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État des lieux des politiques climatiques au Canada

Il peut être difficile de suivre le fil des multiples politiques climatiques du Canada; c’est là que la présente base de données entre en jeu.

Introduction

Les gouvernements mettent en œuvre diverses politiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Ces cadres climatiques de plus en plus complexes ont des compositions, des conceptions, des amplitudes et des degrés de rigueur variables.

Pour ne rien arranger, il est particulièrement laborieux de suivre et d’évaluer cet ensemble complexe de politiques climatiques dans des fédérations comme le Canada, où la réglementation des émissions est la responsabilité partagée de l’administration fédérale et des autorités provinciales et territoriales, et où les gouvernements municipaux et autochtones implantent eux aussi des initiatives de réduction des émissions.

Dans la pratique, cela se traduit par une incohérence entre les ordres de gouvernement et entre les politiques. Il peut aussi en découler un manque d’efficacité ou des conséquences indésirables susceptibles de nuire à l’atteinte des objectifs de réduction.

Pour corriger ces lacunes et offrir un portrait clair des efforts de décarbonisation aux chercheurs, aux décideurs et aux entreprises, le Partenariat canadien pour des politiques climatiques (C2P2) a publié une base de données détaillée et dynamique recensant les politiques climatiques au Canada : la Boussole des politiques de réduction du carbone. Cette Boussole, dont une version interactive se trouve sur le site du projet 440 mégatonnes de l’Institut climatique du Canada, permet de comparer d’emblée et de mieux comprendre le contexte des politiques climatiques au pays.

Dans la présente analyse, nous nous plongeons dans la Boussole pour dresser l’état des lieux des politiques climatiques canadiennes.

Pleins feux sur la Boussole

La Boussole répertorie les politiques d’atténuation des changements climatiques au Canada. Elle répartit les politiques adoptées par le gouvernement fédéral et les administrations provinciales et territoriales dans 20 catégories distinctes (secteurs, sources d’émissions visées, types d’instruments utilisés). Le but est de percer le brouillard de complexité qui enveloppe le contexte des politiques en offrant une base pour la recherche sur les politiques climatiques et en donnant l’occasion aux instances gouvernementales de s’inspirer les unes des autres et de coordonner leurs efforts.

Les politiques répertoriées dans la Boussole sont celles dont l’objectif premier est de réduire les émissions de GES. Ainsi sont exclues les politiques qui peuvent y contribuer sans toutefois avoir expressément cette visée (ex. : les taxes d’accise sur l’essence).

À l’origine, la Boussole a été établie à partir de trois grandes sources : les rapports biennaux du Canada au titre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques; une base de données sur les politiques climatiques hébergée sur le site Web de 440 mégatonnes et créée conjointement par Navius Research Inc. et l’Institut climatique du Canada; et des travaux précédents de membres de l’équipe sur les bouquets de politiques climatiques au pays. Entre novembre 2022 et juillet 2024, l’Institut climatique a régulièrement mis à jour sa base de données en examinant les budgets et les documents de politiques fédéraux, provinciaux et territoriaux.

La Boussole a été passée au peigne fin et vérifiée par plus de 20 universitaires ainsi que par les administrations fédérale, provinciales et territoriales. Au moment de son lancement public en août 2024, elle contenait les politiques adoptées, en cours d’élaboration ou annoncées aux niveaux fédéral, provincial et territorial à la fin d’avril 2024. La Boussole sera régulièrement mise à jour pour refléter tout nouveau développement.

Données de la Boussole

Nous avons dégagé 327 politiques axées sur la décarbonisation dans les administrations fédérale, provinciales et territoriales (voir la figure 1). La Boussole offre ainsi une vue d’ensemble du contexte des politiques climatiques au Canada et permet aux utilisateurs d’en explorer les différentes approches d’atténuation par régions, secteurs et types de politiques.

Il est important de noter que la densité (le nombre) des politiques n’est pas nécessairement représentative des efforts. Par exemple, comme l’a démontré l’Institut climatique du Canada, les effets des politiques individuelles ne sont pas forcément cumulatifs. Des indicateurs sur la rigueur, la portée et les interactions des politiques sont plutôt nécessaires pour déterminer l’efficacité des interventions. C’est là une tâche dont se chargera le C2P2 dans l’avenir.

Nous avons classé les politiques en trois catégories de composition distinctes, d’après la façon dont elles contribuent à la réduction des émissions. Les politiques d’aide à la réduction des émissions (politiques « carotte » consistant par exemple à offrir des remises sur l’efficacité aux propriétaires), qui incitent à l’action volontaire, comptent pour 71,5 % de l’ensemble des politiques. Elles surpassent largement les politiques obligatoires exigeant la conformité (politiques « bâton » imposant par exemple des redevances fédérales sur les combustibles), qui représentent 22 %. Les subventions à la production (ex. : déduction fiscale du gouvernement fédéral sur le prix d’achat de véhicules zéro émission pour les entreprises) comptent pour 21,5 %, suivies des subventions à la consommation (ex. : aide financière pour l’achat d’un véhicule électrique neuf du gouvernement provincial [18 %]) et des règlements (ex. : Methane Emission Reduction Regulation de l’Alberta [15 %]). Les politiques indirectes – c’est-à-dire qui permettent sans exiger ni favoriser directement la réduction des émissions et qui, par conséquent, ne prévoient aucun mécanisme direct de changement comportemental – comme les lois habilitantes (ex. : Energy Step Code pour les bâtiments de la Colombie-Britannique) et les politiques d’information (ex. : programme Énergie Futé du Nunavut) affichent le plus faible pourcentage (7 %).

En outre, la Boussole divise les politiques d’atténuation du Canada en plusieurs secteurs; les secteurs du transport (24 %) et du bâtiment (21 %) prédominent. Les politiques multisectorielles, comme la redevance fédérale sur les combustibles et le système de tarification fondé sur le rendement, comptent pour 23 % du nombre total de politiques dans la base de données (figure 2).

De plus, le type de compositions des politiques varie selon le champ d’application (figure 3). Ainsi, les politiques ajoutées par les gouvernements dans les différents secteurs afin de combler les écarts dans le bouquet de politiques climatiques peuvent avoir une portée allant de très large à très restreinte. Les cadres multisectoriels, comme la redevance fédérale sur les combustibles, ont une application plus étendue que les politiques de décarbonisation fondées sur un projet précis.

Parmi les politiques axées sur des projets, nommons le parc éolien d’Inuvik (Territoires du Nord-Ouest) et le Fonds de réponse aux défis climatiques (Île-du-Prince-Édouard). Certaines politiques sont également conçues pour un type de technologies en particulier, comme le programme d’aide financière pour l’achat d’un véhicule électrique de Terre-Neuve-et-Labrador. Les politiques fondées sur des catégories visent des types précis de technologies (ex. : thermopompes) ou d’émissions (ex. : méthane). Il y a aussi des politiques s’appliquant à plusieurs secteurs, plus susceptibles d’être obligatoires, et des politiques d’aide à la réduction des émissions, qui comptent pour la majorité des politiques à portée plus restreinte.

Selon sa portée et sa rigueur, chaque politique promeut différents degrés de réduction des émissions. Les politiques individuelles multisectorielles et obligatoires sont conçues de manière à avoir d’importants effets sur la réduction des émissions. Par exemple, une analyse de l’Institut climatique du Canada et de Navius Research indique que les systèmes de tarification du carbone pour les émetteurs industriels devraient compter pour 20 à 48 % de la réduction dans le Plan de réduction des émissions du gouvernement fédéral.

Il n’est pas étonnant que les gouvernements se concentrent essentiellement sur les politiques d’aide à la réduction des émissions (subventions ou politiques « carotte »), lesquelles sont souvent plus adaptées à une technologie en particulier, plutôt que sur les politiques obligatoires à large portée (règlements ou politiques « bâton »), étant donné les difficultés politiques et les longs processus liés à la mise en œuvre de ces dernières (ex. : tarification et réglementation des émissions).

Ce que réserve l’avenir

Le contexte des politiques climatiques du Canada varie grandement d’une province ou d’un territoire à l’autre en raison du patchwork de structures économiques, d’idéologies politiques, de ressources énergétiques et d’intensités d’émissions. Cette diversité complique la compréhension des interactions, des chevauchements et des écarts dans les politiques. La Boussole des politiques de réduction du carbone constitue un point de départ pour s’attaquer à ce problème.

Par ailleurs, il est nécessaire de mieux comprendre l’évolution de la rigueur et de l’ampleur des politiques, tant intra qu’interjuridictionnelles, au fil des années. La base de données est un premier pas dans le programme de recherche du C2P2 visant à mettre au point des indicateurs améliorés sur ce plan ainsi qu’à mieux saisir les interactions, les chevauchements et les écarts dans les politiques.

Le contexte des politiques climatiques change constamment en raison du resserrement des règlements, de l’évolution technologique, des changements d’administration et de l’environnement géopolitique instable. L’équipe du C2P2 mettra donc continuellement à jour la base de données.


À propos du C2P2

La Boussole des politiques de réduction du carbone est un projet du Partenariat canadien pour des politiques climatiques (C2P2), dont l’objectif est de proposer des options de politiques inédites, astucieuses et cohérentes pour faciliter la transition du Canada vers la carboneutralité. Initiative de recherche dirigée par Jennifer Winter, Ph. D., à l’Université de Calgary, le C2P2 réalise des recherches fondées sur les données et des analyses sur les politiques climatiques au Canada, et soutient ces activités auprès d’un plus large bassin de chercheurs. Figurent parmi ses partenaires et fondateurs l’Institut climatique du Canada, le CIRANO (Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations), le gouvernement de la Colombie-Britannique, le gouvernement du Canada, Mitacs, Québec Net Positif, l’Université Royal Roads, l’Institut pour l’intélliProspérité, le Conseil de recherches en sciences humaines, le bureau du vice-président (recherche) à l’Université de Calgary, et l’École des politiques publiques de l’Université de Calgary.


Jennifer Winter est professeure au Département d’économique et à l’École des politiques publiques de l’Université de Calgary ainsi que conseillère scientifique ministérielle à Environnement et Changement climatique Canada.

William Scott est professeur adjoint à l’École des politiques publiques de l’Université Simon-Fraser.

Alaz Munzur est professeure adjointe d’économique à l’École des études supérieures en politiques publiques Johnson-Shoyama, à l’Université de la Saskatchewan.

Katharina Koch est associée de recherche à l’École des politiques publiques de l’Université de Calgary.