Obliger les entreprises canadiennes à divulguer leurs émissions de portée 3 pour les catégories les plus importantes et substantielles les aidera à tirer leur épingle du jeu dans la transition énergétique mondiale.
Quoi de neuf?
Pour rester concurrentielles dans la transition énergétique mondiale, les entreprises canadiennes doivent divulguer leurs émissions de portée 3 substantielles. Ce faisant, elles dresseront un portrait complet de leurs émissions qui aidera les investisseurs et les décideurs à prendre de meilleures décisions sur les plans du financement et de l’élaboration de politiques. Une entreprise qui ne se penche pas explicitement sur ses émissions substantielles tant en amont qu’en aval s’expose à des risques liés à la transition – des risques que les investisseurs et les décideurs doivent connaître pour prendre des décisions éclairées.
Conscients de l’importance de la divulgation, les autorités de réglementation et les normalisateurs internationaux pressent de plus en plus les entreprises à divulguer leurs émissions de portée 3, y compris celles des catégories substantielles. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, de nouveaux règlements sur la divulgation mis en place cette année pourraient obliger les grandes entreprises à les divulguer; toutefois, ils seraient assortis de règles refuges qui exempteraient certaines entreprises dont les émissions sont difficiles à calculer. L’Union européenne a été encore plus rapide, obligeant les grandes sociétés à divulguer leurs émissions de portée 3 substantielles en vertu de la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises.
Cependant, au Canada, le dossier des exigences de divulgation des émissions avance lentement, ce qui menace la capacité du pays à rester concurrentiel dans la transition vers la sobriété en carbone. En 2022, le gouvernement fédéral a annoncé des exigences de communication des émissions de portée 3 pour les grandes institutions financières à compter de 2024. Toutefois, la piètre figure des entreprises canadiennes dans la divulgation des émissions de portée 3 souligne l’impératif pour les autorités de réglementation de rattraper leurs homologues étrangers et de faire en sorte que davantage d’entreprises fassent preuve de transparence en la matière – en particulier pour les émissions des catégories substantielles.
En quoi consiste les émissions de portée 3 substantielles?
Le Protocole des GES classe les émissions générées par les entreprises en trois portées. Ce qui distingue les émissions de portée 3 des émissions de portée 1 et 2, c’est qu’elles ne représentent pas directement l’exposition d’une entreprise à des coûts politiques comme la tarification du carbone. L’absence de données sur ses émissions de portée 3 substantielles expose plutôt l’entreprise et ses investisseurs à un risque indirect lié à des facteurs comme l’augmentation des coûts pour les fournisseurs polluants ou une baisse de la demande due au fait que les consommateurs recherchent des solutions sobres en carbone.
En tenant compte des diverses sources d’émissions substantielles possibles dans la chaîne d’approvisionnement des entreprises, le Protocole des GES répartit les émissions de portée 3 en 15 catégories. Les catégories 1 à 8 correspondent aux émissions indirectes provenant de sources en amont. Parmi ces émissions, on compte celles issues de la production de biens et des services, du transport du matériel, des biens d’investissement utilisés et des activités comme les déplacements du personnel. Les catégories 9 à 15 s’appliquent aux émissions en aval, dont celles générées par la distribution et l’utilisation des produits, le traitement en fin de vie des produits vendus, ainsi que les actifs loués, les franchises et les investissements.
Bien que 44 entreprises figurant parmi les 60 plus grandes sociétés cotées à la bourse de Toronto (indice S&P/TSX 60) aient divulgué une partie de leurs émissions de portée 3, ce qui est aussi important, c’est de communiquer celles des catégories les plus substantielles. Ces catégories varient selon les secteurs. Par exemple, un constructeur automobile risque de générer des émissions de portée 3 considérables dans la catégorie 11 (utilisation des produits vendus) en lien avec la conduite de véhicules. Mais pour une entreprise de construction, les émissions de portée 3 et de catégorie 1 (produits et services achetés) entraînent peut-être davantage d’émissions, en raison des produits et des services qu’elle achète en amont.
Les entreprises canadiennes ont besoin de mieux comprendre leurs émissions de portée 3 substantielles
Pour déterminer si les grandes sociétés canadiennes divulguent leurs émissions de portée 3 les plus substantielles, nous avons analysé le total des catégories d’émissions de portée 3 dans les derniers rapports de développement durable des entreprises de l’indice S&P/TSX 60 en tenant compte des catégories prévues et en présumant que la ventilation des émissions de portée 3 d’une entreprise devrait correspondre assez bien aux données sur le secteur.
Notre analyse suggère que seulement un tiers des entreprises le faisaient dans leur dernier rapport. Les plus grandes lacunes se situaient dans les catégories 1 (produits et services achetés) et 11 (utilisation des produits vendus), ce qui est particulièrement significatif puisqu’il s’agit des catégories les plus importantes d’émissions de portée 3 en aval et en amont respectivement.
Figure 1: Les grandes sociétés canadiennes ne communiquent pas suffisamment leurs émissions de portée 3 dans les catégories les plus substantielles, en particulier dans deux importantes catégories : 1 et 11.
La divulgation volontaire du Canada semble entraîner une communication disproportionnée des émissions les plus faciles à calculer, soit celles des catégories liées aux activités. Par exemple, un nombre impressionnant d’entreprises ont révélé leurs émissions de portée 3 et de catégorie 6 (déplacements professionnels) même si elles ne sont considérables que dans une poignée de secteurs. La rupture entre les données communiquées et les catégories les plus substantielles de chaque secteur reflète la nécessité de resserrer les critères de divulgation pour les entreprises canadiennes et les autorités de réglementation.
Les marchés canadiens se doivent de continuer à aligner leurs divulgations de portée 3 sur les pratiques exemplaires internationales. Si de telles pratiques devenaient obligatoires, les entreprises seraient mieux à même de réduire leurs émissions dans toute la chaîne d’approvisionnement. Les entreprises canadiennes deviendraient ainsi plus attrayantes aux yeux des investisseurs, moins à risque de devoir apporter des rectifications importantes à leur portefeuille pour respecter leurs propres objectifs climatiques.
Enfin, ces nouvelles exigences de divulgation contribueraient à définir et à réduire les risques pour les entreprises canadiennes et à mieux les préparer à réussir leur transition vers une économie sobre en carbone.
Arthur Zhang est associé de recherche à l’Institut climatique du Canada.