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L’efficacité énergétique, héroïne méconnue de la lutte du Canada contre les changements climatiques

L’efficacité énergétique attire peu l’attention, mais peut engendrer de considérables réductions d’émissions et des économies pour la population.

Les solutions comme les véhicules électriques, les thermopompes et l’énergie solaire et éolienne sont souvent à l’avant-plan des discussions sur l’atteinte des cibles climatiques du Canada. Si elles sont essentielles aux progrès à l’échelle du pays, elles éclipsent souvent l’efficacité énergétique, qui devrait jouer un rôle important dans la réduction des émissions de carbone, en particulier durant la présente décennie.

L’efficacité énergétique permet de réduire non seulement les émissions de carbone, mais aussi les coûts. Cependant, pour pouvoir l’utiliser à son plein potentiel, le Canada doit se doter de programmes d’efficacité énergétique accessibles partout au pays.

L’efficacité énergétique est un moteur

Si l’électrification est le pivot du progrès du Canada vers les cibles de 2030 et de 2050, l’efficacité énergétique en est le moteur : son apport gagnera en importance d’ici 2030, et demeurera stable par la suite (figure 1). En effet, notre analyse des trajectoires du Canada vers les cibles de 2030 et 2050 révèle que le rôle de l’équipement écoénergétique et des mesures d’efficacité énergétique sera encore plus prépondérant que celui de l’électrification d’ici 2030 dans la majorité de nos scénarios.

L’efficacité énergétique représente une réduction de 38 à 52 Mt pour 2030, ce qui équivaut à 13 à 17% des efforts requis pour atteindre la cible de 440 Mt.

Légende : Cette figure montre l’apport total, dans l’ensemble de l’économie, de l’efficacité énergétique et de l’électrification selon 62 trajectoires potentielles vers la carboneutralité d’ici 2050. Les bandes illustrent les fourchettes de valeurs estimées utilisées dans notre analyse de modélisation.

Le terme « efficacité énergétique » désigne toute technologie ou tout changement dans les activités qui donne les mêmes résultats avec moins d’énergie. Concrètement, il peut s’agir d’une meilleure isolation des domiciles et des bâtiments, ou de meilleures machines dans une installation industrielle comme une usine de pâte à papier ou une mine. Bien qu’elle soit présentée séparément ici, l’électrification est une importante mesure d’efficacité énergétique, car les véhicules électriques et les thermopompes consomment beaucoup moins d’énergie que leurs équivalents alimentés par des combustibles fossiles.

Notre analyse montre que ces améliorations de l’efficacité énergétique toucheraient tous les secteurs de l’économie du Canada. Le rôle de l’efficacité énergétique se stabilise après 2030 dans l’ensemble de l’économie et dans l’industrie et le transport au fil de l’abandon des énergies fossiles, mais elle demeure un important moteur de réduction des émissions dans le secteur du bâtiment jusqu’en 2050 (figure 2).

Légende : Cette figure présente le rôle que jouent l’efficacité énergétique et l’électrification dans le secteur du bâtiment selon 62 trajectoires potentielles vers la carboneutralité en 2050. Les bandes illustrent les fourchettes de valeurs estimées utilisées dans notre analyse de modélisation.

Le véritable potentiel de l’efficacité énergétique pourrait même être sous-estimé : elle pourrait être plus importante que notre analyse ne le laisse paraître, particulièrement si des technologies émergentes comme l’intelligence artificielle transforment notre façon de consommer de l’énergie.

L'efficacité engendre des réductions des émissions et des économies

Au Canada, les services publics et tous les ordres de gouvernement ont mis en œuvre des politiques pour favoriser l’efficacité énergétique dans l’ensemble de l’économie, par exemple : les programmes de subvention et de prêt pour des maisons plus vertes et les normes sur les véhicules légers du gouvernement fédéral; l’amélioration des codes du bâtiment de la Colombie-Britannique; le programme d’efficacité énergétique industrielle et de captation, d’utilisation et de stockage du carbone de l’Alberta; et le projet pour l’efficacité énergétique des maisons mi’kmaqs de la Nouvelle-Écosse, pour ne nommer que ceux-là.

Selon notre analyse, si les politiques fédérales et provinciales annoncées sont déployées rapidement et avec efficacité, elles pourraient améliorer l’intensité énergétique de l’économie canadienne de 21 % au cours de la présente décennie, soit à un rythme plus rapide que les améliorations antérieures, pour presque atteindre les objectifs de la trajectoire vers la carboneutralité.

Non seulement l’efficacité énergétique contribue à la réduction des émissions et à l’atteinte des cibles climatiques du Canada, mais elle peut aussi réduire les coûts, autant à l’échelle systémique que résidentielle. À l’échelle systémique, diminuer la quantité d’énergie requise pour fournir les mêmes services peut abaisser les coûts d’infrastructure des services publics. En termes clairs, la réduction de la demande peut engendrer une diminution de l’offre, et les mesures d’efficacité sont beaucoup moins chères que la construction de nouvelles sources de production. À l’échelle résidentielle, l’efficacité énergétique peut réduire les factures mensuelles en diminuant l’énergie utilisée pour chauffer et rafraîchir un domicile ou faire fonctionner les appareils ménagers, mais seulement si les ménages ont accès à ces mesures.

Les personnes à faible revenu doivent aussi pouvoir bénéficier de l'efficacité énergétique

Les ménages à faible revenu consacrent la majeure partie de leurs revenus à l’énergie, et pourraient donc tirer grand avantage d’une meilleure efficacité. Pourtant, c’est pour eux que les obstacles à l’adoption de solutions écoénergétiques sont les plus importants, car ils n’ont ni les fonds ni l’accès au crédit nécessaires. Ils sont aussi plus susceptibles de louer leur logement, ce qui signifie qu’en général, ils paient les factures d’électricité, mais que c’est leur propriétaire qui décide si et quand les fenêtres, l’isolation ou les appareils ménagers seront remplacés. Sans soutien ciblé, les ménages à faible revenu sont rarement à même de bénéficier d’améliorations de l’efficacité énergétique. C’est là une mauvaise nouvelle pour les efforts d’équité et de réduction des émissions du secteur du bâtiment.

Les gouvernements provinciaux et les services publics tout le Canada ont mis en place de nombreux programmes d’amélioration de l’efficacité énergétique pour les ménages à faible revenu. De son côté, le gouvernement fédéral a un rôle à jouer pour élargir l’échelle et la portée des programmes existants afin que les ménages à faible revenu puissent contribuer à la transition vers un avenir plus efficace et en bénéficier.

Le budget de 2023 comprend des investissements historiques dans la croissance et l’énergie propres, mais pas de nouvelles mesures de soutien pour l’efficacité énergétique, en particulier pour les ménages à faible revenu. Tous les regards sont rivés sur la stratégie pour des bâtiments verts du gouvernement fédéral, attendue dans l’année, qui présente une occasion en or d’améliorer l’efficacité énergétique du secteur du bâtiment de manière juste et équitable.


Anna Kanduth est associée de recherche principale et gestionnaire de l’initiative 440 mégatonnes à l’Institut climatique du Canada.