Les entreprises du TSX 60 visent toujours largement la carboneutralité, mais presque la moitié d’entre elles n’ont pas annoncé les mesures climatiques qu’elles prendront pour l’atteindre.
L’établissement de cibles climatiques par les entreprises s’est vu ralentir l’an passé, alors que des géants comme Microsoft et Walmart sont revenus sur leurs promesses. Plus tôt ce mois-ci, plusieurs grandes institutions financières du Canada se sont retirées de la Net Zero Banking Alliance, ce qui s’ajoute à une série de replis d’entreprises dans l’action climatique.
Malgré ces revers, notre dernière analyse révèle qu’en 2024, plus des deux tiers des plus grandes sociétés du Canada sont restées déterminées à atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Ce sont de bonnes nouvelles, qui se font rares dans ce domaine des politiques climatiques dernièrement.
Toutefois, la mise en place de cibles n’est que la première étape. Le plus important, ce sont les mesures que prend une entreprise pour réduire ses émissions. Celles-ci intéressent non seulement les organisations faisant le suivi des progrès, mais aussi les investisseurs impatients d’injecter des capitaux dans les projets de décarbonisation.
Dans l’analyse de cette semaine, nous examinons les cibles des plus grandes entreprises du Canada et leurs plans pour les atteindre. Le secteur privé au Canada garde le cap sur la carboneutralité, mais des doutes planent sur les mesures qu’il prendra pour y arriver.
Les cibles climatiques des entreprises ont légèrement chuté, mais restent résilientes
Selon notre analyse des 60 plus grandes entreprises du Canada cotées à la Bourse de Toronto (TSX 60), en 2024, 66 % ont réitéré leur intention d’atteindre la carboneutralité (figure 1). C’est une légère baisse par rapport aux 71 % de l’année précédente. Les cibles intermédiaires de réduction des émissions sont pratiquement restées les mêmes : 89 % des entreprises du TSX 60 ont des cibles établies avant 2050.
Certaines ont même accru leurs ambitions. Par exemple, Waste Connections a doublé sa cible pour 2033, soit de 15 % à 30 %, et des institutions bancaires comme la Banque Scotia et la Banque de Montréal ont élargi la portée de leurs cibles d’émissions financées pour couvrir davantage de secteurs dans leurs portefeuilles, malgré leur départ récent de la Net Zero Banking Alliance.
Place à l’amélioration : il faut passer de la planification à l’action
Ce recul dans les engagements climatiques pourrait être dû en partie à la pression grandissante pesant sur les entreprises, qui sont appelées à démontrer qu’elles prennent au sérieux l’atteinte de leurs objectifs climatiques. C’est pourquoi notre Boussole des engagements climatiques des entreprises montre maintenant aussi les données sur les mesures climatiques qu’elles entendent prendre pour réduire leurs émissions.
Globalement, il reste un grand fossé à combler entre les cibles établies et les mesures pour les atteindre. D’après notre analyse, plus de la moitié des entreprises du TSX 60 ont publié au moins une mesure de réduction des émissions qu’elles prévoient prendre dans leur rapport de durabilité. Pourtant, seulement 28 % ont inclus un échéancier pour leur action climatique (figure 2). Des 89 % des sociétés s’étant fixé une cible de réduction des émissions, seulement 54 % ont publié au moins une action qu’elles prendront pour l’atteindre.
De plus, on ne sait pas si ces mesures suffiront à atteindre les cibles climatiques des entreprises.
La grande majorité des mesures publiées se classent dans les types d’atténuation suivants : efficacité, décarbonisation des sources d’énergie, et remplacement des combustibles pour l’utilisation finale (figure 3). Il peut s’agir d’installation de DEL, du remplacement de chaudières par des thermopompes, du passage aux véhicules électriques, de l’achat de davantage d’énergie renouvelable, ou d’autres mesures de décarbonisation propres à certains secteurs, comme la réduction du méthane pour les sociétés énergétiques. D’autres mesures moins courantes sont l’exploration de la faisabilité de projets de captation, utilisation et stockage du carbone, et les investissements et partenariats dans des projets pilotes de carburants de remplacement ou de biocarburants.
Il s’agit d’un bon point de départ pour cibler les types de mesures que pourraient prendre les entreprises, mais la plupart d’entre elles n’ont pas indiqué si ces mesures suffiront pour atteindre les cibles, ni pour couvrir toute leur chaîne d’approvisionnement. Ces questions deviennent de plus en plus urgentes, d’autant plus que pour certaines entreprises, les cibles intermédiaires les plus proches sont en 2030, dans seulement cinq ans.
Faire basculer la priorité des entreprises vers les mesures climatiques et les échéanciers
La vaste majorité des grandes entreprises du Canada qui s’étaient engagées à réduire leurs émissions sont restées fermes en 2024, et ont même accru leurs ambitions, ce qui est tout à leur honneur. À mesure que les entreprises canadiennes progressent au-delà de l’établissement de cibles, celles qui prennent les devants dans l’action climatique seront les mieux placées pour être concurrentielles dans un avenir sobre en carbone.
Les entreprises ne sont pas toujours capables de mettre en œuvre leurs mesures climatiques par elles-mêmes. Par exemple, Nutrien, une société du TSX 60, cite la demande du marché et des soucis de volatilité comme raisons de la suspension de ses plans pour une ambitieuse installation d’ammoniac bleu à Geismar. Les gouvernements ont encore un rôle à jouer pour réduire les incertitudes entourant des projets de technologies propres à grande échelle, même si les progrès en matière de climat connaissent des revers au sud de la frontière.
Par contre, les entreprises ne devraient pas non plus attendre que les gouvernements leur prennent la main si elles veulent sérieusement réduire leurs émissions. Il est temps pour les entreprises du Canada de montrer comment elles atteindront leurs cibles climatiques et prospéreront dans un avenir exigeant de plus en plus des produits et services propres.
Arthur Zhang est associé de recherche principal à l’Institut climatique du Canada.