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Resserrer la réglementation sur le méthane pour faciliter l’application du plafond des émissions dans le secteur pétrogazier et en réduire les coûts

Grâce aux réductions rentables des émissions de méthane, le tiers des efforts requis pour aligner le secteur pétrolier et gazier sur la cible de 2030 seraient faits.

Les émissions de gaz à effet de serre du secteur pétrolier et gazier représentent un défi de taille dans les engagements climatiques au Canada. En hausse de 12 % depuis 2005, elles représentent actuellement 28 % des émissions totales au pays. À défaut d’inverser la tendance, il sera plus difficile, voire impossible, d’atteindre la cible de 2030.

Pour redresser la situation, le gouvernement fédéral s’est engagé à adopter dès l’an prochain une réglementation imposant à ce secteur un plafond et une réduction des émissions. Un mécanisme strict de plafonnement des émissions, s’il est efficace, aidera le Canada à garder le cap sur ses ambitions climatiques. Cependant, la sévérité de ce mécanisme dépend de la conception des autres politiques touchant le secteur, notamment la réglementation qui oblige les sociétés pétrolières et gazières à réduire radicalement leurs émissions de méthane en amont.

Certes, il existe toutes sortes de solutions – certaines plus faciles et meilleur marché que d’autres – destinées à réduire les émissions et à orienter le secteur dans une avenue compatible avec les cibles de 2030. Mentionnons notamment la réduction des émissions de méthane (libéré accidentellement lors de fuites ou de pannes d’équipement ou intentionnellement pour des raisons de sécurité et d’exploitation), considérée comme la façon la plus rentable et la plus efficace d’inverser la tendance dans le secteur pétrolier et gazier.

Dans l’analyse poussée de cette semaine, nous expliquons en quoi la réduction du méthane grâce à une réglementation sévère est une solution gagnant-gagnant pour le secteur pétrogazier, solution qui facilite l’atteinte du plafond d’émissions proposé, et ce à moindre coût.

Notre approche

En collaboration avec Navius Research, nous nous sommes employés à comprendre comment la réglementation sur les émissions de méthane complétera le plafond proposé pour les émissions du secteur pétrolier et gazier.

Dans notre analyse, les émissions totales du secteur pétrolier et gazier connaissent une baisse qui les ramènera à 110 Mt en 2030, conformément aux prévisions du Plan de réduction des émissions. Pour y parvenir, il s’agit de recourir à une série de politiques qui s’appliquent à différentes sortes d’émissions dans le secteur. Nous traitons plus particulièrement de deux politiques importantes dans notre analyse, soit le projet de règlement sur le plafonnement des émissions et le règlement fédéral sur le méthane.

  • Bien que le gouvernement fédéral doive encore préciser la forme que prendra le plafond d’émissions proposé, les deux options présentées obligent à tarifer ces émissions. Les émissions de méthane se mesurant difficilement, il n’est pas aisé de leur attribuer un prix, ce qui complique leur prise en compte dans le plafond. Voilà pourquoi ces émissions sont dans une large mesure exclues des systèmes actuels de tarification du carbone. Dans notre analyse, le plafond s’applique à toutes les émissions de gaz à effet de serre, exception faite du méthane.1
  • Le règlement fédéral sur le méthane est la principale politique à régir les réductions de méthane dans notre analyse. Ce règlement stipule que l’industrie doit respecter certaines normes qui s’appliquent aux installations et à l’équipement afin de réduire les émissions de méthane causées par des fuites et l’évacuation de gaz dans le secteur pétrolier et gazier en amont, notamment en imposant des limites d’évacuation et en exigeant la détection et la réparation périodiques des fuites.

Les règlements sur le plafond d’émissions et sur le méthane se complètent pour ramener les émissions à 110 Mt dans le secteur, la contribution de chacune de ces politiques étant inversement proportionnelle à celle de l’autre.

Pour faire ressortir le rôle du règlement sur le méthane, nous avons modélisé deux scénarios. Ils reposent sur la série complète de politiques découlant du Plan de réduction des émissions, y compris le plafond proposé, mais qui diffèrent quant à la sévérité du règlement fédéral sur le méthane. Dans le scénario de la réglementation actuelle sur le méthane, le règlement fédéral vise à réduire les émissions sectorielles de méthane de 45 % sous les niveaux de 2012, d’ici 2030 (autrement dit, pas de réduction au-delà de ce qui est actuellement prescrit pour 2025). Dans le scénario de la réglementation resserrée sur le méthane, le règlement prévoit une réduction des émissions de méthane de 75 %, ce qui correspond au règlement qui devrait être proposé cet automne.

Finalement, notre analyse suppose des prix de référence mondiaux pour le pétrole, en partant du scénario des mesures actuelles présenté dans le rapport Avenir énergétique du Canada en 2023 de la Régie de l’énergie du Canada.

Une petite mise en garde s’impose avant que nous allions plus loin. Bien que notre analyse repose sur les émissions de méthane déclarées dans le Rapport d’inventaire national du Canada, nous sommes conscients que les données antérieures sur le méthane, et par le fait même les prévisions, sont nettement sous-estimées compte tenu des difficultés de déclaration et d’évaluation. Il est donc primordial d’améliorer les mécanismes de déclaration et d’évaluation pour faire une analyse comparative et un suivi des émissions de méthane dans le secteur pétrogazier au Canada et les réduire.

Les réductions de méthane représentent le tiers des efforts à déployer pour que le Canada atteigne la cible de 110 Mt

Nous avons évalué deux indicateurs dans la présente analyse, soit les émissions et l’activité économique.

Pour ce qui est des émissions, nous souhaitions comprendre dans quelle proportion les réductions requises pour atteindre la cible de 110 Mt en 2030 pourraient être obtenues simplement en appliquant le règlement resserré sur le méthane. Bien que le total des émissions du secteur demeure uniforme dans les deux scénarios, soit une diminution à 110 Mt en 2030, la composition particulière des émissions du secteur varie en fonction de la sévérité du règlement sur le méthane (figure 1).

La figure 1 illustre la contribution relative du méthane par rapport à celle du dioxyde de carbone (CO2) et autres gaz à effet de serre dans la réduction des émissions sectorielles visant à les ramener à 110 Mt en 2030, dans le scénario de la réglementation actuelle et celui de la réglementation resserrée sur le méthane. Dans le premier scénario, la réduction du méthane ne représente que 10 % (9 Mt) de la réduction totale visée pour atteindre la cible de 110 Mt en 2030, les 90 % restants (77 Mt) revenant aux autres gaz, souvent au prix de mesures d’atténuation plus compliquées et plus chères. Par comparaison, dans notre scénario de resserrement de la réglementation, la réduction des émissions de méthane représente 33 % (28 Mt) du total requis, ce qui réduit le poids à porter par d’autres mesures.

Bref, le secteur peut contribuer à hauteur du tiers aux réductions d’émissions nécessaires pour atteindre la cible de 110 Mt en se contentant de se conformer au règlement à venir sur le méthane.

Réduction des coûts grâce au resserrement de la réglementation sur le méthane

L’intensification de la réduction des émissions de méthane peut également avoir des retombées économiques intéressantes. Malgré les déclarations de l’industrie, qui soutient que le plafond des émissions est impossible à atteindre sans réductions considérables de la production, notre analyse démontre que ce plafond peut être compatible avec une croissance économique soutenue. Cette croissance est d’autant plus importante que le secteur tire profit des mesures d’atténuation du méthane à faible coût, comme la détection et le colmatage des fuites, l’imposition de limites plus sévères à l’évacuation des gaz et aux opérations de brûlage, ainsi que le remplacement d’équipements par d’autres équipements carboneutres ou sobres en carbone. Il s’agit de solutions relativement bon marché, surtout comparativement à des options plus chères comme la captation, l’utilisation et le stockage du carbone.

L’atténuation des émissions de méthane peut même se traduire par des économies pour les sociétés si la valeur du méthane conservé ou capté, qui peut se vendre comme gaz fossile, dépasse le coût de la technologie d’atténuation. De plus, il est primordial d’atténuer les émissions de méthane pour développer de nouvelles branches d’activité pour les sociétés pétrolières et gazières, comme la production d’hydrogène bleu, viables sur le plan économique et compatibles avec les cibles de carboneutralité.

Comme l’illustre la figure 2, le scénario de la réglementation actuelle et celui de la réglementation resserrée du méthane, qui comportent tous les deux un plafond pour les émissions pétrolières et gazières, montrent une augmentation de l’activité économique dans le secteur en 2030 comparativement à 2020. Cependant, la contribution du secteur pétrolier et gazier au produit intérieur brut (PIB) en 2030 dans le scénario du resserrement de la réglementation dépasse de 6,3 milliards de dollars celle du scénario des mesures actuelles. Notre analyse démontre qu’en recourant davantage à des mesures bon marché d’atténuation des émissions de méthane, on utiliserait moins de solutions plus chères et plus difficiles à déployer, ce qui diminuerait le coût de la réduction des émissions à 110 Mt et dégagerait plus de capitaux pour stimuler la croissance économique.

Il faut réduire d’au moins 75 % les émissions de méthane pour que la réglementation soit rentable

Il est primordial d’inverser la tendance des émissions dans le secteur pétrolier et gazier pour que les cibles restent atteignables dans l’ensemble de l’économie au Canada. Un plafond des émissions et le resserrement de la réglementation sur le méthane jouent des rôles complémentaires. D’après notre analyse, il est possible d’atteindre ce plafond; pour que ce soit plus facile et moins cher, il suffit de réduire les émissions de méthane en s’alignant sur la dernière cible du gouvernement fédéral. Et cela en ne tenant compte que des exigences minimales prescrites par la réglementation.

En fait, la cible de 75 % représente plus un plancher qu’un plafond. L’évolution des engagements liés au méthane au pays et à l’étranger pointe vers des réductions plus ambitieuses. L’Alberta et la Colombie-Britannique, quant à elles, se sont engagées à atteindre des cibles plus élevées, et les dirigeants de grandes sociétés pétrolières et gazières souhaitent éliminer presque complètement les émissions de méthane d’ici 2030.

Cependant, des ambitions plus fortes ne sont pas pour autant synonymes de plus d’interventions. Il faut que le gouvernement réglemente les réductions des émissions de méthane pour qu’elles se concrétisent, surtout parce que les émissions découlant des fuites et de l’évacuation ne sont pas actuellement couvertes par la plupart des systèmes de tarification du carbone au Canada. Des règlements ciblés comme la réglementation fédérale renforcée doivent absolument réduire rapidement les émissions afin qu’il soit possible de profiter des avantages de ces réductions et des intéressantes retombées économiques qu’elles génèrent. Si les émissions de méthane sont effectivement beaucoup plus élevées que ce qui est déclaré, on a d’autant plus de raisons de les réduire, et ce de toute urgence.

En fin de compte, bien que la réduction des émissions de méthane soit à la portée du secteur pétrolier et gazier, ce gaz ne représente actuellement que le cinquième des émissions totales déclarées dans ce secteur. Restez à l’affût, nous explorerons dans une prochaine analyse le rôle des autres solutions pour parvenir à une réduction de 110 Mt.


Anna Kanduth est associée de recherche principale à l’Institut climatique du Canada et gestionnaire de l’initiative 440 mégatonnes. Brad Griffin est conseiller pour le projet 440 mégatonnes et directeur général du Centre de données sur l’énergie et les émissions de l’Université Simon Fraser.

Data provided by Navius Research.


1 Dans notre analyse, les recettes découlant de l’imposition du plafond d’émission retournent dans l’industrie, et le secteur pétrolier et gazier est exclu du système de tarification fondé sur le rendement.