Une nouvelle analyse montre comment une mise à jour de la tarification du carbone industriel pour rendre les marchés plus efficaces et maintenir la participation aux systèmes réduira davantage les émissions et procurera un degré de certitude accru à l’industrie.
Il faut mettre à jour les systèmes de tarification du carbone industriel au Canada. Même si ces politiques sont les principaux facteurs favorisant la réduction des émissions au pays et d’importants outils pour attirer les investissements tout en ne coûtant quasiment rien aux consommateurs, il est de plus en plus évident qu’elles ne réalisent pas leurs pleines capacités. L’incertitude en découlant représente un obstacle pour les entreprises canadiennes qui pourraient sinon investir dans de grands projets à faibles émissions de carbone et donc préserver leur compétitivité à long terme.
Deux points de données illustrent les problèmes à résoudre. Tout d’abord, selon de nouvelles études menées par l’Institut climatique du Canada et Navius Research, il est de plus en plus évident que certains marchés derrière ces systèmes sont en voie de mal fonctionner, nuisant au certitude dont les investisseurs ont besoin pour soutenir les projets de réduction des émissions. Ensuite, certaines installations participant actuellement à ces systèmes s’apprêtent à le quitter, ce qui réduirait les marchés et atténuerait leurs répercussions.
Le faible prix des crédits de carbone constitue la première menace pour la tarification du carbone industriel
Au centre des politiques de tarification du carbone industriel au Canada, on trouve des marchés sur lesquels les installations industrielles achètent et vendent des permis (ou des crédits) pour leurs émissions. Ces marchés sont la raison pour laquelle on utilise également le terme « systèmes d’échanges pour les grands émetteurs » ou SEGE pour désigner ces politiques. Les installations qui réduisent leurs émissions obtiennent des crédits et peuvent les vendre à des installations dont les émissions sont plus élevées. Le pouvoir du marché réside dans le prix des crédits, qui agissent comme un bâton pour les installations qui polluent davantage et une carotte pour celles qui investissent dans la réduction des émissions.
Le problème? Le prix des crédits peut ne pas évoluer comme prévu. Dans le passé, l’Institut climatique du Canada a publié des études illustrant comment le prix des crédits dans certains systèmes d’échanges pour les grands émetteurs pourrait diminuer au cours des prochaines années, nuisant aux incitatifs qui servent à réduire les émissions. L’Institut a collaboré avec Navius Research pour mettre son analyse précédente à jour, et a conclu que les risques n’ont pas été éliminés. En fait, ils ont plutôt empiré.
La figure 1 illustre le prix projeté, selon les études les plus récentes, des crédits sur les marchés d’échange pour les grands émetteurs au Canada en 2030. Pour procurer un degré de certitude et un rendement sur lesquels les investisseurs comptent, le prix des crédits devrait augmenter pour atteindre 170 $ la tonne d’émissions en 2030. Cependant, ce n’est pas ce qui se produit en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan, en Ontario et en Nouvelle-Écosse. Dans ces marchés, le prix des crédits pourrait être plutôt inférieur, affaiblissant les incitatifs favorables aux investissements dans les projets de réduction des émissions.
Figure 1
Le prix bas des crédits est la conséquence du fait qu’on trouve un trop grand nombre de crédits offerts à l’achat sur le marché. Comme 440 mégatonnes l’a écrit dans le passé, tous les marchés des SEGE ont été conçus pour maintenir un équilibre étroit entre l’offre et la demande. Cette situation place les systèmes dans une position vulnérable. De petits changements aux perspectives économiques pourraient facilement entraîner une offre excédentaire de crédits et une baisse des prix. Le prix inférieur des crédits ne réduit pas considérablement les coûts. Les SEGE fonctionnels disposent déjà de faibles coûts dès la conception afin de protéger la compétitivité. Cependant, un prix inférieur des crédits amoindrit de manière importante l’incitatif pour réduire les émissions. C’est mauvais pour les investisseurs, qui ont besoin d’un degré de certitude pour aller de l’avant avec de grands projets.
Les prix réels des crédits qui émergent sur ces marchés dépendront de nombreux facteurs, dont certains sont difficiles à quantifier ou à prévoir. L’évolution de la technologie, les conditions du marché et de la certitude sont autant de facteurs imprévisibles qui influent sur les marchés du carbone. Le manque de transparence du fonctionnement interne de ces marchés les rend également plus difficiles à modéliser. Ce qui est clair, c’est qu’ils sont confrontés à des risques importants.
Le problème peut être pire que cette étude suggère. Les données du marché de l’Alberta et les résultats des ventes aux enchères au Québec montrent que la valeur des crédits dans certains SEGE est déjà inférieure aux attentes. En outre, l’Alberta prévoit des revenus inférieurs aux attentes dans le cadre de son système TIER au cours des prochaines années, alors que les participants utiliseront les crédits excédentaires se trouvant dans le système. Si les systèmes ne changent pas, le prix bas des crédits demeurera.
Les émetteurs qui quittent le système représentent la deuxième menace touchant la tarification du carbone industriel
Une participation réduite est un autre défi imminent qui aggraverait les problèmes auxquels font face les marchés d’échanges pour les grands émetteurs.
Tous les marchés d’échanges pour les grands émetteurs au Canada comptent deux types d’installations participantes, celles qui sont obligées d’y participer et celles qui choisissent d’y participer. Les installations figurant dans la deuxième catégorie sont les installations qui ont adhéré volontairement au système. Ces dernières sont plus petites que les installations tenues d’y participer. Cependant, même les installations qui se trouvent l’extrémité la plus petite de l’échelle produisent tout de même presque la même quantité de gaz à effet de serre que 2 200 voitures par année. Jusqu’à récemment, ces installations pouvaient choisir de payer la redevance fédérale sur les combustibles ou de participer aux systèmes de tarification du carbone industriel. Elles ont été nombreuses à choisir de participer à ces systèmes, car, même si la tarification du carbone industriel ajoutait un certain fardeau administratif, ses marchés de crédit offraient des coûts inférieurs et même la possibilité d’obtenir des remboursements. Maintenant que la redevance sur les combustibles a été abolie, les installations qui ont pris part au SEGE pendant des années pourraient tout simplement quitter le système.
Le retrait des installations ayant adhéré volontairement au système pourrait représenter une baisse considérable de la couverture, surtout en Alberta, qui compte de nombreuses petites installations de pétrole et de gaz, mais qui n’oblige que les installations ayant des émissions relativement élevées (celles qui émettent l’équivalent d’au moins 22 000 voitures par année) à participer au marché d’échange de crédits. Selon cette nouvelle analyse, des installations représentant 31 mégatonnes (Mt) d’émissions pourraient se retirer des marchés des SEGE au Canada au cours de la prochaine année. Cela représente environ 9 % des émissions industrielles du Canada en 2023.
La figure 2 illustre la signification que prendrait le retrait des installations ayant adhéré volontairement au système pour la couverture des SEGE au pays.
Figure 2
Heureusement, les responsables des politiques peuvent tenir compte de ces risques. Si les gouvernements prennent des mesures pour s’assurer que les participants continuent de prendre part aux systèmes et moderniser leurs marchés, les SEGE peuvent procurer un degré de certitude supérieur aux investisseurs et offrir des réductions des émissions plus importantes. Cette nouvelle analyse conclut que des modifications aux politiques pour préserver la fonction et la couverture des SEGE permettraient de réduire jusqu’à 25 Mt d’émissions supplémentaires. C’est un chiffre conservateur. Comme 440 mégatonnes l’a écrit dans le passé, un prix faible des crédits pourrait réduire de moitié l’efficacité des SEGE en 2030. Les avantages de systèmes resserrés pourraient donc être supérieurs.
Le gouvernement fédéral devrait moderniser rapidement la tarification du carbone industriel
Les avantages que procurent des systèmes d’échanges pour les grands émetteurs modernisés, et les risques associés à leur conception sont trop importants pour qu’on puisse les ignorer. Des mesures stratégiques rapides peuvent mettre à jour les marchés du carbone industriel, afin qu’ils puissent continuer à soutenir des projets qui sont au centre de la compétitivité à long terme de l’industrie canadienne. En revanche, les retards au chapitre des politiques pourraient tout simplement entraîner des retards au chapitre des projets.
La liste des priorités climatiques ne semble jamais se raccourcir. Cependant, elle devient parfois plus précise. Dans ce cas-ci, les données sont sans équivoque. Parmi les principales priorités au chapitre de la politique climatique, il faudrait accorder notre attention à la modernisation de la tarification du carbone industriel.
Ross Linden-Fraser est chargé de recherche à l’Institut climatique du Canada. Dale Beugin est vice-président exécutif à l’Institut climatique du Canada. Rick Smith est président de l’Institut climatique du Canada.