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L’art subtil de comparer les politiques climatiques nationales

Il est important de comparer les progrès du Canada et des États-Unis en matière d’action climatique, mais il faut voir au-delà des tendances et des cibles nationales.

L’action climatique étant à l’ordre du jour pour la visite du président Biden à Ottawa, difficile de ne pas se prêter au jeu des comparaisons lorsque vient le temps d’aborder les avancées des politiques climatiques canadiennes et américaines – pas seulement parce que nous voulons suivre le rythme de nos voisins du Sud, mais aussi parce que l’évolution des ambitions américaines a des conséquences sur la capacité concurrentielle du Canada dans la transition énergétique mondiale.

Toutefois, en procédant à une simple comparaison des tendances, des cibles et des programmes des deux pays, on ne dresse qu’un portrait fragmentaire de la situation. Le tout doit en effet être nuancé en tenant compte des différences majeures dans nos profils d’émissions et nos moyens d’action.

Comparaison des progrès à ce jour

Le Canada et les États-Unis se sont tous deux fixé des cibles de réduction des émissions pour 2030 en vue d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050, assorties de plans montrant la voie à suivre. Le Canada s’est engagé à réduire ses émissions de 40 à 45 % par rapport à 2005, et publiait en mars son Plan de réduction des émissions pour 2030. Les États-Unis se sont pour leur part engagés à réduire leurs émissions de 50 à 52 % par rapport à 2005 d’ici la fin de la décennie, et adoptaient en août dernier l’Inflation Reduction Act. Des évaluations indépendantes menées au Canada et aux États-Unis (ici, ici et ici) ont révélé que ces deux plans permettront de réduire considérablement les émissions d’ici 2030, mais qu’il faudra en faire davantage dans les deux pays pour atteindre les cibles fixées – soit en appliquant les politiques annoncées, soit en en adoptant de nouvelles.

Les émissions canadiennes sont demeurées relativement stables depuis 2005 – autour de 740 Mt – mais nos estimations préliminaires des émissions nationales montrent des signes encourageants. En effet, on estime que les émissions de 2021 tomberont à 691 Mt d’ici 2030, soit 7 % sous le niveau de 2005. Les États-Unis font encore meilleure figure : leurs émissions pour 2021 devraient chuter à 6 360 Mt d’ici 2030, soit 15 % sous le niveau de 2005 (figure 1).

 Figure 1 : Émissions de gaz à effet de serre totales et par secteurs économiques entre 2005 et 2021 pour le Canada et les États-Unis (en Mt d’éq. CO2)

Si l’on regarde secteur par secteur, c’est l’électricité qui a connu la plus grande transformation dans les deux pays. Au Canada, les émissions attribuables à ce secteur ont reculé de 54 % entre 2005 et 2021 (soit l’équivalent d’une baisse de 9 % des émissions nationales); aux États-Unis, le recul est de 35 % pour la même période, ce qui représente 12 % des émissions nationales.

En route vers 2030 et 2050

Si le Canada et les États-Unis ont jusqu’à maintenant tous deux tablé sur le secteur de l’électricité pour faire un bon bout de chemin, les deux voisins, qui n’ont pas le même profil d’émissions, devront donc probablement emprunter des trajectoires différentes pour atteindre leurs objectifs de 2030 et 2050.

Au Canada, le plus grand émetteur est de loin le secteur industriel, qui représentait 42 % des émissions nationales en 2021. Le gros de ces émissions provient du pétrole et du gaz – on estime qu’elles constituent 65 % des émissions du secteur et 28 % des émissions totales. Du côté des États-Unis, le secteur industriel ne représentait que 23 % des émissions nationales en 2021, et seulement un cinquième de ces émissions était attribuable au secteur pétrolier et gazier.

Malgré les progrès réalisés aux États-Unis pour réduire les émissions du secteur de l’électricité (comme nous l’avons vu plus haut), ce dernier génère encore un quart des émissions nationales – seul le secteur du transport pollue davantage. En comparaison, le secteur de l’électricité canadien ne représente que 8 % des émissions nationales, ce qui s’explique en grande partie par le fait qu’aux États-Unis, environ 60 % de l’électricité provient de combustibles fossiles, comparativement à moins de 20 % au Canada (grâce à l’abondance des ressources hydroélectriques). En outre, même s’il ne contribue qu’à 20 % de la production d’électricité américaine, le charbon est responsable de plus de la moitié des émissions du secteur et de 11 % des émissions nationales (figure 2).

Figure 2: Pourcentage (%) des émissions totales attribuables à la production d’électricité

La réduction de la dépendance à l’électricité au charbon est généralement considérée comme une mesure bon marché qui tombe sous le sens lorsque vient le temps d’atteindre les cibles fixées, d’autant plus que l’électricité produite de sources renouvelables est aujourd’hui beaucoup moins coûteuse que celle provenant du charbon. L’abandon graduel de cette ressource au cours de la décennie pourrait permettre de retrancher des émissions nationales des États-Unis un autre 11 % sous le niveau de 2005. Et la décarbonisation complète du réseau viendrait presque doubler les réductions d’émissions potentielles du secteur. Autrement dit, le passage à l’électricité propre pourrait s’avérer une stratégie des plus payantes. Bien sûr, la décarbonisation du réseau électrique fera également partie intégrante de la stratégie canadienne pour 2030 et 2050, mais comme ce secteur ne représente proportionnellement qu’une petite part des émissions nationales, l’effet sur la réduction des émissions sera également moins grand.

Principale source d’émissions au Canada, le secteur pétrolier et gazier apporte son lot de défis particuliers. D’abord, les émissions n’y font qu’augmenter, contrairement à la plupart des secteurs canadiens, et les politiques actuelles ne suffisent pas à infléchir la tendance. Ensuite, la production pétrolière canadienne est beaucoup plus polluante que celle des États-Unis. En effet, le gros des émissions canadiennes provient de quelques sources concentrées de sables bitumineux, tandis qu’aux États-Unis, les trois quarts des émissions provenant de la production de pétrole terrestre sont des émissions de méthane fugitives, d’évacuation et de torchage. C’est là une différence majeure, déterminante pour les possibilités de décarbonisation propres à chaque pays. Par exemple, tout indique que le contexte canadien est plus propice à la captation, à l’utilisation et au stockage du carbone (CUSC) que le sud de la frontière.

Voir aussi grand, mais agir différemment

Jusqu’à tout récemment, une autre différence majeure séparait le Canada et les États-Unis : l’ambition. Cependant, suivant certaines mesures de l’administration Biden, notamment l’adoption de l’Inflation Reduction Act, le Canada et les États-Unis sont plus que jamais sur la même longueur d’onde. Il va sans dire que le Canada se doit d’emboîter le pas à ses voisins du Sud quant à l’intensification de l’action climatique, mais le gouvernement fédéral devrait prendre une autre approche.

Au-delà des différences dans les profils d’émissions, le Canada et les États-Unis ont aussi des stratégies bien à eux pour réduire leurs émissions et atteindre leurs cibles climatiques. En effet, tandis que les États-Unis ne jurent que par les investissements publics (en témoigne l’historique Inflation Reduction Act), le Canada y va d’une approche mixte mettant à contribution une panoplie d’outils, dont la tarification du carbone. Cela signifie qu’en ne comparant que les investissements publics, on n’obtiendrait qu’un portrait incomplet de la situation. Une analyse récente a d’ailleurs conclu que le train de mesures de soutien à la CUSC mises en place par le Canada va en réalité plus loin que les mesures annoncées dans le cadre de l’Inflation Reduction Act, contrairement à ce qu’en dit l’industrie, qui réclame de nouvelles mesures pour concurrencer les encouragements fiscaux américains.

On peut en conclure qu’une comparaison globale des tendances des émissions et des instruments politiques ne donne qu’un aperçu des avancées climatiques au Canada et aux États-Unis. L’art subtil de la comparaison des politiques nationales requiert une approche nuancée qui tient compte des caractéristiques propres aux inventaires des émissions de chaque pays et aux leviers d’intervention dont disposent les gouvernements pour réduire ces émissions. Les deux pays ont fait beaucoup de chemin et ont encore bien du pain sur la planche, mais heureusement, ils caressent désormais des ambitions semblables.


Anna Kanduth est associée de recherche principale et gestionnaire de l’initiative 440 mégatonnes à l’Institut climatique du Canada. Arthur Zhang est associé de recherche à l’Institut climatique du Canada.