Skip to content

Quelles politiques climatiques canadiennes auront le plus d’influence d’ici 2030?

Télécharger l'analyse

Les plus grands moteurs de réduction des émissions à l’horizon 2030 seront les systèmes de tarification du carbone pour les émetteurs industriels. Et leur efficacité peut même être augmentée.

Introduction

Depuis l’Accord de Paris en 2015, le Canada a redoublé d’efforts pour contrer les changements climatiques et réduire les émissions de carbone. Les gouvernements à travers le pays ont rehaussé leurs cibles, adopté des lois pour garder le cap sur le progrès climatique, et annoncé ainsi que mis en œuvre plusieurs politiques climatiques.

Mais ces politiques réduisent-elles réellement les émissions à l’origine des changements climatiques? Pour le vérifier, nous avons travaillé avec Navius Research pour modéliser leur efficacité jusqu’à maintenant ainsi que leurs effets projetés jusqu’en 2030.

L’analyse a révélé qu’à l’échelle du pays, plusieurs grandes politiques génèrent actuellement une baisse des émissions, les plus efficaces étant les politiques visant le marché qui ciblent les émetteurs industriels (ce que nous appelons les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs).

Comme certaines politiques viennent à peine d’être ébauchées ou mises en place, nous estimons qu’elles influenceront plus fortement les émissions au pays si elles sont maintenues jusqu’en 2030 et après. Mais pour cela, les gouvernements des quatre coins du Canada devront conserver les mesures qui produisent déjà de réels résultats et donner suite à celles qui sont en élaboration et qui ont été annoncées, tout en corrigeant leurs interactions contre-productives.

Il y a différentes façons d’évaluer l’incidence des politiques climatiques sur les émissions. Dans l’analyse que voici, nous aborderons la question sous deux angles. D’abord, nous verrons en quoi les politiques en place, dont les systèmes de tarification du carbone à l’échelle fédérale, provinciale et territoriale, modifient déjà la trajectoire des émissions du Canada. Puis, nous étudierons l’incidence qu’auront les grandes politiques climatiques entre 2025 et 2030 pour cerner ce qui est en jeu dans les décisions à venir des gouvernements.

Les politiques climatiques font effet, en particulier les systèmes de tarification du carbone industriels

S’il ne fait aucun doute que les politiques existantes (celles « inscrites dans la loi ») fonctionnent, celles « en élaboration » ont le potentiel d’accomplir beaucoup plus (figure 1). Dans une récente évaluation indépendante du Rapport d’étape sur le Plan de réduction des émissions pour 2030 du gouvernement fédéral, nous avons analysé ce qu’il adviendrait si le Canada n’avait appliqué aucune mesure de réduction des émissions. Dans ce scénario « sans politiques climatiques », les émissions seraient aujourd’hui supérieures et augmenteraient constamment – pour atteindre 765 mégatonnes (Mt) en 2025 et 775 Mt en 2030, soit respectivement 23 et 41 % de plus qu’avec les politiques inscrites dans la loi selon nos projections.

Ainsi, les politiques actuellement en place – de la tarification du carbone aux normes d’efficacité des véhicules en passant par les subventions pour les thermopompes – permettent d’éviter 226 millions de tonnes (Mt) d’émissions de carbone en 2030, ce qui équivaut aux émissions combinées du Québec et de l’Ontario à l’heure actuelle.

De plus, chaque tonne d’émissions évitée atténue à long terme les dégâts causés par les changements climatiques. Rappelons que ces conséquences font grimper le coût de la vie pour la population canadienne et plombent notre économie.

Selon notre analyse, une grande part des 226 Mt d’émissions évitées est attribuable aux politiques fédérales, provinciales et territoriales de tarification du carbone, qui se divisent en deux catégories.

La première est la redevance sur les combustibles (communément appelée « taxe carbone », qui s’accompagne d’une remise trimestrielle) que payent la plupart des ménages et des petites entreprises. Elle représente entre 8 % et 9 % de la réduction des émissions (entre 19 et 22 Mt).

La seconde vise à réduire les émissions de source industrielle en instaurant des systèmes d’échanges pour les grands émetteurs. Cette approche varie d’une région à l’autre, prenant tantôt la forme d’un système de tarification fondé sur le rendement (comme le TIER en Alberta), tantôt celle d’un système de plafonnement et d’échange (avenue privilégiée au Québec). D’ici 2030, les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs permettront d’éviter de 23 % à 39 % des émissions (53 à 90 Mt) par rapport au scénario de référence « sans politiques climatiques ». Ils jouent un rôle plus important que la redevance sur les combustibles, notamment parce qu’ils s’appliquent à une plus grande part des émissions du Canada.

Implications des décisions à venir au chapitre des politiques

Calculer l’incidence des politiques climatiques appliquées jusqu’à maintenant, c’est une chose. C’en est une autre de cerner les enjeux dans les décisions climatiques prises aujourd’hui et demain. Nous avons donc fait appel à Navius Research pour estimer les effets qu’auront, entre 2025 et 2030, les grandes politiques fédérales énoncées dans le Plan de réduction des émissions, à savoir :

  1. les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs;
  2. la redevance sur les combustibles;
  3. le plafonnement des émissions pétrogazières;
  4. la réduction de 75 % du méthane;
  5. le captage du méthane des décharges;
  6. le Règlement sur les combustibles propres;
  7. les crédits d’impôt à l’investissement;
  8. les normes pour les véhicules zéro émission (VZE).

Puisque les politiques n’évoluent pas en vase clos – elles se conjuguent, se recoupent et agissent les unes sur les autres –, il est difficile de calculer isolément la réduction des émissions attribuable à chacune. C’est pourquoi nous avons analysé l’incidence qu’elles pourraient individuellement avoir selon deux cas de figure extrêmes. Dans le premier, la politique visée est ajoutée à un scénario de référence qui exclut les politiques légiférées que nous avons analysé après 2025, à savoir les systèmes d’échange pour les grands émetteurs, la taxe sur les carburants, les réglementations sur sur les carburants propres et les crédits d’impôt à l’investissement. On cerne ainsi ses effets sans tenir compte des interactions avec les autres mécanismes du Plan de réduction des émissions. Dans le second, on l’ajoute à un scénario qui comprend toutes les autres politiques du Plan : on obtient alors ses effets en tenant compte de l’ensemble des interactions.

Cette méthode nous permet d’estimer la fourchette de réduction progressive des émissions qui serait attribuable à chaque politique ainsi que de démontrer les incidences des choix faits aujourd’hui sur les émissions de demain.

La figure 2 présente cette fourchette pour huit grandes politiques citées dans le Rapport d’étape sur le Plan de réduction des émissions pour 2030.

C’est contre-intuitif, mais les effets des différentes politiques ne sont pas entièrement cumulatifs : en les combinant, on obtient une réduction moins importante que si l’on additionnait les réductions de chaque politique appliquée isolément. Mais si un mécanisme a généralement la plus forte incidence progressive lorsqu’il est seul, en pratique, les gouvernements misent sur des ensembles de politiques qui se recoupent et interagissent entre elles. À mesure que de nouvelles mesures sont forcément ajoutées pour pousser encore la réduction des émissions d’une source ou d’un secteur donné, la contribution de chacune tend à diminuer. La seule exception à cette règle, parmi les politiques que nous avons modélisées, concerne les crédits d’impôt à l’investissement (CII), qui s’avèrent plus efficaces lorsqu’ils sont jumelés à d’autres mesures.

L’écart entre les deux extrêmes met en lumière les interactions entre les politiques, et aussi la difficulté d’attribuer toute réduction des émissions à un mécanisme individuel. Mais il y a lieu de souligner que, même dans le scénario supposant un maximum de recoupements et d’interactions, la quasi-totalité des politiques entraînent une baisse des émissions en 2030. La contribution de chacune varie selon sa portée, sa rigueur, ses coûts, ses délais d’application, la disponibilité de la technologie et d’autres facteurs de marché. Le tableau 1 résume les effets de chaque politique présentée dans la figure 2. Notons que le Règlement sur l’électricité propre est exclu de cette figure, car ce n’est qu’en 2035 qu’il aura force obligatoire pour ce qui est des émissions.

Fait important, notre analyse brosse le portrait de la situation en 2030 sans tenir compte des réductions – souvent considérables – attendues à compter de 2035. L’incidence des politiques augmentera au fil du temps : certaines auront été en vigueur depuis quelques années seulement, et d’autres se feront plus strictes après 2030 (les normes encadrant la vente de véhicules zéro émission en sont un bon exemple). La réduction des émissions découlant des politiques va par ailleurs s’accélérer, puisque certains mécanismes comme les normes visant les véhicules et la tarification du carbone touchent davantage les produits neufs que ceux qui existent déjà. Avec le temps, ces mécanismes vont davantage influencer les décisions et donc devenir plus efficaces.

Selon notre analyse, même en comparaison avec l’ensemble des politiques du Plan de réduction des émissions, les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs demeurent les principaux moteurs de réduction à l’horizon 2030, leur contribution se situant entre 20 % et 48 % de la baisse progressive des émissions.

Le bémol est toutefois que même avec le déploiement complet de toutes les politiques présentées dans le Rapport d’étape sur le Plan de réduction des émissions, le Canada arriverait à 42 Mt sous sa cible pour 2030. Le relâchement ou l’abandon de certaines politiques ne ferait que creuser davantage cet écart tout en ralentissant la réduction des émissions à long terme; pour réussir à atteindre les cibles, il faudrait donc créer de nouveaux mécanismes ou resserrer les mesures existantes. Nous reviendrons sur les autres gestes à poser pour combler l’écart dans de futures analyses.

Corriger les interactions néfastes afin de rapprocher le Canada de sa cible pour 2030

Pour atteindre les cibles de réduction des émissions du Canada, les gouvernements devront adopter tout un éventail de mesures; aucune politique ne suffira à elle seule. Or, les interactions et les chevauchements entre les différentes mesures, parfois bénéfiques, parfois nuisibles, sont inévitables.

Il existe une foule d’exemples d’interactions positives où les politiques s’appuient mutuellement pour amplifier la réduction des émissions, par exemple l’électrification du chauffage à domicile combinée à la décarbonisation du réseau électrique, ou encore les quotas de vente de véhicules électriques combinés à un investissement dans les infrastructures de recharge.

Cela dit, il arrive que la combinaison des politiques mène à des interactions qui nécessitent une prise en compte particulière et un travail de rapprochement. Par exemple, dans une analyse précédente, l’Institut climatique soulevait la possibilité d’interactions fâcheuses entre les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs et plusieurs autres politiques qui risqueraient de créer un surplus de crédits de carbone en circulation. Dans bon nombre de systèmes pour les grands émetteurs (les systèmes de tarification fondés sur le rendement), les émetteurs paient pour leurs émissions qui dépassent un certain seuil d’intensité et obtiennent des crédits pour celles qui ne le dépassent pas. Notamment, les crédits d’impôt à l’investissement pour le captage et le stockage du CO2 facilitent la réduction des émissions par les entreprises, ce qui augmente l’offre (et diminue la demande) de crédits de carbone. On se retrouve alors avec des crédits de moindre valeur qui ne motivent plus autant l’industrie à réduire ses émissions par l’intermédiaire des systèmes d’échanges.

La solution à ce genre de problème n’est évidemment pas d’éliminer les politiques concernées, qui ont toutes leurs propres avantages économiques et environnementaux. Les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs couvrent un éventail d’émissions si vaste qu’il va de soi que d’autres politiques finiront par les recouper. Il s’agit simplement de veiller à ce que les mesures soient toujours complémentaires, en tenant compte des interactions et en resserrant les politiques existantes pour éviter le foisonnement et la perte d’efficacité des crédits de carbone.

Notre analyse a relevé quelques changements qui pourraient être apportés aux systèmes d’échanges pour réduire au minimum les interactions néfastes et éliminer 15 Mt d’émissions de plus d’ici 2030 toujours à partir des politiques climatiques actuelles du Canada.

L’un des changements les plus efficaces serait le resserrement des normes d’efficacité. 

Mais les avantages d’un tel renforcement ne se limitent pas à l’élimination d’émissions supplémentaires. Notamment, si les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs sont adéquatement configurés, ils peuvent aider à protéger la concurrentialité des industries tout en encourageant la baisse des émissions. Étant donné qu’il s’explore ou s’adopte ailleurs dans le monde des ajustements à la frontière pour le carbone qui pourraient tarifer nos exportations – c’est notamment le cas dans l’Union européenne et aux États-Unis –, il est plus important que jamais d’affermir une tarification du carbone pancanadienne pour préserver la concurrentialité des industries du pays.

Les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs, au cœur de la réussite des politiques climatiques canadiennes

La preuve est faite : les politiques climatiques du Canada fonctionnent et continueront de réduire considérablement les émissions, pour peu qu’elles soient maintenues ou renforcées.

Sans les politiques adoptées jusqu’ici, les émissions seraient plus élevées et feraient boule de neige pour atteindre 775 Mt en 2030. C’est 226 Mt de plus que les émissions projetées selon le scénario des politiques inscrites dans la loi, et 296 Mt de plus que dans le scénario des politiques annoncées. C’est aussi 43 Mt au-dessus des niveaux de 2005, et 335 Mt au-dessus de la cible pour 2030.

Plus simplement, si les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux n’avaient rien fait pour lutter contre les changements climatiques, le Canada aurait rapidement perdu le contrôle sur ses émissions.

En outre, si les gouvernements mettaient en œuvre leurs politiques annoncées, comme le plafond d’émissions pétrogazières et les différents crédits d’impôt à l’investissement, et qu’il corrigeait certaines des interactions fâcheuses entre les systèmes d’échanges pour les grands émetteurs et les autres politiques, les émissions descendraient à 36 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030. Le Canada serait en bonne posture pour atteindre sa cible.

Bien que toutes les politiques contribuent à la réduction des émissions, ces systèmes d’échanges s’avèrent particulièrement importants; ce sont eux qui permettent le plus gros des réductions d’ici 2030, et ils sont essentiels à la concurrentialité des industries canadiennes.

Et pour en faire encore plus, on pourrait rehausser leur efficacité en resserrant les seuils d’intensité d’émissions et en corrigeant certaines interactions avec d’autres grandes politiques climatiques. Les gouvernements consolideraient et bonifieraient ainsi les réductions d’émissions attendues pour rapprocher le Canada de sa cible pour 2030.

Néanmoins, les réductions projetées ne sont pas garanties et requièrent un déploiement soutenu de politiques efficaces. Les décisions que prennent les gouvernements aujourd’hui détermineront si le Canada atteindra sa cible en 2030 et à quel point il aura à travailler pour atteindre ses cibles subséquentes ainsi que préserver sa concurrentialité dans un monde en décarbonisation rapide.

Si la cible pour 2030 est un jalon important du progrès climatique au pays, les réductions d’émissions à plus long terme ne sont pas à négliger. Beaucoup des politiques examinés – des règlements sur les véhicules zéro émission aux crédits d’impôt à l’investissement – auront, sur un horizon plus lointain, des retombées accrues qui ne sont pas quantifiées ici, mais dont les gouvernements devraient tenir compte dans leurs analyses coûts-avantages.

Enfin, le fait de reculer sur des politiques efficaces ou de ne pas déployer les mesures annoncées sans solutions de rechange crédibles retardera le progrès du Canada dans la réduction des émissions. Pour créer un mouvement d’entraînement concret et durable, il sera impératif de procéder à des analyses approfondies des politiques et de leurs effets, et de rendre des comptes transparents sur l’avancement.