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Comment aligner financement public et objectifs climatiques au Canada

Les sociétés d’État canadiennes optent progressivement pour des investissements propres, mais il est possible de mieux investir les fonds publics.

La transition énergétique repose sur un calcul financier très simple. Comme chaque dollar alloué aux combustibles fossiles entraîne le risque d’une hausse des émissions, chaque dollar réorienté vers des projets sobres en carbone réduit le risque.

Autrement dit, la décarbonisation exige la réaffectation d’énormes quantités de capitaux. Pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050 rien qu’au Canada, le gouvernement fédéral estime devoir rassembler au moins 100 milliards de dollars supplémentaires en dépenses publiques et privées, et ce chaque année.

À 440 mégatonnes, nous avons déjà examiné un angle de cette transition financière, soit la manière dont les ministères fédéraux utilisent les mesures fiscales et les dépenses de programme pour réduire les émissions. C’est le genre de dépenses que ciblait le gouvernement fédéral dans ses nouvelles lignes directrices visant à éliminer les subventions inefficaces pour les combustibles fossiles. Ces lignes directrices constituent une étape importante dans l’alignement des dépenses du Canada sur ses objectifs climatiques.

Mais il existe une autre catégorie importante de dépenses qui mérite d’être analysée : les milliards de dollars investis chaque année dans le cadre de financements publics (prêts, garanties, assurances et autres capitaux) par les sociétés d’État pour des projets au Canada et à l’étranger. Dans son annonce sur les subventions aux combustibles fossiles, le gouvernement fédéral a promis de publier un plan de suppression progressive du financement public des combustibles fossiles d’ici 2024. La présente analyse illustre toute l’importance de cette démarche et les types de conseils dont les sociétés d’État auront besoin pour la mener à bien.

Le financement public de l’énergie a largement favorisé les combustibles fossiles

Le Canada compte deux grands pourvoyeurs de fonds publics fédéraux. Le premier et de loin le plus important : Exportation et développement Canada (EDC), l’organisme de crédit à l’exportation du pays. Arrive ensuite la Banque de développement du Canada (BDC), qui propose des crédits aux petites et moyennes entreprises. La présente analyse se concentre sur ces deux sociétés, même si, dans les années à venir, d’autres sociétés d’État fédérales pourraient fournir du financement public pour accélérer la transition énergétique. EDC et BDC soutiennent toutes sortes de projets dans le paysage économique et leur contribution dans le domaine de l’énergie s’étend des thermostats intelligents aux parcs éoliens en passant par les granulés de bois. Mais comme le montre la figure 1, la majeure partie des sommes qu’elles ont injectées par le passé dans l’énergie étaient au profit de l’industrie des combustibles fossiles.

Il convient de rappeler que les sociétés d’État n’ont pas toujours le dernier mot. Une grande partie du financement de l’oléoduc Trans Mountain, qui contribue aux hausses notables des combustibles fossiles en 2018 et 2020, provient d’un compte destiné aux transactions trop risquées pour EDC, mais que les ministres ont jugées d’intérêt national.

Cependant, jusqu’en 2021, le financement public canadien n’était pas en phase avec les tendances mondiales qui ont depuis longtemps fait le choix de l’énergie propre. Cette année-là, alors que le monde allouait environ 1,5 $ dans les énergies sobres en carbone pour chaque dollar investi dans les combustibles fossiles, les institutions de financement public du Canada ont fait l’inverse, en versant environ 3,2 $ aux industries des combustibles fossiles pour chaque dollar injecté dans les énergies sobres en carbone.

Pour aligner le financement public du Canada sur ses objectifs climatiques, les financiers doivent systématiquement faire deux choses : réorienter le financement public des combustibles fossiles vers les énergies sobres en carbone et veiller à ce que tout soutien public restant pour des projets de combustibles fossiles ou de transition concorde avec les objectifs climatiques.

Le début de la fin pour le financement public des combustibles fossiles

Certains signes indiquent que l’approche de financement public du Canada est en train de changer.

Premièrement, les sociétés d’État allouent des sommes de plus en plus importantes aux technologies propres et à la réduction des émissions. BDC dispose d’un fonds d’un milliard de dollars destiné aux entreprises de technologies propres, tandis qu’EDC a contribué au financement des transactions de technologies propres à hauteur de 8,8 milliards de dollars en 2022 et est donc en bonne voie d’atteindre son objectif de 10 milliards de dollars d’ici 2025.

Deuxièmement, les entités fédérales se fixent des objectifs explicites pour détourner les capitaux des combustibles fossiles. Le plus important reste l’engagement fédéral, mentionné ci-dessus, à fixer des règles pour supprimer progressivement le financement public des combustibles fossiles en 2024. Ces règles accompagneront les lignes directrices que le gouvernement fédéral a publiées en 2022 pour interdire le financement public de projets de combustibles fossiles à l’étranger sans dispositif de réduction. De son côté, EDC a déjà mis en œuvre ces lignes directrices et s’est fixé comme objectif modeste de réduire son portefeuille lié à l’exploitation pétrolière et gazière en amont de 15 % d’ici 2030, par rapport aux données de référence de 2020.

Ces engagements sont de bonnes bases sur lesquelles s’appuyer. Mais les investissements verts ne représentent encore qu’une faible part du financement public dans l’énergie. Les institutions de financement public manquent d’outils pour évaluer si les investissements restants dans les industries exposées à la transition concordent réellement avec les objectifs climatiques.

Dans une certaine mesure, ces deux défis résultent d’une incohérence des normes et d’un manque de renseignements. Même lorsqu’une institution publique comme EDC ou BDC divulgue sa propre exposition au risque lié au climat et les émissions qu’elle finance, les entreprises qui sollicitent certains financements ne sont pas forcément soumises à un examen de la crédibilité de leurs plans climatiques ni de la cohérence de leurs projets aux objectifs carboneutres. Les institutions publiques ne disposent pas non plus d’indications sur la manière de concilier les avantages à court terme, tels que le maintien de l’emploi, avec les risques à long terme de la transition économique.

Plus d’informations pour de meilleurs investissements

L’un des moyens pour mieux renseigner les financiers consiste à uniformiser la méthode d’évaluation des investissements par rapport aux objectifs climatiques. C’est exactement à ça que sert la taxonomie de l’investissement climatique qui a récemment été proposée. Elle répertorie les pratiques exemplaires pour les entreprises qui souhaitent être admissibles au financement durable et établit des critères de référence sur lesquels peuvent s’appuyer les institutions financières pour mesurer leurs investissements. EDC est bien placée pour adopter cette taxonomie dans son intégralité, car elle dispose déjà d’un cadre pour classer les obligations dites « vertes » ou « de transition ».

Les actifs financés par ces obligations vertes doivent mesurer et divulguer une partie de leur exposition au risque de transition, de sorte que les autorités de réglementation élargissent naturellement ces exigences. Une uniformisation des règles de divulgation d’informations sur le climat contribuerait à harmoniser les règles du jeu et à doter les marchés de renseignements leur permettant de faire des paris plus durables. Pour aller plus loin, il serait aussi possible de créer un cadre plus détaillé pour déterminer si les investissements résisteront aux changements économiques qui accompagnent la transition énergétique.

Enfin, les institutions peuvent s’engager à investir une part encore plus importante de leur portefeuille dans des projets manifestement propres. Plus le capital alloué à la réduction des émissions est important, plus vite nous atteindrons nos objectifs. Des orientations plus détaillées et des objectifs plus ambitieux encourageront les organismes canadiens de financement public à débloquer des fonds plus rapidement et à les allouer à des projets qui promettent de plus grands avantages à long terme pour les investisseurs et le climat.