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Cinq recommandations pour moderniser les systèmes d’échange pour les grands émetteurs du Canada

Les systèmes de tarification du carbone industriel réduisent les émissions tout en préservant la compétitivité du Canada, et leur modernisation leur permettrait de gagner en efficacité.

Les systèmes d’échange pour les grands émetteurs représentent la politique climatique la plus importante au Canada. Comme 440 mégatonnes l’a démontré par le passé, ils réduisent davantage les émissions que toute autre politique, le tout en protégeant la compétitivité des industries canadiennes.

Leurs caractéristiques – qui garantissent de faibles coûts tout en permettant la génération de revenus pour les projets sobres en carbone et protègent les producteurs des taxes carbone étrangères – sont précieuses dans le climat d’incertitude découlant des menaces tarifaires de l’autre côté de la frontière. Vu l’évolution rapide des marchés d’exportation et l’émergence de mesures et de tarifs frontaliers, la valeur de ces avantages ne fera que croître.

Mais bien que puissants, les systèmes d’échange pour les grands émetteurs ne sont pas parfaits.

Notre analyse a également montré que si rien ne change, les marchés d’échange créés par ces systèmes risquent de se dégrader dans les années à venir, ce qui minerait la certitude et les sources de revenus nécessaires aux projets de réduction d’émissions. 

L’Institut climatique du Canada vient tout juste de publier une évaluation indépendante de la tarification du carbone et un rapport sommaire qui explique comment les systèmes d’échange pour les grands émetteurs peuvent être modernisés, en s’appuyant sur des modélisations économiques, des données en temps réel et des discussions avec les gouvernements et les experts. Le rapport sommaire formule cinq recommandations pour moderniser les systèmes d’échange pour les grands émetteurs de sorte qu’ils puissent continuer d’être bénéfiques pour le climat et la compétitivité canadienne à long terme.

Recommandation 1 : Prévenir le risque d’une offre excédentaire de crédits.

Comme nous l’avons expliqué ailleurs, l’objectif même des systèmes d’échange pour les grands émetteurs dépend du fonctionnement des marchés d’échange qu’ils créent. Ces marchés sont conçus de manière à ce que les réductions d’émissions aient de la valeur, mais tous ne sont pas en voie de le faire. 

Les systèmes d’échange pour les grands émetteurs ont besoin de marchés fonctionnels. L’évaluation indépendante montre que leur modernisation à l’échelle du pays réduirait d’au moins 18 Mt les émissions de gaz à effet de serre en 2030.

Nous proposons aux gouvernements cinq mesures pour garantir que leurs marchés fonctionnent comme souhaité. Il serait particulièrement important pour les gouvernements provinciaux de resserrer les normes de rendement en cas de risque évident d’offre excédentaire.

Nous estimons que la Colombie-Britannique, l’Alberta et la Saskatchewan sont les plus à risque d’offre excédentaire, bien que tous les systèmes soient à risque.

Les gouvernements peuvent peaufiner la conception de leurs systèmes autrement, notamment en mettant en place des mécanismes de stabilisation du marché. De son côté, le gouvernement fédéral pourrait en outre obliger les systèmes provinciaux et territoriaux à prouver qu’ils ont une demande additionnelle nette en crédits. En parallèle, tous les gouvernements peuvent réduire les risques en repensant et en évaluant d’autres politiques du point de vue des interactions avec les systèmes d’échange pour les grands émetteurs.

Recommandation 2 : Uniformiser les systèmes d’échange infranationaux afin d’améliorer leur efficacité et de garantir une concurrence loyale.

Les systèmes d’échange devraient également établir des conditions justes pour les émetteurs. Les installations fabriquant le même produit devraient faire concurrence avec les normes communes; c’est mieux pour la concurrence entre provinces, mais également au sein d’une même province.

De nos jours, cependant, les normes de rendement de certaines régions peuvent engendrer des incitatifs pervers : elles peuvent permettre à davantage d’installations émettrices d’obtenir des crédits tout en faisant concurrence à des installations plus vertes qui paient plus. Il persiste également des différences entre les provinces et les territoires, qui ajoutent des obstacles à la compétitivité que les décideurs tentent d’abattre.

Le rapport de l’Institut climatique met en lumière cinq mesures supplémentaires pour l’harmonisation des systèmes infranationaux et la réduction de la distorsion concurrentielle actuelle. Les gouvernements devraient avant tout tenter d’avoir une seule norme de rendement pour toutes les installations fabriquant le même produit au sein d’une même région. Ils peuvent également uniformiser la fréquence à laquelle les normes de rendement se resserrent, ou encore augmenter les coûts en même temps. Les systèmes devraient établir des seuils communs faibles pour la taille des installations participant aux systèmes d’échange pour les grands émetteurs, mais aussi chercher à englober davantage du même type d’émissions. Pour finir, les systèmes ne devraient pas remettre le revenu aux émetteurs de manières qui contrecarrent les incitatifs à réduire leurs émissions.

Recommandation 3 : Favoriser la cohérence de l’échange de crédits à l’échelle pancanadienne.

Parmi les grands avantages des systèmes d’échange pour les grands émetteurs se trouvent leur coût dérisoire et l’offre aux installations de diverses façons de se conformer. Cependant, ces avantages sont moins importants dans de petits marchés. Le contexte canadien est fragmenté par ses multiples marchés d’échange pour les grands émetteurs. Une combinaison de ces marchés donnerait lieu à des coûts de conformité plus bas, réduisant ainsi la distorsion concurrentielle.

L’unification du marché pour les systèmes d’échange pour les grands émetteurs est une proposition à long terme, et comme le Canada cherche à réduire ses obstacles commerciaux internes, ce serait un bon moment pour commencer. Pour ce faire, les décideurs peuvent établir un processus d’harmonisation intergouvernemental, créer des normes de crédit prêtes pour l’échange transfrontalier et mettre en place des marchés secondaires ouvrant la porte à de nouveaux participants au système.

Recommandation 4 : Améliorer la transparence des systèmes d’échange.

La transparence et l’efficacité du système sont interreliées. Les problèmes des marchés d’échange pour les grands émetteurs sont un secret de polichinelle, mais les caractéristiques importantes et la plupart des échanges de crédit sont strictement confidentiels. Il est ainsi difficile de suivre et de résoudre les problèmes au sein des systèmes.

Les décideurs peuvent améliorer la transparence des systèmes d’échange pour les grands émetteurs de plusieurs manières, mais ils doivent surtout rendre obligatoire la divulgation du prix auquel les crédits sont échangés, de sorte que les participants et les autorités de réglementation connaissent mieux des incitatifs du système. Le rapport de l’Institut climatique présente d’autres types de renseignements que les autorités de réglementation devraient publier, comme les répercussions sur la compétitivité, et propose l’élaboration d’un registre central facile d’accès où compiler le tout.

Recommandation 5 : Se préparer aux défis futurs.

Le Canada navigue en eaux troubles, mais des tempêtes encore plus importantes sont à l’horizon : la transition vers de nouvelles formes d’énergie et de production faibles en carbone se poursuit, parallèlement à la menace croissance de tarifs frontaliers sur le carbone. Ces enjeux dénotent la nécessité de réduire les émissions en continu, mais de la manière la plus efficace et flexible possible.

Les systèmes d’échange pour les grands émetteurs peuvent continuer de réduire les émissions tout en servant de bouclier pour la croissance sobre en carbone. Toutefois, ce serait plus facile d’y arriver s’ils étaient pensés dans une optique prospective. Les gouvernements peuvent revoir leurs systèmes d’échange pour les grands émetteurs en tenant compte des tarifs frontaliers sur le carbone, notamment en commençant un processus pour déterminer comment les prix des systèmes canadiens se comparent aux redevances imposées à l’étranger. D’autres améliorations, comme un préavis sur les ajustements du prix du carbone et l’harmonisation des systèmes d’échange avec d’autres politiques sectorielles, favoriseraient l’efficacité des systèmes à long terme.

Les systèmes d’échange pour les grands émetteurs fonctionnent : ils réduisent efficacement les émissions et renforcent la compétitivité des entreprises canadiennes. Leur modernisation réglerait le risque d’offre excédentaire, améliorerait la transparence et uniformiserait les variations infranationales. En suivant les cinq recommandations, les décideurs peuvent garantir que les systèmes d’échange pour les grands émetteurs réalisent leur potentiel en attirant les investissements sobres en carbone, en protégeant l’industrie et en plaçant le Canada en bonne position pour les réalités climatiques et commerciales futures.


Dave Sawyer est économiste principal à l’Institut climatique du Canada. Ross Linden-Fraser est chargé de recherche à l’Institut climatique du Canada.