Les minéraux critiques pourraient représenter l’une des plus grandes ressources de l’économie propre, à condition d’être bien exploités.
Parmi tous les éléments de base d’une économie propre, six minéraux critiques, c’est-à-dire le cobalt, le cuivre, le lithium, le nickel, le graphite et les éléments des terres rares, jetteront les bases. Dans un monde qui respecte ses engagements en matière de climat, la demande annuelle pour ces minéraux atteindra une valeur de 770 milliards de dollars d’ici 2040. Cette occasion au chapitre de la demande vient principalement de l’économie propre, et en particulier de l’essor des véhicules électriques. Le Canada dispose des réserves minérales nécessaires pour être compétitif dans ce domaine. La manière dont il tirera profit de cette occasion déterminera la réussite de sa transition vers l’énergie propre.
Les fabricants de batteries et de voitures ont déjà investi des milliards de dollars dans la chaîne de valeur des véhicules électriques au Canada, pariant sur le fait que le pays augmentera sa production de minéraux critiques. Cependant, les attentes devront tenir compte de la prudence des investisseurs à l’égard de l’extraction de minéraux. Les marchés financiers se souviennent que le secteur s’est effondré au début des années 2010, lorsque l’offre a dépassé la demande. Les violations des droits de la personne et les dommages à l’environnement commis par le secteur soulèvent également des questions non négociables en matière de développement durable, tout comme le fait que de nombreuses entreprises du Canada ont commis ces deux types d’infractions. Pour attirer des capitaux dans le secteur minier canadien, il faudra faire rapidement des progrès en ce qui concerne des impératifs multiples et souvent concurrents au chapitre des politiques.
Selon nous, le Canada a besoin d’un investissement de 30 milliards de dollars dans l’extraction des minéraux critiques et le secteur minier doit améliorer son rendement au chapitre de la durabilité pour attirer autant de capitaux. En fin de compte, l’exploitation des minéraux critiques ne devrait pas seulement servir à l’économie propre, mais aussi en faire partie.
Écart au chapitre de la production de minéraux critiques au Canada
En 2022, la production de minéraux critiques au Canada a atteint une valeur de 8 milliards de dollars. D’ici 2040, la valeur de la production pourrait atteindre de 4 à 43 milliards de dollars par an, en fonction des décisions d’investissement prises aujourd’hui. Pour évaluer le potentiel de production du Canada, nous avons élaboré trois scénarios illustrant la demande en minéraux critiques dans le cadre de la transition vers l’énergie propre : un scénario avec une demande intérieure canadienne en croissance, un scénario avec une demande intérieure canadienne en croissance et des exportations en augmentation vers les États-Unis, et un scénario avec une demande intérieure canadienne en croissance, mais réduite en raison d’un recyclage accru.
Même dans notre scénario sur la demande intérieure, pour obtenir suffisamment de minéraux critiques pour répondre à la demande croissante, il faudrait doubler la production annuelle d’ici 2040, pour que la valeur des minéraux critiques passe de 8 milliards de dollars à 16 milliards de dollars. Puisqu’il faut, en moyenne, 18 ans pour ouvrir une mine au Canada, cet investissement destiné à garantir la production nationale doit être fait le plus tôt possible.
Pour entrer dans les détails, la figure interactive 1 montre l’écart entre les prévisions de production des mines existantes (production existante) et la demande prévue pour 2040 (demande en minéraux propres, autre demande). Pour l’ensemble des six minéraux critiques prioritaires, qui ont été regroupés en fonction de leurs valeurs de marché respectives, nous croyons que, pour atteindre une capacité de production annuelle de 16 milliards de dollars, il faudra un nouvel investissement en capital de 30 milliards de dollars dès que possible.
La figure 1 montre également l’écart de production pour chacun des minéraux critiques, en kilotonnes, et indique leurs besoins individuels en capitaux. Le cuivre affiche la plus forte demande intérieure en 2040 (640 kilotonnes) et nécessite le capital le plus important (11 milliards de dollars). Le néodyme, un élément des terres rares, présente la demande intérieure la plus faible en 2040 (3 kilotonnes), ainsi que les besoins en capitaux les plus faibles (0,8 milliard de dollars).
Nous prévoyons une demande de 16 milliards de dollars si l’on tient compte uniquement de l’exploitation minière pour la demande intérieure. Par ailleurs, dans notre scénario d’exportation, les exportations de minéraux critiques vers les États-Unis augmentent de manière stable au fur et à mesure que l’économie propre nord-américaine prend de l’expansion. Cela double la valeur de la demande, alors que le Canada pourrait la voir passer à 32 milliards de dollars. Cette demande pourrait être plus considérable si le Canada était plus ambitieux au chapitre des exportations. En revanche, dans notre scénario de recyclage accru, l’Amérique du Nord atteint les objectifs de l’Union européenne en matière de recyclage des minéraux critiques. Cela entraîne une réduction de la demande prévue en minéraux critiques bruts du Canada à 12 milliards de dollars, en plus de diminuer le montant en capital minier nécessaire et de favoriser l’obtention de résultats plus durables.
Le Canada sortirait gagnant sur le plan économique s’il comblait l’écart de production. Dans les trois scénarios axés sur la demande, la valeur de la production dépasse le coût de l’investissement après seulement deux ou trois ans de production à plein régime. Cependant, pour atteindre ce stade, il faut encore investir des milliards de dollars en capital, ce qui signifie qu’il faut convaincre les investisseurs de la valeur de cette occasion.
Mouvements de capitaux insuffisants
Si les tendances actuelles du marché se maintiennent, le Canada n’attirera pas suffisamment de capitaux pour répondre à la demande de 2040 dans le cadre de la transition vers l’énergie propre. Pour compliquer le tout, notre analyse n’inclut pas les coûts d’exploration, les 28 autres minéraux critiques moins prioritaires ou les 16 autres éléments de terres rares, qui augmentent les besoins en capitaux.
Au Canada, les dépenses d’investissement dans le secteur minier stagnent, alors que celles à l’échelle mondiale augmentent. En outre, des 12 milliards de dollars investis dans l’exploitation des métaux au Canada en 2023, seul le quart est réservé à des métaux autres que l’or, l’argent et le fer. La politique du gouvernement ne suffira pas à couvrir la différence, car les principaux mécanismes de financement pour l’extraction des minéraux critiques sont le Fonds pour l’infrastructure des minéraux critiques, d’à peine 1,5 milliard de dollars, ainsi que le Crédit d’impôt à l’investissement pour les technologies propres, qui couvre au maximum 30 % des coûts en capital.
Le Canada devra accroître considérablement son attrait au chapitre des investissements en capitaux, et ce rapidement, s’il veut jouer un rôle important pour satisfaire la demande en ce qui concerne les éléments de base les plus importants de l’économie propre.
Découvrir un avantage concurrentiel
Le secteur minier canadien serait plus attirant pour les investisseurs s’il était plus concurrentiel que d’autres pays. On associe souvent le concept d’intensité du capital, c’est-à-dire le montant en capital nécessaire par produit, à la compétitivité. Comme le montre la figure 2, l’intensité du capital des mines canadiennes de minéraux critiques est à peu près équivalente à celle des mines ailleurs dans le monde, ce qui n’a pas attiré suffisamment d’investissements pour répondre à la demande intérieure prévue. Si le secteur minier canadien veut être concurrentiel sur le plan de l’intensité du capital, il devra innover considérablement pour abaisser ses ratios.
Si l’industrie minière canadienne pouvait être concurrentielle au chapitre des émissions par produit ou de l’intensité des émissions, elle en sortirait gagnante. Pour les quatre minéraux critiques présentés dans la figure 2, les mines canadiennes ont tendance à avoir besoin d’un capital 15 % plus élevé que la moyenne mondiale. Cependant, elles se distinguent par une intensité d’émissions inférieure de 68 %.
Sur le plan historique, les marchés financiers n’ont pas accordé la priorité à une faible intensité d’émissions. Cependant, les mines, qui sont responsables de 4 à 7 % des émissions mondiales, cherchent de plus en plus à afficher leurs caractéristiques au chapitre du climat. Le Conseil International des Mines et Métaux représente plus du tiers du secteur minier mondial et a fixé une cible de carboneutralité d’ici 2050. Le Canada jouit actuellement d’un avantage concurrentiel dans ce domaine. Toutefois, il doit décarboniser plus rapidement son secteur minier pour éviter que la croissance de l’activité et de la consommation d’énergie ne fasse dérailler les améliorations au chapitre de l’intensité des émissions.
D’autres mesures de durabilité importent également pour l’avenir des mines canadiennes. Nous constatons que 34 % des projets de minéraux critiques prioritaires et actifs se trouvent à moins de 25 kilomètres d’aires protégées et conservées, tandis que 25 % se trouvent à moins de 25 kilomètres de territoires autochtones reconnus par le gouvernement fédéral. Le secteur minier mondial ne dispose pas d’approche commune en ce qui concerne les autres mesures de durabilité. Cependant, il cherche à en adopter une. L’Association minière du Canada jouera un rôle de premier plan pour établir les normes. Les normes qui verront le jour devront au moins reconnaître que les Autochtones ont droit au consentement préalable, libre et éclairé, conformément à l’adoption de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones par le Canada.
L’exploitation de minéraux critiques représente un débouché de plusieurs milliards de dollars pour le Canada afin de stimuler sa transition vers l’énergie propre. Les investissements doivent commencer à affluer dès maintenant afin de tirer parti de ce débouché. Toutefois, en raison des risques liés à la durabilité de l’exploitation minière, le secteur minier canadien doit tenir compte de cet impératif de marché, ainsi que des impératifs environnementaux et sociaux. Les mines ont l’obligation de viser la carboneutralité et de collaborer avec les communautés d’accueil.
Il sera difficile de tenir compte simultanément de ces impératifs économiques, environnementaux et sociaux. Cependant, c’est nécessaire pour assurer la transition vers l’énergie propre au Canada. Il pourrait également s’agir de l’avantage concurrentiel le plus important du secteur dans un monde carboneutre.
Il est possible de télécharger les données utilisées dans le cadre de la présente analyse ici.
Calvin Trottier-Chi est associé en recherche à l’Institut climatique du Canada.