibre entre l’offre et la demande en conséquence. Le suivi du marché fournirait aussi des renseignements sur les échanges et l’utilisation des crédits pour que les prix reflètent le coût réel de la réduction des émissions et que les marchés ne soient pas faussés par la saturation ou les interactions imprévues entre les politiques.

Restez à l’affût : nous approfondirons ces solutions dans des études à venir.


Dave Sawyer est économiste principal à l’Institut climatique du Canada. Ross Linden-Fraser est associé de recherche principal à l’Institut climatique du Canada. Dale Beugin est vice-président exécutif de l’Institut climatique du Canada.

Une nouvelle analyse montre que la tarification du carbone industriel du Canada protège la compétitivité et la profitabilité

Les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs réduisent efficacement les émissions et ont un impact limité sur la profitabilité.

Malgré que l’administration Trump aux États-Unis compromettra probablement le progrès climatique à certains égards, une nouvelle analyse suggère que le Canada pourrait profiter du maintien, et même du renforcement, de ses politiques axées sur la compétitivité découlant de la tarification industrielle du carbone – aussi appelés systèmes d’échange pour les grands émetteurs. La fameuse loi américaine sur la réduction de l’inflation, l’Inflation Reduction Act, devrait par exemple persister sous une forme ou une autre et continuer d’appuyer l’industrie des États-Unis dans sa restructuration vers l’énergie propre. En outre, on s’attend à ce que la charge continue d’être menée à l’échelle infranationale par les États et les collectivités locales, qui viendraient combler le vide politique. De plus, le mouvement bipartisan pour l’ajustement carbone aux frontières, comme dans l’Union européenne, laisse croire que le protectionnisme émergent sous la forme d’une taxe sur le carbone n’est pas près de disparaître.

Les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs du Canada, conçus autour du principe de compétitivité, proposent une réponse équilibrée. Ces systèmes gardent les prix bas pour l’industrie, mais encouragent aussi la réduction des émissions et attirent les investissements. Ils permettent aux secteurs canadiens très polluants et tributaires du commerce de se conformer aux normes mondiales dans une ère de protectionnisme vert qui prend de l’ampleur. Le maintien et le raffinement des systèmes d’échanges pour les grands émetteurs devraient être une priorité au pays, afin de préserver la compétitivité des industries dans un contexte international qui valorise de plus en plus l’efficacité en matière de carbone, peu importe les revirements politiques aux États-Unis.

La tarification du carbone industriel peut réduire considérablement les émissions et les coûts pour l’industrie

Les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs sont un outil politique fondamental pour la lutte contre les changements climatiques du Canada. De précédentes études du projet 440 mégatonnes de l’Institut climatique ont montré qu’ils seront un meilleur moteur de réduction des émissions entre aujourd’hui et 2030 que toute autre politique. Et leurs avantages ne s’arrêtent pas là.

Bien que les systèmes d’échanges se révèlent efficaces pour réduire les émissions, les données suggèrent également qu’ils protègent, voire améliorent dans certains cas, la compétitivité et la profitabilité des industries canadiennes. Cela ne veut pas dire qu’ils sont parfaits – ils représentent quand même un risque politique et un potentiel d’instabilité pour le marché – mais nous y reviendrons dans des articles futurs.

L’engagement du Canada à réduire ses émissions dépend de diverses politiques, parmi lesquelles la tarification du carbone industriel occupe un rôle majeur. Chaque province et territoire applique soit son propre système d’échanges pour les grands émetteurs (comme le SPEDE au Québec et le système TIER en Alberta), soit celui du fédéral. Tous sont hautement efficaces; ils pourraient être à la source de 20 % à 48 % de la baisse progressive des émissions pour l’ensemble des politiques climatiques à l’horizon 2030, ce qui en fait l’instrument le plus efficace du lot.

Ces systèmes d’échanges sont conçus pour attirer les investissements dans la réduction d’émissions tout en préservant la compétitivité d’industries très polluantes et tributaires du commerce. Celles-ci sont essentielles à l’économie canadienne; une hausse importante de leurs coûts d’exploitation pourrait nuire à leur compétitivité et potentiellement déplacer la production – et les émissions – vers des pays où la réglementation sur le carbone est plus permissive.

Les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs agissent en obligeant les installations à payer le prix du carbone sur une partie de leurs émissions seulement. Cette approche atténue le fardeau financier que représente la politique tout en encourageant de grandes suppressions d’émissions. Le montant à payer est établi selon une norme de rendement, qui fixe une limite à l’intensité d’émissions de l’installation (la norme est généralement basée sur l’historique des émissions du secteur ou de l’installation). Si la limite de production d’émissions est franchie, l’installation doit compenser le surplus. 

Les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs proposent aux installations différentes manières de compenser leurs émissions, dont l’investissement dans des mesures d’atténuation, l’obtention d’unités d’émissions à échanger avec d’autres installations, l’accumulation d’unités pour une utilisation ultérieure, l’obtention de crédits compensatoires, ou le paiement du prix du carbone. Cette flexibilité permet de réduire davantage le coût de la politique. Les installations qui font mieux que les normes reçoivent des unités excédentaires qu’elles peuvent revendre, ce qui rend d’autant plus payants les projets réduisant leurs émissions.

La tarification du carbone industriel impose des faibles coûts de mise en conformité aux grands émetteurs

Malgré les avantages potentiels des systèmes d’échanges pour les grands émetteurs, certaines industries se disent préoccupées par les coûts associés. Toutefois, notre recherche montre que les coûts et répercussions sur la profitabilité de tels systèmes sont généralement faibles et, dans certains cas, même dans le négatif : les émetteurs peuvent générer des revenus en obtenant des unités d’émissions qu’ils peuvent revendre ou conserver pour une utilisation ultérieure. (Les unités accumulées pourraient procurer un taux de rendement annuel de 13 % entre aujourd’hui et 2030 puisque le tarif national du carbone monte, tout comme la valeur de la tonne d’émissions qu’il représente.)

La figure 1 montre le coût moyen des émissions pour les secteurs industriels couverts par les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs en 2025 et en 2030, selon les projections modélisées de Navius Research. Malgré les variations au sein des secteurs et des provinces et territoires, la tendance générale est évidente : les coûts de conformité aux systèmes d’échanges restent généralement bas jusqu’en 2030, même avec la montée du prix de référence du carbone à 170 $ par tonne. En 2025, aucun secteur ne paie plus que 10 $ en moyenne par tonne, et ce alors que le prix du carbone est de 95 $ par tonne. Le maximum, soit 27 $ par tonne, est atteint en 2030. En effet, nous constatons que certaines industries sont, selon la moyenne nationale, capables d’obtenir plus d’unités d’émission que ce qu’elles ont besoin d’acheter. Cette capacité à accumuler les unités et à vendre l’excédent se présente comme un coût moyen au-dessous de zéro dans la figure 1.

Veuillez noter que les coûts présentés ci-dessous représentent les moyennes nationales, et qu’ils varient légèrement par administration. L’Alberta est la seule administration avec un coût négatif pour les producteurs d’électricité : la conception particulière des seuils d’électricité dans cette province – très efficaces pour attirer et générer des capitaux pour l’électricité sobre en carbone – produit tant d’unités d’émissions qu’elle fait reculer la moyenne nationale du secteur électrique bien au-dessous de zéro.

Les résultats de la modélisation prennent plus en compte que le prix du carbone. La modélisation intégrée reflète les dynamiques essentielles derrière les coûts réels, comme la mise en place des technologies à un coût inférieur à celui du carbone ainsi que les retombées des subventions industrielles et le recyclage des revenus, qui font davantage baisser les coûts de mise en conformité pour mener à une réduction marquée des émissions. L’effet net de ces dynamiques est la compensation, voire la réduction, des coûts généraux.

La tarification industrielle du carbone protège la profitabilité

Malgré tout, la mesure du coût moyen brosse un tableau incomplet. Elle ne tient pas directement compte des dynamiques essentielles derrière les coûts réels, comme la mise en place des technologies à un coût inférieur à celui du carbone ainsi que les retombées des subventions industrielles et le recyclage des revenus, qui font davantage baisser les coûts de mise en conformité. De plus, elle n’inclut pas les coûts carbone des mesures réglementaires, comme la réglementation sur le méthane. Enfin, elle ne considère pas non plus le contexte financier des entreprises : un coût de 5 $ par tonne est-il élevé (et donc, handicape-t-il sérieusement la compétitivité)? Le tout dépend de leur marge de profit.

La profitabilité illustre mieux l’effet général sur l’industrie de la législation en matière de carbone. Comme le montre la figure 2, notre recherche suggère que les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs affectent très peu la profitabilité globale d’un secteur, même lorsque le prix du carbone monte à 170 $ par tonne en 2030. Les répercussions sur les profits sont encore plus minimes lorsque l’on tient compte des interactions entre les impôts et les redevances.

Dans la figure 2, on peut voir comment, en 2030, la baisse anticipée de la marge de bénéfice d’exploitation pour les grands émetteurs s’élève à seulement 0,6 point de pourcentage sous le scénario de tarification du carbone seule, alors que la marge moyenne se situe entre 36,1 % et 35,5 % sous la moyenne nationale. En moyenne, la marge brute des industries est inférieure de 2,2 % lorsque les effets du marché sont pris en compte. La situation s’améliore lorsque les avantages des subventions et de la vente d’unités d’émissions surpassent les coûts des autres politiques inscrites dans la loi, ce qui engendre un résultat net qui compense ou rééquilibre l’effet de toutes les politiques climatiques.

Bien qu’il y ait encore d’importantes variations entre les secteurs et régions (et également au sein de ceux-ci), les effets négligeables sur le profit à l’échelle nationale prouvent l’efficacité des systèmes d’échanges et des autres politiques climatiques à réduire les émissions sans sacrifier la compétitivité des grands émetteurs au Canada.

Comme le fait remarquer la Commission on Carbon Competitiveness, certaines industries canadiennes font face à des problèmes de compétitivité spécifiques lorsqu’elles tentent de réduire leurs émissions. Mais le statu quo n’est pas une option : elles devront toutes réduire leur empreinte carbone si elles espèrent affronter la concurrence étrangère et attirer les investissements dans un monde qui se soucie de plus en plus des émissions du commerce.

La tarification industrielle du carbone est un avantage stratégique, et non un frein à la concurrence

Les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs ne menacent pas la compétitivité du Canada; ils offrent plutôt un avantage stratégique dans le cadre de la restructuration pour la transition mondiale vers la carboneutralité, et ce, malgré la montée du protectionnisme. En encourageant la réduction des émissions et en gardant les coûts de conformité bas, ces systèmes placent le Canada en bonne position dans un monde qui cherche à se sevrer du carbone. Néanmoins, des défis demeurent, notamment l’opacité du marché, l’incertitude réglementaire et l’instabilité politique, qui entraînent une volatilité au sein des systèmes d’échanges. Il sera primordial de résoudre ces problèmes pour renforcer les systèmes fédéraux, provinciaux et territoriaux, car ils sont aux fondements de la résilience économique et de la compétitivité à l’échelle mondiale à long terme.

Comme nous l’avons déjà dit, les gouvernements peuvent résoudre ces problèmes en renforçant les systèmes de manière à stabiliser les prix et à encourager davantage de suppressions d’émissions. Restez à l’affût : dans les mois à venir, nous analyserons ces sujets plus en profondeur et étudierons les solutions visant à optimiser le rendement et l’effet des systèmes d’échanges pour les grands émetteurs.


Dave Sawyer est économiste principal à l’Institut climatique du Canada. Ross Linden-Fraser est associé de recherche principal à l’Institut climatique du Canada.

La transition énergétique du Canada nécessitera 16 milliards de dollars en minéraux critiques d’ici 2040

Les minéraux critiques pourraient représenter l’une des plus grandes ressources de l’économie propre, à condition d’être bien exploités.

Parmi tous les éléments de base d’une économie propre, six minéraux critiques, c’est-à-dire le cobalt, le cuivre, le lithium, le nickel, le graphite et les éléments des terres rares, jetteront les bases. Dans un monde qui respecte ses engagements en matière de climat, la demande annuelle pour ces minéraux atteindra une valeur de 770 milliards de dollars d’ici 2040. Cette occasion au chapitre de la demande vient principalement de l’économie propre, et en particulier de l’essor des véhicules électriques. Le Canada dispose des réserves minérales nécessaires pour être compétitif dans ce domaine. La manière dont il tirera profit de cette occasion déterminera la réussite de sa transition vers l’énergie propre.

Les fabricants de batteries et de voitures ont déjà investi des milliards de dollars dans la chaîne de valeur des véhicules électriques au Canada, pariant sur le fait que le pays augmentera sa production de minéraux critiques. Cependant, les attentes devront tenir compte de la prudence des investisseurs à l’égard de l’extraction de minéraux. Les marchés financiers se souviennent que le secteur s’est effondré au début des années 2010, lorsque l’offre a dépassé la demande. Les violations des droits de la personne et les dommages à l’environnement commis par le secteur soulèvent également des questions non négociables en matière de développement durable, tout comme le fait que de nombreuses entreprises du Canada ont commis ces deux types d’infractions. Pour attirer des capitaux dans le secteur minier canadien, il faudra faire rapidement des progrès en ce qui concerne des impératifs multiples et souvent concurrents au chapitre des politiques.

Selon nous, le Canada a besoin d’un investissement de 30 milliards de dollars dans l’extraction des minéraux critiques et le secteur minier doit améliorer son rendement au chapitre de la durabilité pour attirer autant de capitaux. En fin de compte, l’exploitation des minéraux critiques ne devrait pas seulement servir à l’économie propre, mais aussi en faire partie.

Écart au chapitre de la production de minéraux critiques au Canada

En 2022, la production de minéraux critiques au Canada a atteint une valeur de 8 milliards de dollars. D’ici 2040, la valeur de la production pourrait atteindre de 4 à 43 milliards de dollars par an, en fonction des décisions d’investissement prises aujourd’hui. Pour évaluer le potentiel de production du Canada, nous avons élaboré trois scénarios illustrant la demande en minéraux critiques dans le cadre de la transition vers l’énergie propre : un scénario avec une demande intérieure canadienne en croissance, un scénario avec une demande intérieure canadienne en croissance et des exportations en augmentation vers les États-Unis, et un scénario avec une demande intérieure canadienne en croissance, mais réduite en raison d’un recyclage accru.

Même dans notre scénario sur la demande intérieure, pour obtenir suffisamment de minéraux critiques pour répondre à la demande croissante, il faudrait doubler la production annuelle d’ici 2040, pour que la valeur des minéraux critiques passe de 8 milliards de dollars à 16 milliards de dollars. Puisqu’il faut, en moyenne, 18 ans pour ouvrir une mine au Canada, cet investissement destiné à garantir la production nationale doit être fait le plus tôt possible.

Pour entrer dans les détails, la figure interactive 1 montre l’écart entre les prévisions de production des mines existantes (production existante) et la demande prévue pour 2040 (demande en minéraux propres, autre demande). Pour l’ensemble des six minéraux critiques prioritaires, qui ont été regroupés en fonction de leurs valeurs de marché respectives, nous croyons que, pour atteindre une capacité de production annuelle de 16 milliards de dollars, il faudra un nouvel investissement en capital de 30 milliards de dollars dès que possible.

La figure 1 montre également l’écart de production pour chacun des minéraux critiques, en kilotonnes, et indique leurs besoins individuels en capitaux. Le cuivre affiche la plus forte demande intérieure en 2040 (640 kilotonnes) et nécessite le capital le plus important (11 milliards de dollars). Le néodyme, un élément des terres rares, présente la demande intérieure la plus faible en 2040 (3 kilotonnes), ainsi que les besoins en capitaux les plus faibles (0,8 milliard de dollars).

Nous prévoyons une demande de 16 milliards de dollars si l’on tient compte uniquement de l’exploitation minière pour la demande intérieure. Par ailleurs, dans notre scénario d’exportation, les exportations de minéraux critiques vers les États-Unis augmentent de manière stable au fur et à mesure que l’économie propre nord-américaine prend de l’expansion. Cela double la valeur de la demande, alors que le Canada pourrait la voir passer à 32 milliards de dollars. Cette demande pourrait être plus considérable si le Canada était plus ambitieux au chapitre des exportations. En revanche, dans notre scénario de recyclage accru, l’Amérique du Nord atteint les objectifs de l’Union européenne en matière de recyclage des minéraux critiques. Cela entraîne une réduction de la demande prévue en minéraux critiques bruts du Canada à 12 milliards de dollars, en plus de diminuer le montant en capital minier nécessaire et de favoriser l’obtention de résultats plus durables.

Le Canada sortirait gagnant sur le plan économique s’il comblait l’écart de production. Dans les trois scénarios axés sur la demande, la valeur de la production dépasse le coût de l’investissement après seulement deux ou trois ans de production à plein régime. Cependant, pour atteindre ce stade, il faut encore investir des milliards de dollars en capital, ce qui signifie qu’il faut convaincre les investisseurs de la valeur de cette occasion.

Mouvements de capitaux insuffisants

Si les tendances actuelles du marché se maintiennent, le Canada n’attirera pas suffisamment de capitaux pour répondre à la demande de 2040 dans le cadre de la transition vers l’énergie propre. Pour compliquer le tout, notre analyse n’inclut pas les coûts d’exploration, les 28 autres minéraux critiques moins prioritaires ou les 16 autres éléments de terres rares, qui augmentent les besoins en capitaux.

Au Canada, les dépenses d’investissement dans le secteur minier stagnent, alors que celles à l’échelle mondiale augmentent. En outre, des 12 milliards de dollars investis dans l’exploitation des métaux au Canada en 2023, seul le quart est réservé à des métaux autres que l’or, l’argent et le fer. La politique du gouvernement ne suffira pas à couvrir la différence, car les principaux mécanismes de financement pour l’extraction des minéraux critiques sont le Fonds pour l’infrastructure des minéraux critiques, d’à peine 1,5 milliard de dollars, ainsi que le Crédit d’impôt à l’investissement pour les technologies propres, qui couvre au maximum 30 % des coûts en capital.

Le Canada devra accroître considérablement son attrait au chapitre des investissements en capitaux, et ce rapidement, s’il veut jouer un rôle important pour satisfaire la demande en ce qui concerne les éléments de base les plus importants de l’économie propre.

Découvrir un avantage concurrentiel

Le secteur minier canadien serait plus attirant pour les investisseurs s’il était plus concurrentiel que d’autres pays. On associe souvent le concept d’intensité du capital, c’est-à-dire le montant en capital nécessaire par produit, à la compétitivité. Comme le montre la figure 2, l’intensité du capital des mines canadiennes de minéraux critiques est à peu près équivalente à celle des mines ailleurs dans le monde, ce qui n’a pas attiré suffisamment d’investissements pour répondre à la demande intérieure prévue. Si le secteur minier canadien veut être concurrentiel sur le plan de l’intensité du capital, il devra innover considérablement pour abaisser ses ratios.

Si l’industrie minière canadienne pouvait être concurrentielle au chapitre des émissions par produit ou de l’intensité des émissions, elle en sortirait gagnante. Pour les quatre minéraux critiques présentés dans la figure 2, les mines canadiennes ont tendance à avoir besoin d’un capital 15 % plus élevé que la moyenne mondiale. Cependant, elles se distinguent par une intensité d’émissions inférieure de 68 %.

Sur le plan historique, les marchés financiers n’ont pas accordé la priorité à une faible intensité d’émissions. Cependant, les mines, qui sont responsables de 4 à 7 % des émissions mondiales, cherchent de plus en plus à afficher leurs caractéristiques au chapitre du climat. Le Conseil International des Mines et Métaux représente plus du tiers du secteur minier mondial et a fixé une cible de carboneutralité d’ici 2050. Le Canada jouit actuellement d’un avantage concurrentiel dans ce domaine. Toutefois, il doit décarboniser plus rapidement son secteur minier pour éviter que la croissance de l’activité et de la consommation d’énergie ne fasse dérailler les améliorations au chapitre de l’intensité des émissions.

D’autres mesures de durabilité importent également pour l’avenir des mines canadiennes. Nous constatons que 34 % des projets de minéraux critiques prioritaires et actifs se trouvent à moins de 25 kilomètres d’aires protégées et conservées, tandis que 25 % se trouvent à moins de 25 kilomètres de territoires autochtones reconnus par le gouvernement fédéral. Le secteur minier mondial ne dispose pas d’approche commune en ce qui concerne les autres mesures de durabilité. Cependant, il cherche à en adopter une. L’Association minière du Canada jouera un rôle de premier plan pour établir les normes. Les normes qui verront le jour devront au moins reconnaître que les Autochtones ont droit au consentement préalable, libre et éclairé, conformément à l’adoption de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones par le Canada.

L’exploitation de minéraux critiques représente un débouché de plusieurs milliards de dollars pour le Canada afin de stimuler sa transition vers l’énergie propre. Les investissements doivent commencer à affluer dès maintenant afin de tirer parti de ce débouché. Toutefois, en raison des risques liés à la durabilité de l’exploitation minière, le secteur minier canadien doit tenir compte de cet impératif de marché, ainsi que des impératifs environnementaux et sociaux. Les mines ont l’obligation de viser la carboneutralité et de collaborer avec les communautés d’accueil.

Il sera difficile de tenir compte simultanément de ces impératifs économiques, environnementaux et sociaux. Cependant, c’est nécessaire pour assurer la transition vers l’énergie propre au Canada. Il pourrait également s’agir de l’avantage concurrentiel le plus important du secteur dans un monde carboneutre.

Il est possible de télécharger les données utilisées dans le cadre de la présente analyse ici.

Calvin Trottier-Chi est associé en recherche à l’Institut climatique du Canada.

Les exportations sobres en carbone du Canada augmentent presque deux fois plus vite que le reste de l’économie

Dans la dernière décennie, la valeur des exportations sobres en carbone du Canada a plus de doublé avec l’accélération de la transition énergétique mondiale.

Quoi de neuf?

Des minéraux critiques aux moteurs électriques, l’éventail diversifié d’exportations sobre en carbone du Canada croît plus rapidement que les autres types d’exportations. Depuis 2013, les exportations sobres en carbone ont plus de doublé de valeur, passant de 15,8 milliards de dollars à 38,7 milliards de dollars l’année dernière. Il s’agit ici presque du double de la croissance de toutes les autres exportations combinées : voilà qui démontre le potentiel d’une économie mondiale se rapprochant de plus en plus de la carboneutralité.

Dans l’analyse de cette semaine, on se penche sur le rendement des exportations sobres en carbone au Canada à la lumière des revenus d’exportations nationaux de la dernière décennie, dans l’espoir d’obtenir une meilleure vision de la progression du pays et de la voie à suivre potentielle.

Il est important de suivre le progrès des exportations propres pour juger de la préparation et de la compétitivité de l’économie canadienne en pleine transition vers la sobriété en carbone. Les données d’exportation montrent que le Canada a beaucoup à offrir aux autres pays dans leur virage de plus en plus marqué vers l’énergie propre.

Les exportations propres ont connu une croissance presque deux fois plus rapide que les autres exportations

Pour suivre le progrès des exportations d’énergie propre du Canada, 440 mégatonnes a étudié la liste de produits d’exportation sobres en carbone que relève un article précédent dans Options politiques. Contenant un total de 141 biens sobres en carbone, cette liste sert de mesure englobante pour évaluer l’aptitude du Canada à affronter la concurrence dans une économie mondiale qui se décarbonise.

La figure 1 présente le rendement en dollars canadiens des biens sobres en carbone sur une période de dix ans, soit entre 2013 et 2023. Ces produits sont qui plus est subdivisés en six catégories de produits essentiels à une économie sobre en carbone, allant de l’énergie propre aux minéraux critiques utilisés pour la fabrication de technologies propres.

Dans l’ensemble, les exportations sobres en carbone ont augmenté d’environ 9,4 % par année dans les dix dernières années, passant de 15,8 milliards de dollars en 2013 à 38,7 milliards en 2023.

On parle ici de presque deux fois la croissance moyenne de toutes les exportations au Canada, qui se situe environ à 5 % par année. Cette hausse des exportations d’énergie propre dépasse également celle des exportations de gaz et de pétrole, qui connaissent une hausse annuelle d’environ 4,3 %.

En tant que part des exportations totales, les biens sobres en carbone sont passés d’un simple 2,8 % en 2013 à 4,5 % l’année dernière, alors que les exportations de gaz et de pétrole ont descendu de 24 % à 23 %.

La croissance des exportations d’énergie propre, forte dans tous les sous-secteurs

La figure 2 représente la croissance annuelle de chacune des catégories de produits sobres en carbone regroupés, comparées à l’ensemble des exportations entre 2013 et 2023. Presque toutes les catégories ont connu une hausse plus importante que celle des autres produits d’exportation au Canada.

Les exportations de transports propres sont en pleine effervescence. C'est dans cette catégorie que la croissance annuelle a été la plus forte au cours des dix dernières années, avec 27,5 %. Ce groupe comprend les véhicules lourds et légers électriques et hybrides, ainsi que les trains électriques et les chariots élévateurs électriques. L'essor des exportations liées aux technologies propres s'explique par l'augmentation significative de la demande de véhicules électriques. Les exportations dans le domaine du transport propre s'élevaient à environ 771 millions de dollars en 2013 et ont été multipliées par plus de 11 pour atteindre environ 8,8 milliards de dollars l'année dernière. Cette tendance s'accélère, la valeur des exportations de transports propres doublant entre 2022 et 2023.

Au deuxième rang pour ce qui est du rythme de croissance avec une moyenne annuelle de 10,1 % arrivent les carburants propres. Cette catégorie comprend des produits comme les carburants alternatifs et les biocarburants – par exemple l’éthanol et le biodiesel – ainsi que la biomasse, qui comprend généralement des produits comme les granules de bois. Les biens exportés de cette catégorie ont plus de doublé dans la dernière décennie, passant de 1,4 milliard en 2013 à 3,6 milliards en 2023.

La croissance des carburants liquides propres a considérablement accéléré dans les dernières années. En 2013, la biomasse représentait 65 % de toutes les exportations de carburant propre. Sautons à 2023 et les carburants liquides propres ont rattrapé la biomasse, représentant environ la même part de la valeur.

Enfin, en troisième place se trouvent les exportations de produits d’efficacité énergétique, par exemple les thermostats, les ampoules à DEL, les thermopompes pour bâtiments et l’équipement électrique haute efficacité. Cette catégorie a atteint un total de 6 milliards de dollars en 2023, par rapport à 2,6 milliards en 2013.

Plusieurs autres tendances dignes de mention s’observent dans les données. La catégorie de l’électricité propre et de l’équipement d’alimentation a surpassé le taux de croissance de l’ensemble des exportations. C’est la catégorie de plus grande valeur de tous les sous-secteurs sobres en carbone confondus, atteignant 12,8 milliards de dollars en 2023. Malgré sa taille importante, le sous-secteur a maintenu un taux de croissance incroyablement haut, soit à 7 %. Il ne faut pas oublier que bien que cette catégorie comprenne entre autres les technologies renouvelables et leurs composantes, les génératrices qui ne sont pas à base de combustibles fossiles, et les batteries utilisées pour le transport, un quart des exportations sont directement attribuables à la vente d’électricité au sud de la frontière (4,3 milliards de dollars).

Les deux catégories restantes sont celles de l’industrie propre – qui inclut les échangeurs thermiques non résidentiels, les systèmes de traitement thermique, les chaudières générant de la vapeur et les fours électriques – ainsi que l’extraction minière pour l’énergie propre. Malgré que cette dernière catégorie comprenne des minéraux critiques comme le lithium et le cobalt, ce sont les exportations d’uranium qui dominent, représentant 93 % de la valeur totale. Cette catégorie a connu une croissance plus lente que le reste des exportations annuelles de l’économie, à savoir une hausse d’environ 4,2 % dans la dernière décennie.

Qui dit accélération de la transition énergétique dit multiplication des occasions de croissance pour les exportations propres

Les produits sobres en carbone se sont taillé une plus grande place au sein des exportations canadiennes totales, et ils continueront de s’imposer à mesure que la demande mondiale augmente. La croissance de ces industries peut atténuer le risque de transition pour l’économie canadienne, comme la demande mondiale en combustible fossile s’affaiblit. Les grandes industries sobres en carbone devraient continuer de favoriser la compétitivité du Canada au fil du temps.

L’Inflation Reduction Act (IRA) a notamment créé de nouveaux débouchés commerciaux pour les industries propres canadiennes aux États-Unis. Grâce à l’IRA, les produits employant des composants pour voiture électrique et des minéraux critiques canadiens dans leur fabrication sont admissibles aux crédits d’impôt de la loi, ce qui devrait stimuler la demande pour des biens de part et d’autre de la frontière.

Mais une plus forte demande en biens sobres en carbone signifie aussi une plus forte concurrence mondiale pour offrir ces produits. Résultat : il serait important que le gouvernement offre son aide – notamment en mettant rapidement la dernière main aux crédits d’impôt à l’investissement dans la fabrication de technologies propres et les matériaux critiques – au milieu des affaires au Canada pour que celui-ci reste concurrentiel et attire davantage d’investissements intérieurs et étrangers dans la sobriété en carbone.

Les données commerciales sont claires : avec le bon appui politique en place, les entreprises canadiennes qui vendent des biens sobres en carbone sont à la veille de connaître une forte croissance à mesure que progresse la transition mondiale vers une économie carboneutre.

Arthur Zhang est associé de recherche à l’Institut climatique du Canada et Dave Sawyer est économiste principal à l’Institut climatique du Canada.

De meilleures données pour un secteur bancaire canadien plus propre

Les banques du Canada ont besoin de meilleures données sur les émissions pour atteindre leurs objectifs de carboneutralité.

Quoi de neuf?

Les banques jouent un rôle de premier plan dans le financement de la transition du Canada vers la carboneutralité; elles ont la capacité, avec leurs prêts et investissements, de favoriser les projets sobres en carbone pour réduire les émissions qu’elles financent.

Actuellement, toutes les banques du Canada font partie de la Net Zero Banking Alliance (NZBA) de l’ONU, un engagement volontaire à établir des cibles de carboneutralité d’ici 2050. Cependant, pour plusieurs composantes de leurs portefeuilles, elles ne disposent pas des données nécessaires pour assurer un suivi des émissions financées – les émissions des projets alimentés par leurs prêts et investissements – ni fixer des cibles de réduction.

Qu’est-ce que les émissions financées?

Les émissions financées, soit les émissions de portée 3 et de catégorie 15, sont des émissions de gaz à effet de serre liées à des activités financées par des prêts ou des investissements. Elles sont responsables de la majeure partie de l’empreinte carbone des banques. D’une ampleur pouvant surpasser 700 fois celle des émissions opérationnelles (portées 1 et 2), leur mesure est cruciale pour évaluer les efforts climatiques de ces institutions.

Ces dernières peuvent réduire leurs émissions financées en cessant d’investir dans des entreprises polluantes et en favorisant les technologies sobres en carbone. Par exemple, si une banque finance 30 % d’une usine de production de pétrole, ce sont généralement 30 % des émissions annuelles totales de cette usine qui s’ajouteront à ses émissions financées. Pour réduire son empreinte, la banque peut vendre sa part de l’usine ou investir dans la décarbonisation de celle-ci.

Au total, les plus récentes estimations des grandes banques du Canada recensent un total de 213,9 mégatonnes d’émissions financées dans six secteurs : le pétrole et le gaz, la production d’énergie, le transport, l’agriculture, l’industrie et l’immobilier (figure 1).

La NZBA estime que ces secteurs sont les plus grandes sources d’émissions financées des banques et demande à ses membres d’établir des cibles intermédiaires pour y réduire les émissions d’ici 2030 ou avant.

Les émissions du pétrole et du gaz sont les plus importantes, tous portefeuilles d’investissement confondus, mais on trouve tout de même des émissions financées non négligeables du côté de l’agriculture, du transport, de l’aviation et de la fabrication automobile. Pourtant, les émissions de ces secteurs demeurent les moins divulguées, seulement la moitié des banques rendant compte de leurs émissions financées dans ces catégories.

Lacunes des données sur les émissions financées

Dans l’ensemble, les banques citent souvent la qualité des données comme principal obstacle à la définition de cibles de réduction à court terme.

Comme il a été mentionné plus haut, il existe encore plusieurs secteurs où les émissions financées ne sont pas encore déclarées par toutes les banques. Et même lorsqu’elles le sont, la qualité des estimations est en moyenne assez faible. Les banques indiquent généralement elles-mêmes la qualité de leurs données, mesurée à l’aide de l’échelle du Partnership for Carbon Accounting Financials (PCAF); une note de 1 représente des données d’émissions vérifiées de la plus grande qualité, et une note de 5, des données de la plus basse qualité souvent estimées à partir des émissions globales du secteur et comportant une marge d’erreur laissant place à une sous-estimation ou une surestimation majeure des émissions financées.

La figure 2 présente la note moyenne globale des banques par catégories, sur l’échelle du PCAF, et compare les notes de qualité des données au nombre de banques ayant défini des cibles intermédiaires de réduction des émissions financées dans chaque secteur.

Sans grande surprise, on observe une relation inverse entre le nombre de cibles et la qualité des données, les données de mauvaise qualité étant associées à un plus petit nombre de cibles intermédiaires. Par exemple, la qualité des données dans les secteurs de l’agriculture et de l’industrie est particulièrement basse, et aucune banque n’a encore fixé de cibles à court terme dans ces secteurs.

Lorsque les données sont mauvaises, les banques se trouvent sans points de référence fiables à partir desquels établir leurs cibles de réduction des émissions financées. Elles sont aussi à risque d’investir trop ou trop peu si les marges d’erreur des estimations sont importantes.

Avec des données de meilleure qualité, les banques pourront se fier davantage à leurs estimations pour refléter adéquatement les émissions financées et ainsi définir des cibles de réduction conséquentes.

Cela dit, la production de données de grande qualité n’est pas aisée dans tous les secteurs. Certains, comme le secteur de l’agriculture, se heurtent depuis longtemps à des difficultés en lien avec le calcul des émissions, difficultés qui paraissent à la fois dans la faible qualité des données et dans le manque de cibles intermédiaires.

Dans d’autres secteurs industriels, des données sur les émissions de portées 1 et 2 des installations qui sont tenues de déclarer leurs émissions en vertu du Programme de déclaration des gaz à effet de serre sont déjà disponibles.

Remédiation des lacunes pour la définition de cibles plus complètes

Afin de combler ces lacunes, des administrateurs de valeurs mobilières et d’autres organismes réglementaires ont instauré certains règlements sur la disponibilité des données.

Pour améliorer l’accessibilité des données des entreprises sur leurs émissions, on peut notamment en imposer la déclaration. Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières examinent d’ailleurs des propositions pour la divulgation minimale obligatoire des émissions de portée 1.

La mise en place d’exigences de déclaration pour les émissions de portées 1, 2 et 3 permettrait d’offrir aux banques des données plus complètes pour estimer la pleine empreinte carbone de leurs émissions financées. Le fait d’adopter des normes plus strictes en la matière rapprocherait aussi le Canada de ses pairs internationaux, comme la Californie et l’Europe, qui ont récemment adopté le premier projet de loi en son genre sur la divulgation obligatoire et les normes européennes d’information en matière de durabilité, respectivement.

Une autre option serait d’exiger que les banques définissent des cibles de réduction des émissions et les intègrent à leur plan de transition climatique, conformément aux lignes directrices du gouvernement fédéral sur la gestion des risques climatiques – un travail qui est déjà en cours. Cette façon de faire augmenterait aussi l’intérêt des investisseurs envers les données des entreprises, ce qui pourrait inciter davantage d’entreprises à produire de meilleures déclarations.

La qualité des données est particulièrement importante pour donner aux banques l’information nécessaire pour définir des cibles sectorielles et investir dans des projets canadiens plus sobres en carbone qui leur permettront de les atteindre.


Arthur Zhang est associé de recherche à l’Institut climatique du Canada.

Calcul de l’intensité des émissions par secteurs économiques

De nouvelles données révèlent les secteurs de l’économie canadienne qui affichent la plus haute intensité d’émissions de portée 1, 2 et 3.

Grâce à sa base de données sur l’intensité des émissions du Canada, qui suit le progrès climatique au pays, 440 mégatonnes aide les entreprises, les gouvernements et les ménages à estimer leur empreinte carbone.

De nouvelles données y ont été ajoutées depuis son lancement en novembre 2022.

La base de données indique l’intensité des émissions dans plus de 60 secteurs de l’économie et 51 catégories de dépenses de demande finale et d’exportations et ce, pour toutes les portées : combustion directe (portée 1), achats indirects d’électricité et de chauffage (portée 2) et chaînes d’approvisionnement (portée 3).

Les nouvelles données portent sur l’année 2021 et comprennent le Rapport d’inventaire national sur les émissions de gaz à effet de serre du gouvernement fédéral ainsi que de nouveaux points de données sur le PIB de Statistique Canada.

Ces ajouts permettent de comparer le progrès des secteurs et des catégories et d’actualiser l’outil offert aux utilisateurs.

Classement des secteurs canadiens par intensité d’émissions

Voici les cinq secteurs qui ont enregistré la plus forte intensité d’émissions en 2021, comparativement aux données de l’année précédente.

En 2021, le secteur de l’élevage et de l’aquaculture affichait la plus forte intensité d’émissions, suivi des réseaux d’aqueduc et d’égout et autres, de la sidérurgie, et ainsi de suite.

Dans la plupart des cas, les émissions relevaient surtout de la portée 1, la fabrication de produits du pétrole et du charbon étant la seule exception évidente. Certains secteurs se distinguent par la diminution de leur intensité d’émissions depuis l’année précédente, dont la fabrication de produits du pétrole et du charbon, l’élevage et l’aquaculture, et la sidérurgie.

Mises en garde au sujet de l’intensité d’émissions

Avant d’examiner les données de plus près, quelques mises au point s’imposent.

D’abord, il faut distinguer l’intensité des émissions d’un secteur – ce dont nous parlons ici – de ses émissions totales. Les données indiquent le ratio des émissions de gaz à effet de serre et de la valeur économique (contribution au PIB) de chaque secteur.

Cette mesure sert non seulement à estimer les émissions de portée 3 que les données de la chaîne d’approvisionnement ne permettent pas de calculer, mais aussi à illustrer les éventuels désavantages de politiques visant la réduction des émissions dans différents secteurs. Les secteurs qui affichent une intensité d’émissions élevée génèrent peu de richesse économique (PIB) par tonne de carbone émise, et vice versa.

Ensuite, il est important de noter que le dénominateur – ici le PIB – peut changer d’année en année, suivant les prix des produits et les marges de profit. Ainsi, une variation dans l’intensité ne reflète pas nécessairement une réduction des émissions émises par unité de production physique (tonne d’acier, baril de pétrole, etc.).

Les unités physiques sont donc une mesure plus exacte du progrès d’un secteur en matière de décarbonisation, mais les données en ce sens se font rares. Cela dit, le calcul des émissions par rapport au PIB demeure utile pour estimer l’intensité et constitue un paramètre permettant de comparer l’ensemble des secteurs économiques.

Analyse approfondie

Examinons dans cette optique la diminution importante de l’intensité d’émissions dans la fabrication de produits du pétrole et du charbon en 2021, soit près de 25 %.

Au premier abord, on croirait à une bonne nouvelle pour le progrès climatique. Or, le gros de cette diminution est dû à une chute du PIB de 32 % pendant l’année, alors que les émissions n’ont connu qu’une modeste réduction de 2 %.

Dans la même veine, l’intensité des émissions de l’élevage et de l’aquaculture est tombée de 15 %, en raison d’une baisse du PIB de 18 % – pas d’une baisse des émissions.

On voudra aussi prendre en compte la taille relative de ces différents secteurs; la figure 2 illustre la contribution au PIB de chaque secteur sur l’axe horizontal, et la quantité d’émissions de portée 1, 2 et 3 sur l’axe vertical. L’intensité totale est représentée par la taille des bulles.

De fait, lorsque l’on tient compte des émissions totales et de la contribution au PIB, le portrait change. La fabrication de produits du pétrole et du charbon est de loin première sur ces deux plans, mais quatrième sur celui de l’intensité. Parallèlement, le secteur des réseaux d’aqueduc et d’égout et autres est deuxième sur le plan de l’intensité, mais dernier sur celui des émissions et du PIB Le secteur de l’élevage et de l’aquaculture, dont l’intensité est la plus élevée des cinq, demeure aussi parmi les plus importants sur les plans des émissions totales et de la contribution au PIB.

Les technologies propres pour réduire l’intensité d’émissions

Néanmoins, dans chacun de ces secteurs, il existe des solutions pour réduire l’intensité d’émissions et se rapprocher de la carboneutralité.

Par exemple, les stations de traitement des eaux usées peuvent capter le biogaz et le substituer aux combustibles fossiles. Le secteur du ciment teste aussi diverses façons de réduire ses émissions, dont de nouvelles technologies de captage et stockage du CO₂ (voir cet article, celui-ci, celui-ci et celui-ci). Le remplacement du calcaire par des ressources renouvelables est également une avenue possible. Dans l’industrie de l’acier, les entreprises et le gouvernement ont investi gros dans des technologies de réduction des émissions visant l’abandon progressif des hauts fourneaux alimentés au charbon.

De plus, comme la plupart des émissions de l’élevage et de l’aquaculture sont attribuables au méthane produit par le système digestif du bétail et à la gestion du fumier, De plus, comme la plupart des émissions de l’élevage et de l’aquaculture sont attribuables au méthane produit par le système digestif du bétail et à la gestion du fumier, il serait possible de les réduire en changeant l’alimentation des animaux : remplacer le maïs par de l’orge, ajouter des algues et d’autres suppléments, favoriser les fourrages de grande qualité comme la luzerne, etc.

Ainsi, bien que la base de données sur l’intensité des émissions serve d’abord à estimer l’empreinte carbone, elle offre aussi une nouvelle perspective, par secteurs économiques, du progrès du Canada dans sa transition vers la carboneutralité.


Seton Stiebert est conseiller pour le projet 440 mégatonnes et conseiller principal de Stiebert Consulting.

Comment aligner financement public et objectifs climatiques au Canada

Les sociétés d’État canadiennes optent progressivement pour des investissements propres, mais il est possible de mieux investir les fonds publics.

La transition énergétique repose sur un calcul financier très simple. Comme chaque dollar alloué aux combustibles fossiles entraîne le risque d’une hausse des émissions, chaque dollar réorienté vers des projets sobres en carbone réduit le risque.

Autrement dit, la décarbonisation exige la réaffectation d’énormes quantités de capitaux. Pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050 rien qu’au Canada, le gouvernement fédéral estime devoir rassembler au moins 100 milliards de dollars supplémentaires en dépenses publiques et privées, et ce chaque année.

À 440 mégatonnes, nous avons déjà examiné un angle de cette transition financière, soit la manière dont les ministères fédéraux utilisent les mesures fiscales et les dépenses de programme pour réduire les émissions. C’est le genre de dépenses que ciblait le gouvernement fédéral dans ses nouvelles lignes directrices visant à éliminer les subventions inefficaces pour les combustibles fossiles. Ces lignes directrices constituent une étape importante dans l’alignement des dépenses du Canada sur ses objectifs climatiques.

Mais il existe une autre catégorie importante de dépenses qui mérite d’être analysée : les milliards de dollars investis chaque année dans le cadre de financements publics (prêts, garanties, assurances et autres capitaux) par les sociétés d’État pour des projets au Canada et à l’étranger. Dans son annonce sur les subventions aux combustibles fossiles, le gouvernement fédéral a promis de publier un plan de suppression progressive du financement public des combustibles fossiles d’ici 2024. La présente analyse illustre toute l’importance de cette démarche et les types de conseils dont les sociétés d’État auront besoin pour la mener à bien.

Le financement public de l’énergie a largement favorisé les combustibles fossiles

Le Canada compte deux grands pourvoyeurs de fonds publics fédéraux. Le premier et de loin le plus important : Exportation et développement Canada (EDC), l’organisme de crédit à l’exportation du pays. Arrive ensuite la Banque de développement du Canada (BDC), qui propose des crédits aux petites et moyennes entreprises. La présente analyse se concentre sur ces deux sociétés, même si, dans les années à venir, d’autres sociétés d’État fédérales pourraient fournir du financement public pour accélérer la transition énergétique. EDC et BDC soutiennent toutes sortes de projets dans le paysage économique et leur contribution dans le domaine de l’énergie s’étend des thermostats intelligents aux parcs éoliens en passant par les granulés de bois. Mais comme le montre la figure 1, la majeure partie des sommes qu’elles ont injectées par le passé dans l’énergie étaient au profit de l’industrie des combustibles fossiles.

Il convient de rappeler que les sociétés d’État n’ont pas toujours le dernier mot. Une grande partie du financement de l’oléoduc Trans Mountain, qui contribue aux hausses notables des combustibles fossiles en 2018 et 2020, provient d’un compte destiné aux transactions trop risquées pour EDC, mais que les ministres ont jugées d’intérêt national.

Cependant, jusqu’en 2021, le financement public canadien n’était pas en phase avec les tendances mondiales qui ont depuis longtemps fait le choix de l’énergie propre. Cette année-là, alors que le monde allouait environ 1,5 $ dans les énergies sobres en carbone pour chaque dollar investi dans les combustibles fossiles, les institutions de financement public du Canada ont fait l’inverse, en versant environ 3,2 $ aux industries des combustibles fossiles pour chaque dollar injecté dans les énergies sobres en carbone.

Pour aligner le financement public du Canada sur ses objectifs climatiques, les financiers doivent systématiquement faire deux choses : réorienter le financement public des combustibles fossiles vers les énergies sobres en carbone et veiller à ce que tout soutien public restant pour des projets de combustibles fossiles ou de transition concorde avec les objectifs climatiques.

Le début de la fin pour le financement public des combustibles fossiles

Certains signes indiquent que l’approche de financement public du Canada est en train de changer.

Premièrement, les sociétés d’État allouent des sommes de plus en plus importantes aux technologies propres et à la réduction des émissions. BDC dispose d’un fonds d’un milliard de dollars destiné aux entreprises de technologies propres, tandis qu’EDC a contribué au financement des transactions de technologies propres à hauteur de 8,8 milliards de dollars en 2022 et est donc en bonne voie d’atteindre son objectif de 10 milliards de dollars d’ici 2025.

Deuxièmement, les entités fédérales se fixent des objectifs explicites pour détourner les capitaux des combustibles fossiles. Le plus important reste l’engagement fédéral, mentionné ci-dessus, à fixer des règles pour supprimer progressivement le financement public des combustibles fossiles en 2024. Ces règles accompagneront les lignes directrices que le gouvernement fédéral a publiées en 2022 pour interdire le financement public de projets de combustibles fossiles à l’étranger sans dispositif de réduction. De son côté, EDC a déjà mis en œuvre ces lignes directrices et s’est fixé comme objectif modeste de réduire son portefeuille lié à l’exploitation pétrolière et gazière en amont de 15 % d’ici 2030, par rapport aux données de référence de 2020.

Ces engagements sont de bonnes bases sur lesquelles s’appuyer. Mais les investissements verts ne représentent encore qu’une faible part du financement public dans l’énergie. Les institutions de financement public manquent d’outils pour évaluer si les investissements restants dans les industries exposées à la transition concordent réellement avec les objectifs climatiques.

Dans une certaine mesure, ces deux défis résultent d’une incohérence des normes et d’un manque de renseignements. Même lorsqu’une institution publique comme EDC ou BDC divulgue sa propre exposition au risque lié au climat et les émissions qu’elle finance, les entreprises qui sollicitent certains financements ne sont pas forcément soumises à un examen de la crédibilité de leurs plans climatiques ni de la cohérence de leurs projets aux objectifs carboneutres. Les institutions publiques ne disposent pas non plus d’indications sur la manière de concilier les avantages à court terme, tels que le maintien de l’emploi, avec les risques à long terme de la transition économique.

Plus d’informations pour de meilleurs investissements

L’un des moyens pour mieux renseigner les financiers consiste à uniformiser la méthode d’évaluation des investissements par rapport aux objectifs climatiques. C’est exactement à ça que sert la taxonomie de l’investissement climatique qui a récemment été proposée. Elle répertorie les pratiques exemplaires pour les entreprises qui souhaitent être admissibles au financement durable et établit des critères de référence sur lesquels peuvent s’appuyer les institutions financières pour mesurer leurs investissements. EDC est bien placée pour adopter cette taxonomie dans son intégralité, car elle dispose déjà d’un cadre pour classer les obligations dites « vertes » ou « de transition ».

Les actifs financés par ces obligations vertes doivent mesurer et divulguer une partie de leur exposition au risque de transition, de sorte que les autorités de réglementation élargissent naturellement ces exigences. Une uniformisation des règles de divulgation d’informations sur le climat contribuerait à harmoniser les règles du jeu et à doter les marchés de renseignements leur permettant de faire des paris plus durables. Pour aller plus loin, il serait aussi possible de créer un cadre plus détaillé pour déterminer si les investissements résisteront aux changements économiques qui accompagnent la transition énergétique.

Enfin, les institutions peuvent s’engager à investir une part encore plus importante de leur portefeuille dans des projets manifestement propres. Plus le capital alloué à la réduction des émissions est important, plus vite nous atteindrons nos objectifs. Des orientations plus détaillées et des objectifs plus ambitieux encourageront les organismes canadiens de financement public à débloquer des fonds plus rapidement et à les allouer à des projets qui promettent de plus grands avantages à long terme pour les investisseurs et le climat.

Sur la piste des subventions consacrées à l’action climatique

Le gouvernement fédéral s’est engagé à investir des sommes importantes pour réduire les émissions de carbone, mais il gagnerait à être plus transparent sur la façon dont il dépense cet argent.

Pour effectuer un suivi des progrès réalisés par le Canada en matière de carboneutralité, le gouvernement peut étudier le parcours des émissions de carbone. Il peut également faire un suivi de l’argent consacré à l’action pour le climat.

Les dépenses publiques contribuent dans une grande mesure à réduire les émissions : elles permettent notamment de financer la recherche, le développement et la commercialisation liés aux technologies de réduction des émissions et de mettre en place des infrastructures sobres en carbone, et peuvent même encourager les investissements intersectoriels dans le privé

Il est bien évident que l’argent n’est qu’un outil parmi d’autres pour un gouvernement, quel qu’il soit. La tarification du carbone, alliée à des règlements souples et bien adaptés, constitue un incitatif puissant à réduire les émissions et permet au gouvernement de faire des dépenses plus judicieuses. Il ne faut pas oublier qu’un dollar dépensé ne se traduit pas nécessairement par des progrès en matière d’action pour le climat.

Cependant, en nous penchant sur les projets dans lesquels un gouvernement investit pour réduire les émissions et sur la façon dont il le fait, nous aurons une idée de l’efficacité des fonds publics et des résultats obtenus par rapport aux prévisions.

Nous avons analysé tous les budgets, les énoncés économiques de l’automne et les plans climatiques du gouvernement fédéral depuis 2016 pour faire un suivi des fonds dépensés pour réduire les émissions de carbone. Selon notre analyse, il a consacré plus de 190 milliards de dollars sur 15 ans à cet effet. Bien que certaines réserves s’appliquent ici, ces chiffres représentent un engagement important pour atteindre les objectifs climatiques du Canada.

Augmentation des dépenses, mais suivi difficile

Voici ce qui ressort des données.

D’abord, le gouvernement fédéral a augmenté progressivement ses engagements. Le budget de 2023, le tout dernier, contenait un investissement historique en la matière, encore plus ambitieux que dans les budgets précédents, notamment au chapitre de l’électricité propre.

De toute évidence, le gouvernement fédéral compte également sur le potentiel des technologies propres pour le développement économique et la décarbonisation de l’industrie. Il a prévu des budgets pour certaines technologies, comme la captation, l’utilisation et le stockage du carbone, tout en affectant d’autres fonds – sous la forme de mesures élargies, souvent des crédits d’impôt – à toutes sortes de choses, des équipements de centrales nucléaires aux thermopompes, en passant par les véhicules de prospection minière à émission zéro.

Parallèlement, certaines mesures prises par le gouvernement, comme celles qui s’appliquent aux multiples technologies propres, viennent, de par leur ampleur, compliquer le suivi des dépenses. Il est également parfois difficile d’établir quand (voire si) l’argent a bien été dépensé car souvent, les gouvernements réattribuent les fonds à d’autres programmes ou procèdent à un report. Ainsi, il est actuellement difficile de savoir à qui profitent les dépenses engagées et de connaître la nature exacte des résultats obtenus.

multiplier les informations pour faciliter le suivi

Le gouvernement fédéral pourrait faciliter l’analyse des résultats obtenus à la suite de ces dépenses. D’abord, il pourrait regrouper les données sur les résultats de projets financés par des programmes fédéraux, actuellement disséminées dans toutes sortes de documents publiés chaque année par les différents ministères. Il pourrait aller plus loin en donnant des précisions qui ne sont pas actuellement publiées, par exemple les technologies propres qui profitent le plus des crédits d’impôt et les secteurs qui investissent le plus dans ces technologies. Le rapport sur les dépenses fiscales fédérales du gouvernement pourrait bien être un outil utile à cet égard. 

Les données dont nous disposons actuellement suffisent à nous montrer que le gouvernement donne la priorité à la réduction des émissions de carbone et à nous donner une idée des projets financés. Mais il est primordial d’augmenter la transparence pour comprendre l’incidence de ces fonds.


Ross Linden-Fraser est associé de recherche principal à l’Institut climatique du Canada.

Arthur Zhang est associé de recherche à l’Institut climatique du Canada.