Skip to content

Une nouvelle analyse montre que la tarification du carbone industriel du Canada protège la compétitivité et la profitabilité

Les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs réduisent efficacement les émissions et ont un impact limité sur la profitabilité.

Malgré que l’administration Trump aux États-Unis compromettra probablement le progrès climatique à certains égards, une nouvelle analyse suggère que le Canada pourrait profiter du maintien, et même du renforcement, de ses politiques axées sur la compétitivité découlant de la tarification industrielle du carbone – aussi appelés systèmes d’échange pour les grands émetteurs. La fameuse loi américaine sur la réduction de l’inflation, l’Inflation Reduction Act, devrait par exemple persister sous une forme ou une autre et continuer d’appuyer l’industrie des États-Unis dans sa restructuration vers l’énergie propre. En outre, on s’attend à ce que la charge continue d’être menée à l’échelle infranationale par les États et les collectivités locales, qui viendraient combler le vide politique. De plus, le mouvement bipartisan pour l’ajustement carbone aux frontières, comme dans l’Union européenne, laisse croire que le protectionnisme émergent sous la forme d’une taxe sur le carbone n’est pas près de disparaître.

Les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs du Canada, conçus autour du principe de compétitivité, proposent une réponse équilibrée. Ces systèmes gardent les prix bas pour l’industrie, mais encouragent aussi la réduction des émissions et attirent les investissements. Ils permettent aux secteurs canadiens très polluants et tributaires du commerce de se conformer aux normes mondiales dans une ère de protectionnisme vert qui prend de l’ampleur. Le maintien et le raffinement des systèmes d’échanges pour les grands émetteurs devraient être une priorité au pays, afin de préserver la compétitivité des industries dans un contexte international qui valorise de plus en plus l’efficacité en matière de carbone, peu importe les revirements politiques aux États-Unis.

La tarification du carbone industriel peut réduire considérablement les émissions et les coûts pour l’industrie

Les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs sont un outil politique fondamental pour la lutte contre les changements climatiques du Canada. De précédentes études du projet 440 mégatonnes de l’Institut climatique ont montré qu’ils seront un meilleur moteur de réduction des émissions entre aujourd’hui et 2030 que toute autre politique. Et leurs avantages ne s’arrêtent pas là.

Bien que les systèmes d’échanges se révèlent efficaces pour réduire les émissions, les données suggèrent également qu’ils protègent, voire améliorent dans certains cas, la compétitivité et la profitabilité des industries canadiennes. Cela ne veut pas dire qu’ils sont parfaits – ils représentent quand même un risque politique et un potentiel d’instabilité pour le marché – mais nous y reviendrons dans des articles futurs.

L’engagement du Canada à réduire ses émissions dépend de diverses politiques, parmi lesquelles la tarification du carbone industriel occupe un rôle majeur. Chaque province et territoire applique soit son propre système d’échanges pour les grands émetteurs (comme le SPEDE au Québec et le système TIER en Alberta), soit celui du fédéral. Tous sont hautement efficaces; ils pourraient être à la source de 20 % à 48 % de la baisse progressive des émissions pour l’ensemble des politiques climatiques à l’horizon 2030, ce qui en fait l’instrument le plus efficace du lot.

Ces systèmes d’échanges sont conçus pour attirer les investissements dans la réduction d’émissions tout en préservant la compétitivité d’industries très polluantes et tributaires du commerce. Celles-ci sont essentielles à l’économie canadienne; une hausse importante de leurs coûts d’exploitation pourrait nuire à leur compétitivité et potentiellement déplacer la production – et les émissions – vers des pays où la réglementation sur le carbone est plus permissive.

Les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs agissent en obligeant les installations à payer le prix du carbone sur une partie de leurs émissions seulement. Cette approche atténue le fardeau financier que représente la politique tout en encourageant de grandes suppressions d’émissions. Le montant à payer est établi selon une norme de rendement, qui fixe une limite à l’intensité d’émissions de l’installation (la norme est généralement basée sur l’historique des émissions du secteur ou de l’installation). Si la limite de production d’émissions est franchie, l’installation doit compenser le surplus. 

Les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs proposent aux installations différentes manières de compenser leurs émissions, dont l’investissement dans des mesures d’atténuation, l’obtention d’unités d’émissions à échanger avec d’autres installations, l’accumulation d’unités pour une utilisation ultérieure, l’obtention de crédits compensatoires, ou le paiement du prix du carbone. Cette flexibilité permet de réduire davantage le coût de la politique. Les installations qui font mieux que les normes reçoivent des unités excédentaires qu’elles peuvent revendre, ce qui rend d’autant plus payants les projets réduisant leurs émissions.

La tarification du carbone industriel impose des faibles coûts de mise en conformité aux grands émetteurs

Malgré les avantages potentiels des systèmes d’échanges pour les grands émetteurs, certaines industries se disent préoccupées par les coûts associés. Toutefois, notre recherche montre que les coûts et répercussions sur la profitabilité de tels systèmes sont généralement faibles et, dans certains cas, même dans le négatif : les émetteurs peuvent générer des revenus en obtenant des unités d’émissions qu’ils peuvent revendre ou conserver pour une utilisation ultérieure. (Les unités accumulées pourraient procurer un taux de rendement annuel de 13 % entre aujourd’hui et 2030 puisque le tarif national du carbone monte, tout comme la valeur de la tonne d’émissions qu’il représente.)

La figure 1 montre le coût moyen des émissions pour les secteurs industriels couverts par les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs en 2025 et en 2030, selon les projections modélisées de Navius Research. Malgré les variations au sein des secteurs et des provinces et territoires, la tendance générale est évidente : les coûts de conformité aux systèmes d’échanges restent généralement bas jusqu’en 2030, même avec la montée du prix de référence du carbone à 170 $ par tonne. En 2025, aucun secteur ne paie plus que 10 $ en moyenne par tonne, et ce alors que le prix du carbone est de 95 $ par tonne. Le maximum, soit 27 $ par tonne, est atteint en 2030. En effet, nous constatons que certaines industries sont, selon la moyenne nationale, capables d’obtenir plus d’unités d’émission que ce qu’elles ont besoin d’acheter. Cette capacité à accumuler les unités et à vendre l’excédent se présente comme un coût moyen au-dessous de zéro dans la figure 1.

Veuillez noter que les coûts présentés ci-dessous représentent les moyennes nationales, et qu’ils varient légèrement par administration. L’Alberta est la seule administration avec un coût négatif pour les producteurs d’électricité : la conception particulière des seuils d’électricité dans cette province – très efficaces pour attirer et générer des capitaux pour l’électricité sobre en carbone – produit tant d’unités d’émissions qu’elle fait reculer la moyenne nationale du secteur électrique bien au-dessous de zéro.

Les résultats de la modélisation prennent plus en compte que le prix du carbone. La modélisation intégrée reflète les dynamiques essentielles derrière les coûts réels, comme la mise en place des technologies à un coût inférieur à celui du carbone ainsi que les retombées des subventions industrielles et le recyclage des revenus, qui font davantage baisser les coûts de mise en conformité pour mener à une réduction marquée des émissions. L’effet net de ces dynamiques est la compensation, voire la réduction, des coûts généraux.

La tarification industrielle du carbone protège la profitabilité

Malgré tout, la mesure du coût moyen brosse un tableau incomplet. Elle ne tient pas directement compte des dynamiques essentielles derrière les coûts réels, comme la mise en place des technologies à un coût inférieur à celui du carbone ainsi que les retombées des subventions industrielles et le recyclage des revenus, qui font davantage baisser les coûts de mise en conformité. De plus, elle n’inclut pas les coûts carbone des mesures réglementaires, comme la réglementation sur le méthane. Enfin, elle ne considère pas non plus le contexte financier des entreprises : un coût de 5 $ par tonne est-il élevé (et donc, handicape-t-il sérieusement la compétitivité)? Le tout dépend de leur marge de profit.

La profitabilité illustre mieux l’effet général sur l’industrie de la législation en matière de carbone. Comme le montre la figure 2, notre recherche suggère que les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs affectent très peu la profitabilité globale d’un secteur, même lorsque le prix du carbone monte à 170 $ par tonne en 2030. Les répercussions sur les profits sont encore plus minimes lorsque l’on tient compte des interactions entre les impôts et les redevances.

Dans la figure 2, on peut voir comment, en 2030, la baisse anticipée de la marge de bénéfice d’exploitation pour les grands émetteurs s’élève à seulement 0,6 point de pourcentage sous le scénario de tarification du carbone seule, alors que la marge moyenne se situe entre 36,1 % et 35,5 % sous la moyenne nationale. En moyenne, la marge brute des industries est inférieure de 2,2 % lorsque les effets du marché sont pris en compte. La situation s’améliore lorsque les avantages des subventions et de la vente d’unités d’émissions surpassent les coûts des autres politiques inscrites dans la loi, ce qui engendre un résultat net qui compense ou rééquilibre l’effet de toutes les politiques climatiques.

Bien qu’il y ait encore d’importantes variations entre les secteurs et régions (et également au sein de ceux-ci), les effets négligeables sur le profit à l’échelle nationale prouvent l’efficacité des systèmes d’échanges et des autres politiques climatiques à réduire les émissions sans sacrifier la compétitivité des grands émetteurs au Canada.

Comme le fait remarquer la Commission on Carbon Competitiveness, certaines industries canadiennes font face à des problèmes de compétitivité spécifiques lorsqu’elles tentent de réduire leurs émissions. Mais le statu quo n’est pas une option : elles devront toutes réduire leur empreinte carbone si elles espèrent affronter la concurrence étrangère et attirer les investissements dans un monde qui se soucie de plus en plus des émissions du commerce.

La tarification industrielle du carbone est un avantage stratégique, et non un frein à la concurrence

Les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs ne menacent pas la compétitivité du Canada; ils offrent plutôt un avantage stratégique dans le cadre de la restructuration pour la transition mondiale vers la carboneutralité, et ce, malgré la montée du protectionnisme. En encourageant la réduction des émissions et en gardant les coûts de conformité bas, ces systèmes placent le Canada en bonne position dans un monde qui cherche à se sevrer du carbone. Néanmoins, des défis demeurent, notamment l’opacité du marché, l’incertitude réglementaire et l’instabilité politique, qui entraînent une volatilité au sein des systèmes d’échanges. Il sera primordial de résoudre ces problèmes pour renforcer les systèmes fédéraux, provinciaux et territoriaux, car ils sont aux fondements de la résilience économique et de la compétitivité à l’échelle mondiale à long terme.

Comme nous l’avons déjà dit, les gouvernements peuvent résoudre ces problèmes en renforçant les systèmes de manière à stabiliser les prix et à encourager davantage de suppressions d’émissions. Restez à l’affût : dans les mois à venir, nous analyserons ces sujets plus en profondeur et étudierons les solutions visant à optimiser le rendement et l’effet des systèmes d’échanges pour les grands émetteurs.


Dave Sawyer est économiste principal à l’Institut climatique du Canada. Ross Linden-Fraser est associé de recherche principal à l’Institut climatique du Canada.