Les mandats de vente de véhicules moyens et lourds zéro émission peuvent assurer la réussite du secteur à long terme.
Le secteur des véhicules moyens et lourds (VML) est une pierre d’assise de l’économie canadienne, mais aussi un grand contributeur aux émissions de carbone, qui gagne en importance. En 2021, les VML (ce qui comprend les camionnettes commerciales, les fourgonnettes, les autobus et les camions de fret) représentaient environ 61 Mt d’émissions, soit autour de 9 % du total canadien. Les émissions du secteur ont augmenté ces 20 dernières années, surtout en raison de la croissance des activités et du parc routier.
Comme le secteur devrait continuer son expansion au cours de la décennie, il faudra absolument gagner en efficacité et passer aux technologies et aux combustibles de remplacement pour endiguer les émissions de carbone et atteindre les cibles que s’est fixées le Canada pour 2030 et 2050.
Cela dit, le secteur est confronté à des défis bien particuliers dans ce parcours vers la carboneutralité. Contrairement au transport personnel, où l’on s’attend à une prédominance des véhicules électriques, l’avenir est beaucoup plus incertain pour les VML. Dans ce contexte, les gouvernements ont un rôle central à jouer pour stimuler les avancées. Ils peuvent donner des orientations claires avec des politiques sans parti pris technologique, comme des mandats de vente pour des options zéro émission, qui ouvrent la porte à toutes sortes de solutions potentielles.
Progrès réalisés à ce jour
Même si les modèles se multiplient sur le marché, l’adoption des VML zéro émission est très limitée au pays, la majorité de ceux sur les routes étant des autobus passagers et des fourgonnettes commerciales.
Le faible intérêt du secteur pour les véhicules zéro émission (VZE) n’est pas surprenant. Des défis propres aux VML compliquent grandement la décarbonisation : coûts initiaux importants, disponibilité réduite des véhicules, obstacles technologiques, faible roulement des stocks de capital, insuffisance de l’infrastructure de recharge et méconnaissance par le public. Par ailleurs, selon notre évaluation du Plan de réduction des émissions pour 2030 et nos trajectoires vers la cible de carboneutralité du Canada d’ici 2050, environ 80 % des VML sur la route en 2030 seront encore propulsés par des moteurs à combustion interne.
En réponse aux défis du secteur, tous les ordres de gouvernement ont introduit des politiques pour réduire les émissions des VML. Le gouvernement fédéral s’est engagé à instaurer un mandat de vente de VML zéro émission (exigeant que d’ici 2040 tous les VML vendus de certains types soient zéro émission) et a mis en place des politiques pour éliminer les obstacles à l’adoption, comme le financement d’une infrastructure de recharge.
Du court et du long terme
Si nos analyses montrent une croissance progressive des ventes de véhicules à émissions faibles et nulles d’ici 2030, nous constatons que la hausse de l’efficacité énergétique est un facteur majeur, voire le plus important, dans la réduction des émissions cette décennie (figure 1). Pour instiguer une baisse à court terme, le fédéral pourrait accélérer le gain d’efficacité énergétique en concrétisant son intention de revoir son règlement sur les VML pour le conformer aux normes les plus strictes en Amérique du Nord, que ce soit les nouvelles règles proposées par le gouvernement américain ou la réglementation de différents États.
La figure montre le rôle de différentes solutions dans la transition vers la carboneutralité du secteur des VML, selon 62 trajectoires possibles d’ici 2050. Les valeurs minimales et maximales délimitent les fourchettes de valeurs estimées dans notre analyse par modélisation. On voit que d’ici 2030, l’efficacité énergétique devrait être le principal moteur de la réduction des émissions, mais qu’en 2050, l’hydrogène, l’électrification ou les biocarburants pourraient la détrôner. Cela dit, leur rôle change d’un scénario à l’autre selon différentes conditions, comme les coûts et les progrès technologiques. La réduction totale des émissions du secteur varie elle aussi en fonction du scénario.
Toutefois, comme l’indique la figure 1, la trajectoire vers 2050 est moins évidente. Le rendement du carburant continue de jouer un rôle stable et central, mais pour atteindre la cible de carboneutralité du Canada, il faut que les VML passent aux carburants de remplacement. Si notre analyse de la carboneutralité démontre la place indiscutable de l’électricité dans certains sous-secteurs des VML, notamment les véhicules urbains comme les autobus et les camions de livraison locale, d’autres se heurtent à des obstacles importants à l’électrification. Par exemple, dans le fret longue distance, aussi bien l’électricité que l’hydrogène et les biocarburants sont des options actuellement, mais les défis du sous-secteur brouillent les prévisions à savoir si une option prédominera ou si l’on verra plutôt une combinaison des trois.
Aller de l'avant malgré l'incertitude
Il ne faut pas ralentir le progrès à cause de l’incertitude à long terme qui pèse sur le secteur. Bien des politiques gouvernementales en place n’imposent pas une technologie en particulier et permettent les avancées du marché sans forcer les décideurs à arrêter leur choix tout de suite. Prenons le mandat de vente de VML proposé par le fédéral : il est bien conçu pour composer avec l’incertitude et assurer une réussite à long terme.
D’une importance capitale, le mandat de vente de VML peut véhiculer des orientations stratégiques et des attentes claires quant à l’avenir du secteur, tout en laissant place à un éventail de carburants sur le long terme. Si le mandat suit l’approche énoncée dans le règlement préliminaire sur les véhicules légers, bon nombre de véhicules seraient admissibles – qu’ils fonctionnent avec une batterie électrique, des piles à combustible à hydrogène ou même d’autres technologies à venir –, pourvu qu’ils ne produisent aucune émission d’échappement.
De plus, de nombreux avantages des mandats de vente de véhicules légers pourraient se transposer aux VML : une augmentation de l’offre et du nombre de modèles disponibles au Canada, une prévisibilité accrue pour les consommateurs et les fabricants automobiles, et un regain des investissements dans le déploiement d’infrastructures et les chaînes d’approvisionnement.
Si 2050 peut sembler loin, c’est en mettant en place dès maintenant des orientations claires et des politiques sans parti pris technologique que le secteur des VML pourra aller dans la bonne direction. La clé du succès demeure néanmoins la mise en œuvre rapide et efficace de ces politiques, mais on en reste au stade d’annonce tant pour le mandat de vente que pour le règlement bonifié sur le rendement du carburant.
Anna Kanduth est associée de recherche principale et gestionnaire de l’initiative 440 mégatonnes à l’Institut climatique du Canada.