Ce que l’on sait et ce que l’on ignore sur les émissions de la production de plastique au Canada.
Lundi le 5 juin marquait le cinquième anniversaire de la Journée mondiale de l’environnement. Cette année, pour souligner les cinquante ans de la campagne de sensibilisation, l’Organisation des Nations Unies s’attaque plus particulièrement à la pollution plastique. Lorsqu’on pense à cet enjeu, on pense souvent aux déchets flottant dans les océans ou aux produits chimiques toxiques et microplastiques nuisibles pour la santé, mais on oublie souvent l’empreinte carbone.
Et pourtant! L’empreinte carbone des matières plastiques dans leur cycle de vie, de l’extraction de la charge d’alimentation au « traitement » des déchets est considérable. Qui plus est, comprendre et réduire les émissions du cycle de vie des matières plastiques au Canada, ce n’est pas simple. Dans l’analyse de la semaine, nous nous penchons sur ce que l’on sait et ce que l’on ignore à ce sujet.
De bout en bout : déterminer les émissions du cycle de vie des matières plastiques
Matière solide, polyvalente, légère et peu coûteuse, le plastique est devenu une partie intégrante de notre quotidien. Il permet d’emballer la nourriture de façon à réduire les déchets alimentaires, est une composante essentielle de nombreuses technologies innovatrices et de biens de consommation, et entre dans la fabrication des voitures, des autobus et des trains, notamment.
D’un autre côté, la matière plastique est une source croissante d’émissions de carbone. En effet, chaque étape du cycle de vie de la matière plastique – de l’extraction et du transport des combustibles fossiles à partir desquels elle est fabriquée, à la production elle-même, en passant par la gestion de déchets et la décomposition dans l’environnement – est source d’émissions.
L’OCDE estime qu’en 2019, la pollution issue du cycle de vie de la matière plastique représentait 3,4 % des émissions de carbone mondiales. Près de 90 % des émissions mondiales de plastique se produisent durant le processus de transformation à partir de combustibles fossiles et la production elle-même, tandis que les 10 % restants se produisent vers la fin du cycle de vie. Selon l’OCDE, sans une politique ambitieuse, avec l’augmentation de la consommation de plastique, les émissions pourraient plus que doubler à l’horizon 2060, notamment au Canada.
Bien que des recherches visant à circonscrire les émissions attribuables au cycle de vie du plastique aient été menées dans d’autres pays, dont les États-Unis, au Canada, les données sont fragmentaires, ce qui complique l’évaluation de la contribution de l’industrie du plastique aux émissions nationales.
Ce que l’on sait
En gros : nous n’avons pas assez d’information. Il existe très peu de données publiques sur les émissions du cycle de vie du plastique au Canada, hormis celles sur les émissions directement issues de la production (ce qui, en somme, demeure très peu).
En 2020, la fabrication de plastique au Canada a produit 703 kt éq. CO2, ce qui ne correspond qu’à 0,1 % des émissions annuelles totales du pays. Ce chiffre est resté plutôt stable au cours de la dernière décennie (figure 1). Si l’on ne regarde que les émissions de carbone du plastique pour le Canada, on pourrait croire que les émissions de ce secteur sont négligeables.
Ce que l’on ignore
Or, les données que nous avons ne reflètent qu’une partie du cycle de vie du plastique. La catégorie « production de plastique » ne tient compte que de la fabrication (aussi appelée transformation) de produits intermédiaires et finaux (emballages, bouteilles, tuyaux, etc.) à partir de résine de plastique neuve ou recyclée; elle exclut les émissions produites lors de la fabrication des produits chimiques et résines utilisés à l’étape de production. Selon une étude sur l’empreinte carbone mondiale du plastique réalisée en 2019, l’étape de transformation représente 30 % des émissions totales du cycle de vie, alors que l’étape de production de résine en génère 61 %.
Une autre source majeure des émissions de carbone est l’extraction et le transport des combustibles fossiles, la matière première du plastique. On sait que la résine vierge est le type de résine le plus utilisé par les producteurs de plastique canadiens et qu’elle est fabriquée à partir de pétrole ou de gaz naturel. Les émissions générées lors de l’extraction et du transport de gaz naturel et de pétrole, difficiles à quantifier, sont une source d’émission importante dans l’industrie.
Enfin, les émissions provenant de l’extraction et du transport des matières premières ainsi que de la production de plastique pourraient être significativement réduites par la réutilisation ou le recyclage. Malheureusement, au Canada, on ne recycle que très peu de plastique. En 2019, seuls 6 % des déchets ont été recyclés; 82 % se sont retrouvés dans les dépotoirs, 7 % n’ont pas été ramassés ou ont été mal gérés et 4 % ont été incinérés. Si le recyclage lui-même consomme de l’énergie et produit des émissions, il réduit le besoin de matières premières et évite à une partie des déchets de terminer dans les dépotoirs et incinérateurs, deux sources d’émissions.
Que faire?
Plusieurs avenues s’offrent au gouvernement (et sont déjà empruntées) pour réduire les émissions du cycle de vie du plastique : interdiction des plastiques à usage unique, création de mesures incitatives financière pour le recyclage, amélioration des normes de recyclage et d’étiquetage, investissement dans des technologies novatrices d’économie circulaire, utilisation d’énergie renouvelable pour les procédés de production et mise en œuvre de programmes de responsabilisation des producteurs de plastique. Au-delà des mesures prises chez nous, le Canada s’engage aussi à faire des efforts à l’international, notamment par son appui à l’élaboration d’un traité mondial sur la gestion du plastique.
Au bout du compte, pour bien gérer, il faut d’abord mesurer. Ainsi, si nous voulons comprendre les émissions du cycle de vie du plastique et réduire son empreinte carbone au Canada, il nous faut plus de données, plus de transparence et une meilleure responsabilisation. L’inscription des émissions au registre fédéral de plastique proposé – pour lequel le dépôt du projet de règlement est prévu pour la fin 2023 – pourrait être une solution pour avoir l’heure juste à ce sujet.
Anna Kanduth est associée de recherche principale à l’Institut climatique du Canada et gestionnaire de l’initiative 440 mégatonnes.