Nous l’avons déjà lu dans 440 mégatonnes, la construction de réseaux électriques plus grands, plus propres et plus intelligents protégera l’avantage concurrentiel du Canada et entraînera des réductions des émissions à moindre coût autant pour les industries que pour le secteur du bâtiment et du transport.
Dans cette analyse, nous expliquons ce que les plus récentes données du Rapport d’inventaire national (RIN) du Canada indiquent sur les progrès de l’Ontario et de l’Alberta dans la décarbonisation de leurs réseaux électriques. La production d’électricité est le secteur qui enregistre la réduction des émissions la plus rapide, et ces deux provinces sont en tête de peloton, en grande partie grâce à l’élimination progressive de l’électricité au charbon. Ensemble, ces actions ont mené à l’une des plus importantes réductions des émissions de gaz à effet de serre au pays à ce jour.
Qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir? Nous avons décortiqué certains chiffres et dressé les prochaines étapes potentielles de la décarbonisation de l’électricité pour les provinces et territoires, qui devront composer avec une hausse de la demande en énergie à court terme.
Des politiques ont mené à l’élimination des émissions de charbon en Alberta et en Ontario
L’Alberta et l’Ontario ont toutes deux cessé de recourir au charbon pour la production d’électricité. La dernière centrale au charbon de l’Ontario a fermé en 2015, et l’Alberta a emboîté le pas presque 10 ans plus tard, en 2024.
La figure 1 illustre l’évolution des sources d’électricité – le « bouquet énergétique » – dans chaque province depuis 2005. L’Ontario et l’Alberta ont agi pour éliminer graduellement la production au charbon grâce à des politiques adaptées aux réalités régionales.
L’Ontario s’est officiellement engagée à graduellement abandonner l’électricité au charbon à l’échelle de la province en 2003. Initialement, le gouvernement se donnait jusqu’à 2007 pour éliminer toutes les centrales au charbon, mais il a reporté l’objectif à la fin de 2014. De 2005 à 2015, la production d’électricité au charbon de la province est passée de 19 % à 0 %, une transformation remarquable qui s’est échelonnée sur 10 ans. Durant cette période, la demande en énergie de l’Ontario a été progressivement comblée par des installations nucléaires et éoliennes, auxquelles se sont ajoutées des centrales au gaz naturel. Depuis 2015, le recours à l’énergie nucléaire a chuté en raison de réfections et restaurations qui ont entraîné la mise hors service temporaire de certains réacteurs. Le gaz naturel et l’hydroélectricité sont venus remplir le vide à parts à peu près égales, avec le solaire et l’éolien dans une plus faible mesure.
Quant à l’Alberta, la province s’est initialement engagée en 2015 à éliminer progressivement l’électricité au charbon d’ici 2030. En pratique, le processus a été beaucoup plus rapide en raison du règlement provincial Technology Innovation and Emissions Reduction (TIER) – ou système de tarification du carbone industriel de la province – ainsi que des ententes financières relatives à l’élimination du charbon conclues avec les sociétés d’énergie de l’Alberta. Le charbon, qui représentait 65 % de la production d’électricité de l’Alberta en 2015, a chuté à 15 % en 2023, l’année la plus récente évaluée dans le RIN. Selon toute vraisemblance, l’électricité au charbon devrait compter pour moins de 10 % du bouquet énergétique en 2024, puisque la dernière centrale a été mise hors service le 16 juin 2024. Environ 70 % de la production au charbon a été remplacée par le gaz naturel, tandis que l’éolien et le solaire ont connu une forte expansion qui leur a permis de combler l’écart restant.
L’Ontario et l’Alberta ont recouru à différentes politiques et technologies pour éliminer le charbon. En Ontario, les centrales au charbon étaient vétustes et appartenaient à une société publique chapeautée par le ministère de l’Énergie. Il était donc possible de s’appuyer sur les directives gouvernementales et la réglementation pour interdire l’utilisation du charbon sans politiques complémentaires. Pour le remplacer, la province a pu miser sur les investissements massifs qu’elle a consentis au nucléaire depuis les années 1970. En Alberta, les centrales au charbon représentaient une part beaucoup plus importante de la production totale d’électricité. En règle générale, elles étaient plus récentes et appartenaient à des intérêts privés. Le gouvernement a choisi la voie réglementaire, mais au bout du compte, l’approche du bâton et de la carotte du règlement TIER ainsi que les autres politiques à l’appui se sont avérées plus efficaces pour éliminer le charbon. Quelques centrales ont été entièrement mises hors service, mais de nombreuses installations ont été converties pour le gaz naturel suivant l’expérience de conversion acquise aux États-Unis.
La plus belle réussite du Canada sur le plan de la réduction des émissions inclut avec une mise en garde
La réduction des émissions en Alberta et en Ontario est certes une excellente nouvelle pour le climat, et l’élimination du charbon a entraîné des économies supplémentaires en santé en raison de la meilleure qualité de l’air. Pour mettre les choses en perspective, entre 2005 et 2023, le Canada a réduit ses émissions totales de 65 millions de tonnes (Mt). L’élimination progressive du charbon dans les deux provinces compte pour plus de 80 % de cette réduction : dans cette période, le secteur de l’électricité de l’Ontario a enregistré une réduction de 26 Mt, et celui de l’Alberta, de 27 Mt. En 2013, l’Office de l’électricité de l’Ontario a déclaré que l’élimination du charbon dans la province était « la plus importante mesure de réduction des gaz à effet de serre en Amérique du Nord ». De même, l’efficacité des politiques déployées par l’Alberta pour réduire ses émissions a été applaudie autant par les autorités de réglementation que par le milieu universitaire.
Cependant, l’intensité des émissions dans chacun des réseaux provinciaux, illustrée à la figure 2, sert d’avertissement pour les deux provinces.
Si l’élimination progressive du charbon a entraîné une forte réduction de l’intensité des émissions dans le réseau ontarien, la croissance de la part du gaz naturel annule une partie de ces gains. Depuis 2015, l’électricité nucléaire, qui est carboneutre, représente la plus grande partie de l’électricité produite, mais sa part est passée de 59 % à 52 % au cours de cette période. Elle a été remplacée par d’autres sources d’électricité propre et le gaz naturel, ce qui a fait accroître l’intensité des émissions totales depuis 2017.
L’intensité des émissions de l’Alberta est beaucoup plus forte que celle de l’Ontario, puisque les sources d’électricité propre, comme les installations nucléaires et hydroélectriques, y étaient et y restent limitées. De 2005 à 2023, l’intensité des émissions de la province a diminué de plus de moitié en raison du remplacement du charbon par le gaz naturel et le renouvelable. Au cours de ces 18 années, la part du gaz naturel dans le bouquet énergétique est passée de 20 % à 59 %, et celle du solaire et de l’éolien a bondi, passant d’un maigre 1 % à 22 %.
Toutefois, la future trajectoire des émissions de l’Alberta est incertaine. En 2023, l’intensité dans le réseau (424 g éq. CO2/kWh) était à peine plus élevée que celle de la centrale au gaz naturel la plus écoénergétique. Elle pourrait continuer de diminuer à court terme si les anciennes centrales sont remplacées par de nouvelles centrales au gaz naturel, mais seulement si la demande en électricité n’augmente pas. Or, la majorité des prévisions provinciales indiquent qu’elle augmentera, peut-être même considérablement, alors même que l’incertitude politique et économique freine la croissance des sources d’électricité propre, tant du côté du renouvelable que du gaz naturel avec séquestration.
L’augmentation de l’électricité carboneutre changera la donne pour les deux provinces
Tant en Alberta qu’en Ontario, la demande en électricité augmente en raison des choix des consommateurs (multiplication des véhicules électriques et des thermopompes), des politiques de décarbonisation par l’électrification et des nouvelles activités économiques. Cette croissance potentielle contraste nettement avec la stabilité des 10 dernières années, mais n’est pas sans précédent. En effet, la production d’électricité au pays avait presque triplé de 1965 à 1985 en raison d’une forte croissance économique.
Une planification stratégique et des actions rapides sont maintenant nécessaires pour développer un solide réseau électrique à faibles émissions qui soit à la fois fiable, abordable et flexible, et ce, assez rapidement pour que les provinces et les territoires puissent profiter des avantages concurrentiels que présente l’électricité propre. Les provinces et territoires font déjà des progrès sur le plan de la planification et de la fourniture d’électricité carboneutre.
Le Règlement sur l’électricité propre du gouvernement fédéral, qui a été finalisé en décembre dernier, dirige la décarbonisation du secteur tout en donnant aux provinces la latitude nécessaire pour déployer des solutions novatrices dans leur réseau électrique. Pour la suite des choses, les gouvernements provinciaux pourraient produire des feuilles de route en matière d’énergie comprenant des exigences claires et une planification intégrée. Pour l’Ontario, il est recommandé de mettre l’accent sur la conservation, la planification d’un approvisionnement constant à long terme, la planification du transport dans le réseau carboneutre, et l’exploration parallèle de plusieurs solutions technologiques. Nos études antérieures indiquent que l’Alberta peut combler ses besoins croissants en électricité propre en investissant dans le transport, en veillant à ce que la production d’électricité carboneutre soit au cœur des décisions relatives aux nouvelles centrales, et en élaborant des stratégies qui tiennent compte de la grande incertitude quant à la demande industrielle. Pour atteindre une économie carboneutre, les deux provinces doivent investir dès maintenant.
Le Canada ne peut pas se reposer sur ses lauriers
Malgré leurs différences dans leurs bouquets énergétiques et leurs choix politiques, l’Ontario et l’Alberta ont toutes deux réduit radicalement les émissions issues de leurs secteurs de l’électricité. Pour l’avenir, l’une se tourne vers l’énergie propre, et l’autre vers une économie carboneutre, mais quoi qu’il en soit, l’électricité carboneutre sera la clé. Les données historiques indiquent que les deux provinces peuvent relever le défi, mais elles doivent rapidement tirer parti de leurs réussites précédentes.
Alison Bailie est associée de recherche principale à l’Institut climatique du Canada.