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Comment le Canada peut-il réduire les émissions de l’industrie lourde?

Il s’agit de la première analyse d’une série portant sur l’industrie lourde. Dans les prochains mois, 440 mégatonnes publiera une série d’analyses sur la manière dont l’industrie lourde peut tracer la voie vers la carboneutralité : les politiques utiles et les stratégies qui permettraient au Canada de faire de la transformation industrielle un avantage compétitif.


On prévoit que l’industrie lourde, diversifiée et difficile à décarboner, soit l’un des moteurs d’une économie carboneutre.

L’industrie lourde produit beaucoup de matériaux indispensables à une économie carboneutre; pensons à l’acier pour les éoliennes ou aux minéraux que l’on retrouve dans les batteries des véhicules électriques. Toutefois, les procédés de fabrication de ces produits sont souvent énergivores et très polluants.

Lorsque l’on parle de l’industrie lourde canadienne, on désigne en fait plusieurs grands secteurs du pays (en excluant toutefois le pétrole et le gaz). Cette industrie se divise généralement en sept sous-secteurs : l’extraction minière; la fonte et le raffinage de métaux non ferreux (comme le nickel ou l’aluminium); les pâtes et papiers; la sidérurgie; le ciment; la chaux et le gypse; et les produits chimiques et l’engrais. Ensemble, ces sous-secteurs représentaient 11 % des émissions du Canada en 2022, issues d’un mélange de l’utilisation de combustibles fossiles et de processus chimiques.

Dans un contexte où le Canada poursuit ses objectifs de réduction des émissions, chacun de ces sous-secteurs devra tracer sa propre voie vers la carboneutralité.

Le défi et la promesse

Selon l’Agence internationale de l’énergie, quatre raisons expliquent la lenteur que met l’industrie lourde à se décarboner. Premièrement, elle devra s’appuyer davantage sur les technologies émergentes comme la captation du carbone ou l’hydrogène. Deuxièmement, à court terme, les processus de production carboneutres seront plus coûteux. Troisièmement, comme beaucoup de produits industriels font face à une concurrence internationale, il est plus difficile de refiler la facture des hausses de coûts aux clients. Quatrièmement, comme les installations industrielles sont durables et exigent d’importants investissements, elles présentent un plus haut risque de freiner la hausse des émissions.

Ces enjeux ont eu une incidence sur les politiques climatiques industrielles au Canada. Par exemple, la tarification du carbone pour les gros émetteurs est conçue pour protéger les secteurs des compétiteurs qui émettent beaucoup et vendent à bas prix, tout en favorisant la réduction des émissions.

Une industrie lourde canadienne carboneutre profitera à la compétitivité du pays et au climat mondial. Les minéraux critiques sobres en carbone, l’aluminium et l’acier ne sont là que quelques-uns des produits en demande croissante dans le contexte mondial de décarbonation. D’autres pays instaurent des politiques à l’avantage des producteurs peu émetteurs. Ainsi, les industries canadiennes qui peuvent réduire leurs émissions seront mieux placées pour saisir ces occasions.

Ces occasions sont aussi très importantes pour les quelque 300 000 personnes travaillant dans l’industrie lourde canadienne, et pour les régions où les installations industrielles sont concentrées, que ce soit pour l’exploitation minière dans le nord, pour l’aluminium au Québec ou pour les produits chimiques et l’engrais dans les Prairies.

Plusieurs tendances – parfois concurrentes – influencent les émissions de l’industrie lourde

Chaque secteur de l’économie canadienne est énormément diversifié. Dans l’industrie lourde, plusieurs tendances, parfois contradictoires, ont une influence sur les émissions.

La tendance générale de ce secteur est positive. Entre 2005 et 2022, les émissions ont baissé d’environ 13 mégatonnes (Mt), ou de 15 %. Six des sept sous-secteurs ont d’ailleurs vu leurs émissions diminuer durant cette période (figure 1).

Cependant, d’autres tendances viennent nuancer cette première impression positive. Tout d’abord, dans le secteur minier – l’un des plus grands sous-secteurs et avec un fort potentiel de croissance économique – les émissions sont à la hausse : elles ont augmenté de 3 Mt depuis 2005.

Ensuite, dans certains cas, si les émissions sont à la baisse, c’est parce que les sous-secteurs s’affaiblissent, et non parce qu’ils sont plus efficaces.

Les émissions sont le produit de trois grands moteurs : l’activité économique, l’intensité énergétique et l’intensité des émissions.

Certains sous-secteurs de l’industrie lourde émettent moins puisqu’ils ont réduit l’intensité de l’énergie ou des émissions de leurs activités. Le sous-secteur des produits chimiques et engrais en est un bon exemple. Mais si l’on prend le secteur des pâtes et papiers, la baisse des émissions est fortement associée à une baisse de production (figure 2).

La déclaration des émissions officielles du Canada s’inscrit dans la même lignée. Selon le dernier Rapport d’inventaire national, c’est « l’évolution continue de la production canadienne vers d’autres secteurs et services » qui a le plus influencé les émissions de l’industrie lourde.

La figure 2 présente une manière de comparer ces tendances. Elle illustre l’évolution du PIB, de l’intensité énergétique et de l’intensité des émissions de chaque sous-secteur depuis 2005. Dans les prochaines analyses, nous étudierons ces facteurs plus en profondeur.

Chaque secteur a sa propre trajectoire vers 2030

La trajectoire du Canada vers ses objectifs climatiques est la somme de multiples trajectoires individuelles de plusieurs secteurs partout au pays. Bien que les industries lourdes puissent avoir quelques éléments et défis en commun, chaque sous-secteur a des facteurs d’émissions différents et aura besoin de sa propre combinaison de solutions pour atteindre la carboneutralité.

Dans les mois à venir, 440 mégatonnes étudiera ces facteurs et solutions plus en profondeur. Bien que l’industrie lourde ne soit pas le secteur le plus polluant au Canada, elle représente l’un des plus grands défis. Ses émissions sont difficiles à réduire, et même si la décarbonisation fait partie de ses intérêts à long terme, cette industrie devra composer avec des coûts à court terme. Les décideurs ont un rôle crucial à jouer pour guider le secteur vers la compétitivité à long terme.


Ross Linden-Fraser est associé de recherche principal à l’Institut climatique du Canada.