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Seulement un tiers des grandes entreprises du Canada ont les émissions de portée 3 dans leur mire

Les grandes sociétés canadiennes ne tiennent pas encore compte de toute la pollution générée par les produits qu’ils vendent, ce qui risque de nuire à leur situation économique aussi bien qu’à leur réputation.

Quoi de neuf?

Plus tôt ce mois-ci, le Groupe d’experts de haut niveau sur les engagements de zéro émission nette des entités non étatiques, chien de garde de l’écoblanchiment de l’ONU, a publié un rapport visant à montrer du doigt les promesses environnementales illusoires de certaines entreprises.

Dans l’une de ses principales recommandations, le rapport invite les entreprises à établir des cibles climatiques qui englobent les émissions de portée 1, 2 et 3 – soit les émissions de l’ensemble de leur chaîne de valeurs. Bien que notre analyse montre que plus de la moitié des 60 entreprises canadiennes cotées à la Bourse de Toronto (TSX 60) se sont fixé des objectifs climatiques pour 2030, seulement le tiers d’entre elles ont intégré les émissions de portée 3 à leurs plans.

Non seulement l’omission des émissions de portée 3 limite considérablement l’incidence de leurs objectifs climatiques, elle les expose au risque de se retrouver en queue de peloton dans la course nationale et mondiale de la transition énergétique.

Les émissions de portée 3 et pourquoi elles comptent

D’abord, un peu de terminologie : les « émissions de portée 1 » sont les émissions contribuant au réchauffement planétaire dont l’entreprise est directement responsable – la consommation de carburant du parc de véhicules d’un transporteur, par exemple. Ensuite, les « émissions de portée 2 » sont celles générées par l’énergie achetée et consommée par l’entreprise – par exemple, l’électricité qu’une aciérie achète au réseau de distribution. Quant aux « émissions de portée 3 », elles englobent toutes les émissions dont l’entreprise est indirectement responsable – notamment celles générées par l’utilisation des produits qu’elle vend, ainsi que les émissions intrinsèques des produits et services qu’elle achète.

Les émissions de portée 3 sont primordiales pour plusieurs raisons :

  • Premièrement, elles sont loin d’être négligeables. Le Climate Disclosure Project a observé qu'elles représentaient entre 15 % et plus de 90 % des émissions totales d’une entreprise, selon le secteur.
  • Deuxièmement, elles font peser une menace réelle pour la réputation : une société qui ne tient pas compte des émissions de portée 3 dans ses engagements climatiques pourrait être accusée d’écoblanchiment.
  • Troisièmement, elles représentent un risque économique considérable : la demande pour des produits au fort carbone intrinsèque est vouée à décliner en regard de l’évolution rapide des technologies et des politiques.

Le calcul des émissions de portée 3 n'est pas simple, mais heureusement, il existe des outils pratiques

Si les entreprises sont réticentes à intégrer leurs émissions de portée 3 dans leurs cibles climatiques, c’est entre autres parce qu’elles sont difficiles à mesurer. Il y a des lacunes dans les données et un manque de capacité pour, d’une part, estimer adéquatement ces émissions et, d’autre part, fixer des objectifs et mettre en place des mesures pour les atteindre.

Certaines entreprises commencent à se pencher sur la question en consultant leurs fournisseurs, leurs partenaires et leurs distributeurs pour collecter des données primaires sur les émissions liées à leur chaîne de valeur et en utilisant les données secondaires comme les intensités carboniques moyennes du secteur. Par exemple, la plupart des grandes institutions financières, ou d’entreprises comme Chemin de fer Canadien Pacifique et Thomson Reuters, et des sociétés d’énergie, comme Teck Resources et Suncor, ont déjà commencé à suivre des pans de leurs émissions de portée 3.

Cependant, des obstacles majeurs à la collecte de données subsistent, notamment dus à l’absence des jeux de données sur les intensités carboniques.

440 mégatonnes propose deux nouveaux outils pour aider les entreprises à se mettre à l’œuvre : 

D’abord, notre nouvelle Boussole des engagements climatiques des entreprises permet de suivre les données disponibles publiquement sur les engagements climatiques des 60 plus grandes entreprises cotées à la Bourse de Toronto. On peut y voir un portrait sommaire des objectifs climatiques d’une entreprise, notamment ses cibles sur les émissions de portée 3 pour 2050 ou avant, et la ventilation de ses émissions de portée 3 par catégories, le cas échéant.

Si vous vous rendez sur la page de la Boussole et consultez les engagements de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, par exemple, vous verrez qu’elle compte réduire ses émissions absolues de portée 3 d’ici 2050, et qu’elle s’est fixé comme cible intermédiaire l’intensité carbonique des émissions de portée 3 de catégorie 3 (activités liées à l’énergie et au carburant non incluses dans les portées 1 et 2). 

Figure 2: Image tirée de la Boussole des engagements climatiques des entreprises

Table showing the Interim Target Progress for the top 60 companies listed on the Toronto Stock Exchange.
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Ensuite, pour les entreprises qui prévoient publier ou affiner leurs estimations d’émissions de portée 3, nous avons aussi lancé une base de données sur l’intensité carbonique du Canada, qui contient des données sur les émissions totales de portée 1, 2 ou 3 et les intensités carboniques selon le revenu, la valeur des produits achetés et le PIB d’un large éventail de secteurs, d’activités et de produits (consultez notre récente analyse « Pourquoi l’intensité carbonique est capitale – et une nouvelle façon de la mesurer » pour en savoir plus sur l’utilisation de la base de données). 

Notre démarche vise à combler certaines lacunes qui subsistent en proposant un jeu de données sur l’intensité carbonique que les entreprises peuvent utiliser pour estimer leurs émissions – en particulier celles qui ne sont peut-être pas encore en mesure d’obtenir ces renseignements directement des fournisseurs et des partenaires dans toute la chaîne d’approvisionnement.

Figure 3: Image tirée de la base de données sur l’intensité carbonique du Canada

Table of the Canadian Carbon Intensity Database, which contains data on Scope 1, 2, and 3 total emissions and carbon intensities by revenue, value of purchased goods, and GDP of a wide range of sectors, activities, and products
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En somme, toute entreprise canadienne qui compte sérieusement prospérer dans la transition mondiale vers la carboneutralité ne peut perdre de vue ses émissions de portée 3.


Arthur Zhang est assistant de recherche à l’Institut climatique du Canada.