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Calcul de l’intensité des émissions par secteurs économiques

De nouvelles données révèlent les secteurs de l’économie canadienne qui affichent la plus haute intensité d’émissions de portée 1, 2 et 3.

Grâce à sa base de données sur l’intensité des émissions du Canada, qui suit le progrès climatique au pays, 440 mégatonnes aide les entreprises, les gouvernements et les ménages à estimer leur empreinte carbone.

De nouvelles données y ont été ajoutées depuis son lancement en novembre 2022.

La base de données indique l’intensité des émissions dans plus de 60 secteurs de l’économie et 51 catégories de dépenses de demande finale et d’exportations et ce, pour toutes les portées : combustion directe (portée 1), achats indirects d’électricité et de chauffage (portée 2) et chaînes d’approvisionnement (portée 3).

Les nouvelles données portent sur l’année 2021 et comprennent le Rapport d’inventaire national sur les émissions de gaz à effet de serre du gouvernement fédéral ainsi que de nouveaux points de données sur le PIB de Statistique Canada.

Ces ajouts permettent de comparer le progrès des secteurs et des catégories et d’actualiser l’outil offert aux utilisateurs.

Classement des secteurs canadiens par intensité d’émissions

Voici les cinq secteurs qui ont enregistré la plus forte intensité d’émissions en 2021, comparativement aux données de l’année précédente.

En 2021, le secteur de l’élevage et de l’aquaculture affichait la plus forte intensité d’émissions, suivi des réseaux d’aqueduc et d’égout et autres, de la sidérurgie, et ainsi de suite.

Dans la plupart des cas, les émissions relevaient surtout de la portée 1, la fabrication de produits du pétrole et du charbon étant la seule exception évidente. Certains secteurs se distinguent par la diminution de leur intensité d’émissions depuis l’année précédente, dont la fabrication de produits du pétrole et du charbon, l’élevage et l’aquaculture, et la sidérurgie.

Mises en garde au sujet de l’intensité d’émissions

Avant d’examiner les données de plus près, quelques mises au point s’imposent.

D’abord, il faut distinguer l’intensité des émissions d’un secteur – ce dont nous parlons ici – de ses émissions totales. Les données indiquent le ratio des émissions de gaz à effet de serre et de la valeur économique (contribution au PIB) de chaque secteur.

Cette mesure sert non seulement à estimer les émissions de portée 3 que les données de la chaîne d’approvisionnement ne permettent pas de calculer, mais aussi à illustrer les éventuels désavantages de politiques visant la réduction des émissions dans différents secteurs. Les secteurs qui affichent une intensité d’émissions élevée génèrent peu de richesse économique (PIB) par tonne de carbone émise, et vice versa.

Ensuite, il est important de noter que le dénominateur – ici le PIB – peut changer d’année en année, suivant les prix des produits et les marges de profit. Ainsi, une variation dans l’intensité ne reflète pas nécessairement une réduction des émissions émises par unité de production physique (tonne d’acier, baril de pétrole, etc.).

Les unités physiques sont donc une mesure plus exacte du progrès d’un secteur en matière de décarbonisation, mais les données en ce sens se font rares. Cela dit, le calcul des émissions par rapport au PIB demeure utile pour estimer l’intensité et constitue un paramètre permettant de comparer l’ensemble des secteurs économiques.

Analyse approfondie

Examinons dans cette optique la diminution importante de l’intensité d’émissions dans la fabrication de produits du pétrole et du charbon en 2021, soit près de 25 %.

Au premier abord, on croirait à une bonne nouvelle pour le progrès climatique. Or, le gros de cette diminution est dû à une chute du PIB de 32 % pendant l’année, alors que les émissions n’ont connu qu’une modeste réduction de 2 %.

Dans la même veine, l’intensité des émissions de l’élevage et de l’aquaculture est tombée de 15 %, en raison d’une baisse du PIB de 18 % – pas d’une baisse des émissions.

On voudra aussi prendre en compte la taille relative de ces différents secteurs; la figure 2 illustre la contribution au PIB de chaque secteur sur l’axe horizontal, et la quantité d’émissions de portée 1, 2 et 3 sur l’axe vertical. L’intensité totale est représentée par la taille des bulles.

De fait, lorsque l’on tient compte des émissions totales et de la contribution au PIB, le portrait change. La fabrication de produits du pétrole et du charbon est de loin première sur ces deux plans, mais quatrième sur celui de l’intensité. Parallèlement, le secteur des réseaux d’aqueduc et d’égout et autres est deuxième sur le plan de l’intensité, mais dernier sur celui des émissions et du PIB Le secteur de l’élevage et de l’aquaculture, dont l’intensité est la plus élevée des cinq, demeure aussi parmi les plus importants sur les plans des émissions totales et de la contribution au PIB.

Les technologies propres pour réduire l’intensité d’émissions

Néanmoins, dans chacun de ces secteurs, il existe des solutions pour réduire l’intensité d’émissions et se rapprocher de la carboneutralité.

Par exemple, les stations de traitement des eaux usées peuvent capter le biogaz et le substituer aux combustibles fossiles. Le secteur du ciment teste aussi diverses façons de réduire ses émissions, dont de nouvelles technologies de captage et stockage du CO₂ (voir cet article, celui-ci, celui-ci et celui-ci). Le remplacement du calcaire par des ressources renouvelables est également une avenue possible. Dans l’industrie de l’acier, les entreprises et le gouvernement ont investi gros dans des technologies de réduction des émissions visant l’abandon progressif des hauts fourneaux alimentés au charbon.

De plus, comme la plupart des émissions de l’élevage et de l’aquaculture sont attribuables au méthane produit par le système digestif du bétail et à la gestion du fumier, De plus, comme la plupart des émissions de l’élevage et de l’aquaculture sont attribuables au méthane produit par le système digestif du bétail et à la gestion du fumier, il serait possible de les réduire en changeant l’alimentation des animaux : remplacer le maïs par de l’orge, ajouter des algues et d’autres suppléments, favoriser les fourrages de grande qualité comme la luzerne, etc.

Ainsi, bien que la base de données sur l’intensité des émissions serve d’abord à estimer l’empreinte carbone, elle offre aussi une nouvelle perspective, par secteurs économiques, du progrès du Canada dans sa transition vers la carboneutralité.


Seton Stiebert est conseiller pour le projet 440 mégatonnes et conseiller principal de Stiebert Consulting.

Mesurer l’empreinte carbone du plastique

Ce que l’on sait et ce que l’on ignore sur les émissions de la production de plastique au Canada.

Lundi le 5 juin marquait le cinquième anniversaire de la Journée mondiale de l’environnement. Cette année, pour souligner les cinquante ans de la campagne de sensibilisation, l’Organisation des Nations Unies s’attaque plus particulièrement à la pollution plastique. Lorsqu’on pense à cet enjeu, on pense souvent aux déchets flottant dans les océans ou aux produits chimiques toxiques et microplastiques nuisibles pour la santé, mais on oublie souvent l’empreinte carbone.

Et pourtant! L’empreinte carbone des matières plastiques dans leur cycle de vie, de l’extraction de la charge d’alimentation au « traitement » des déchets est considérable. Qui plus est, comprendre et réduire les émissions du cycle de vie des matières plastiques au Canada, ce n’est pas simple. Dans l’analyse de la semaine, nous nous penchons sur ce que l’on sait et ce que l’on ignore à ce sujet.

De bout en bout : déterminer les émissions du cycle de vie des matières plastiques

Matière solide, polyvalente, légère et peu coûteuse, le plastique est devenu une partie intégrante de notre quotidien. Il permet d’emballer la nourriture de façon à réduire les déchets alimentaires, est une composante essentielle de nombreuses technologies innovatrices et de biens de consommation, et entre dans la fabrication des voitures, des autobus et des trains, notamment.

D’un autre côté, la matière plastique est une source croissante d’émissions de carbone. En effet, chaque étape du cycle de vie de la matière plastique – de l’extraction et du transport des combustibles fossiles à partir desquels elle est fabriquée, à la production elle-même, en passant par la gestion de déchets et la décomposition dans l’environnement – est source d’émissions.

L’OCDE estime qu’en 2019, la pollution issue du cycle de vie de la matière plastique représentait 3,4 % des émissions de carbone mondiales. Près de 90 % des émissions mondiales de plastique se produisent durant le processus de transformation à partir de combustibles fossiles et la production elle-même, tandis que les 10 % restants se produisent vers la fin du cycle de vie. Selon l’OCDE, sans une politique ambitieuse, avec l’augmentation de la consommation de plastique, les émissions pourraient plus que doubler à l’horizon 2060, notamment au Canada.

Bien que des recherches visant à circonscrire les émissions attribuables au cycle de vie du plastique aient été menées dans d’autres pays, dont les États-Unis, au Canada, les données sont fragmentaires, ce qui complique l’évaluation de la contribution de l’industrie du plastique aux émissions nationales.

Ce que l’on sait

En gros : nous n’avons pas assez d’information. Il existe très peu de données publiques sur les émissions du cycle de vie du plastique au Canada, hormis celles sur les émissions directement issues de la production (ce qui, en somme, demeure très peu).

En 2020, la fabrication de plastique au Canada a produit 703 kt éq. CO2, ce qui ne correspond qu’à 0,1 % des émissions annuelles totales du pays. Ce chiffre est resté plutôt stable au cours de la dernière décennie (figure 1). Si l’on ne regarde que les émissions de carbone du plastique pour le Canada, on pourrait croire que les émissions de ce secteur sont négligeables.

Ce que l’on ignore

Or, les données que nous avons ne reflètent qu’une partie du cycle de vie du plastique. La catégorie « production de plastique » ne tient compte que de la fabrication (aussi appelée transformation) de produits intermédiaires et finaux (emballages, bouteilles, tuyaux, etc.) à partir de résine de plastique neuve ou recyclée; elle exclut les émissions produites lors de la fabrication des produits chimiques et résines utilisés à l’étape de production. Selon une étude sur l’empreinte carbone mondiale du plastique réalisée en 2019, l’étape de transformation représente 30 % des émissions totales du cycle de vie, alors que l’étape de production de résine en génère 61 %.

Une autre source majeure des émissions de carbone est l’extraction et le transport des combustibles fossiles, la matière première du plastique. On sait que la résine vierge est le type de résine le plus utilisé par les producteurs de plastique canadiens et qu’elle est fabriquée à partir de pétrole ou de gaz naturel. Les émissions générées lors de l’extraction et du transport de gaz naturel et de pétrole, difficiles à quantifier, sont une source d’émission importante dans l’industrie.

Enfin, les émissions provenant de l’extraction et du transport des matières premières ainsi que de la production de plastique pourraient être significativement réduites par la réutilisation ou le recyclage. Malheureusement, au Canada, on ne recycle que très peu de plastique. En 2019, seuls 6 % des déchets ont été recyclés; 82 % se sont retrouvés dans les dépotoirs, 7 % n’ont pas été ramassés ou ont été mal gérés et 4 % ont été incinérés. Si le recyclage lui-même consomme de l’énergie et produit des émissions, il réduit le besoin de matières premières et évite à une partie des déchets de terminer dans les dépotoirs et incinérateurs, deux sources d’émissions.

Que faire?

Plusieurs avenues s’offrent au gouvernement (et sont déjà empruntées) pour réduire les émissions du cycle de vie du plastique : interdiction des plastiques à usage unique, création de mesures incitatives financière pour le recyclage, amélioration des normes de recyclage et d’étiquetage, investissement dans des technologies novatrices d’économie circulaire, utilisation d’énergie renouvelable pour les procédés de production et mise en œuvre de programmes de responsabilisation des producteurs de plastique. Au-delà des mesures prises chez nous, le Canada s’engage aussi à faire des efforts à l’international, notamment par son appui à l’élaboration d’un traité mondial sur la gestion du plastique.

Au bout du compte, pour bien gérer, il faut d’abord mesurer. Ainsi, si nous voulons comprendre les émissions du cycle de vie du plastique et réduire son empreinte carbone au Canada, il nous faut plus de données, plus de transparence et une meilleure responsabilisation. L’inscription des émissions au registre fédéral de plastique proposé – pour lequel le dépôt du projet de règlement est prévu pour la fin 2023 – pourrait être une solution pour avoir l’heure juste à ce sujet.


Anna Kanduth était la directrice de l'initiative 440 mégatonnes à l’Institut climatique du Canada.

Couper dans le gras des déchets alimentaires, une bonne façon de réduire les émissions et d’économiser pour les ménages

La consommation et l’élimination de produits alimentaires canadiens génèrent chaque année 58 mégatonnes (Mt) d’émissions de carbone intrinsèques. En s’attaquant au gaspillage, on pourrait retrancher plus de 6 Mt de ces émissions, tout en allégeant le fardeau économique des ménages.

Quoi de neuf?

L’achat de nourriture de provenance canadienne représente 58 Mt d’émissions de carbone intrinsèques – 48,7 Mt des ménages et 9,6 Mt de la restauration et des services alimentaires. Pour mettre les choses en perspective, les émissions de carbone intrinsèques à l’achat de produits alimentaires locaux de tous genres équivalent, grosso modo, aux émissions combinées des secteurs du raffinage du pétrole, du ciment et du béton, du fer et de l’acier et des produits chimiques.

Dans sa démarche de carboneutralité, le Canada ne pourra pas ignorer les émissions du secteur alimentaire. Un bon point de départ serait de réduire la quantité considérable de déchets générés par les ménages, les restaurants et les services alimentaires. Il pourrait ainsi aller chercher plus de 6 Mt de réduction d’émissions, alléger le fardeau financier des ménages et diminuer la pollution de l’eau et la perte de biodiversité.

Les émissions issues des déchets alimentaires, plus que des miettes

En 2020, environ 6,4 millions de tonnes de déchets alimentaires ont fini dans les ordures au Canada, soit environ 20 % de la nourriture consommée à la maison ou achetée ailleurs. De ces rebuts, environ 40 % auraient pu être consommés; la différence représente des pertes inévitables, soit des restes de tables et de cuisine (Van Bemmel et Parizeau, 2020). Et ce gaspillage évitable coûte, assoyez-vous bien, 12,8 milliards de dollars par année. À ce gouffre économique s’ajoutent des répercussions climatiques, deux sources majeures d’émissions intrinsèques générées par les déchets alimentaires évitables :

  1. Les émissions issues de la production et du transport des aliments, ou émissions de portée 3, sont intrinsèques à la nourriture consommée. Pour estimer la part d’émissions intrinsèques évitables des déchets alimentaires, il faut calculer la quantité et l’intensité carbonique de la nourriture gaspillée. On estime la quantité de déchets alimentaires évitables générés par une famille de quatre à 326 kg par année, en présumant que 40 % des déchets alimentaires envoyés aux sites d’enfouissement pourraient être évités. Ces ordures représentent une dépense évitable de 940 $. En nous servant de la base de données sur l’intensité carbonique du Canada du projet 440 mégatonnes et en réduisant l’intensité carbonique de la nourriture des ménages à 25 % pour éviter le double comptage des émissions dans la chaîne d’approvisionnement, nous avons évalué les émissions de portée 3 issues des déchets alimentaires à 470 kg d’équivalent CO2 par famille par année.
  2. Les déchets alimentaires envoyés aux sites d’enfouissement génèrent du méthane, un gaz à effet de serre. Nous utilisons la base de données sur l’intensité carbonique du Canada pour calculer les émissions en amont et les émissions liées à l’élimination des déchets solides indiquées dans le Rapport d’inventaire national pour mesurer les émissions liées à l’élimination de la nourriture. Dans les sites d’enfouissement, les émissions issues des déchets alimentaires ménagers seraient de 172 kg d’équivalent CO2 par personne par année. Si 40 % des rebuts de ce type sont évitables, c’est donc dire que, pour une famille de quatre, les émissions intrinsèques du gaspillage représentent 276 kg d’équivalent CO2.

Pour une famille de quatre, les émissions intrinsèques totales issues des déchets alimentaires s’élèvent à 746 kg d’équivalent CO2 par année. Ainsi, les émissions totales provenant des déchets alimentaires évitables de la population canadienne avoisinent 6 Mt par année.

Les gouvernements doivent s'attaquer au gaspillage alimentaire et à d'autres enjeux

Les émissions issues des déchets alimentaires sont assez élevées pour que tous les ordres de gouvernement en fassent une priorité dans l’élaboration de leurs plans pour atteindre 440 mégatonnes de réduction d’ici 2030 et la carboneutralité par la suite. Lorsqu’on tient compte des autres retombées environnementales – ralentissement de la perte de biodiversité et diminution de la pollution de l’eau – ainsi que des économies potentielles pour les ménages, il ne manque pas d’arguments politiques pour lutter contre le gaspillage alimentaire.

S’il s’agit d’un bon point de départ pour réduire les émissions du secteur alimentaire canadien, il reste fort à faire. Par exemple, en renforçant la réglementation sur les émissions de méthane des sites d’enfouissement et en injectant des capitaux pour les municipalités qui n’ont pas les moyens d’investir dans des projets de valorisation énergétique des déchets, on pourrait réduire grandement le coût de l’élimination des déchets alimentaires en fin de vie. De plus, pour inciter les producteurs agroalimentaires à s’attaquer aux émissions en amont, il faudrait mettre fin à l’exemption de redevance sur les combustibles liquides utilisés dans le cadre d’activités agricoles. Restez à l’affût pour d’autres analyses sur les moyens que pourrait prendre le Canada pour couper dans le gras des émissions générées par les produits alimentaires canadiens.  


Seton Stiebert est conseiller pour le projet 440 mégatonnes et conseiller principal de Stiebert Consulting. Dave Sawyer est économiste principal à l’Institut climatique du Canada.