Skip to content
Crédit d'image Vue aérienne de l'usine de pâte à papier Kruger sur la rivière Thompson, à Kamloops, en Colombie-Britannique, en septembre 2023. THE CANADIAN PRESS/Darryl Dyck

Trouver une trajectoire carboneutre pour l’industrie des pâtes et papiers

Cette publication d’Analyse est la troisième de notre série sur l’industrie lourde.

Plusieurs choix s’offrent au secteur des pâtes et papiers pour couper ses émissions — s’il arrive à les exploiter.

L’atteinte des objectifs climatiques du Canada n’est pas simplement un enjeu d’émissions, il faut aussi penser à la compétitivité à long terme, la résilience des collectivités et l’équité régionale. C’est le cas de l’industrie canadienne des pâtes et papiers.

L’industrie canadienne des pâtes et papiers est responsable d’une part relativement petite des émissions, soit 7,6 mégatonnes, ce qui la classe dans une catégorie moins prioritaire que les grands émetteurs comme le secteur pétrogazier. Toutefois, la réduction des émissions du secteur des pâtes et papiers est également liée à l’importance des installations pour bon nombre de petites collectivités éloignées.

Les émissions du secteur des pâtes et papiers ont diminué depuis que le secteur a été confronté à d’importants vents contraires alors que la demande de certains de ses produits, comme les imprimés, chutait.

Ces tendances ont rendu difficile l’investissement du secteur dans la décarbonation, mais comme le démontre l’analyse de 440 mégatonnes, le secteur dispose de bonnes options pour réduire ses émissions.

Les émissions du secteur des pâtes et papiers ont diminué, mais pour les mauvaises raisons

L’industrie des pâtes et papiers englobe les usines de pâte à papier, les usines de papier et les fabricants de produits de papier qui font les imprimés, les cartons, les rouleaux de papier hygiénique, le papier kraft, la pâte de bois et d’autres produits. La majeure partie de ses émissions provient des usines de pâtes et papiers, soit un ensemble d’environ 80 installations qui emploient environ 20 000 personnes.

Ces usines transforment les produits forestiers en pâte de bois, et la pâte en papier. Elles sont principalement établies en régions éloignées, et la majorité se trouve dans cinq provinces, soit le Québec, l’Ontario, la Colombie-Britannique, l’Alberta et le Nouveau-Brunswick.

La place occupée par ce secteur a beaucoup diminué au fil des vingt dernières années. Pendant cette période, plusieurs usines ont cessé leurs activités et un grand nombre d’emplois ont été perdus.

Par conséquent, les émissions ont, elles aussi, diminué grandement. Comme le montre la figure 1, le déclin de l’activité économique est responsable de la plus grande part des changements de la quantité d’émissions du secteur des pâtes et papiers depuis 2005. Entretemps, deux autres sources d’émissions prennent une mauvaise tangente. L’intensité énergétique et l’intensité des émissions tendent à augmenter, au fil du temps, contrecarrant certaines pressions à la baisse des émissions. Cette situation est partiellement attribuable à l’industrie qui a commencé à assurer une partie de sa production d’électricité par le biais de la cogénération, ce qui a pour effet d’augmenter les émissions directes.

Le portrait est différent lorsqu’on compare la tendance des émissions des années 1990. Depuis cette époque, l’industrie des pâtes et papiers a grandement amélioré son intensité énergétique et son intensité d’émissions. Quoi qu’il en soit, les récentes tendances devront être inversées pour que l’industrie s’engage dans une trajectoire carboneutre.

Le secteur des pâtes et papiers dispose d’options concrètes pour la décarbonation

Le secteur est responsable de deux principales sources d’émissions : les émissions de la combustion, attribuables aux chaudières utilisées pour produire de la vapeur et de l’électricité, et les émissions des procédés, qui comprennent les fours à chaux qui produisent les apports aux procédés de fabrication des pâtes et papiers. Le secteur compte sur une combinaison de combustibles fossiles et de biomasse pour alimenter ces processus — principalement du gaz naturel, des lessives de cuisson et des résidus de bois.

Toutefois, seulement certaines des émissions de ces combustibles sont comptabilisées dans la quantité totale des émissions de l’industrie dans le Rapport d’inventaire national du Canada. Les émissions de dioxyde de carbone provenant de la combustion de la biomasse, soit 30 mégatonnes pour le secteur des pâtes et papiers en 2021, ne sont pas attribuées à cette industrie. Dans le cadre de la comptabilisation des émissions selon les règles internationales, ces émissions sont traitées comme faisant partie du cycle du carbone forestier. Elles sont enregistrées séparément dans l’inventaire et ne s’ajoutent pas aux émissions totales du Canada.

Pour réduire ses émissions attribuables aux combustibles fossiles, l’industrie des pâtes et papiers devra probablement compter sur une combinaison d’électrification, de changement de combustible et d’efficacité. Les thermopompes industrielles pourraient alimenter certains procédés des installations de pâtes et papiers qui exigent des températures modérément élevées et des séchoirs électrifiés pourraient remplacer certains appareils utilisant des combustibles fossiles, si cette solution était viable économiquement. Lorsque l’électrification présente un plus grand défi, le choix de combustibles moins émetteurs, comme la biomasse ou le gaz naturel renouvelable, peut contribuer à réduire les émissions. Il faut souligner, par ailleurs, que l’industrie des pâtes et papiers est déjà un grand utilisateur de biomasse et que toutes les installations ne peuvent pas augmenter leur utilisation de ces sources d’énergie. Finalement, des mesures d’efficacité améliorées, comme une meilleure récupération de la chaleur perdue, pourraient réduire les besoins énergétiques des usines et, par conséquent, leurs émissions.

Compte tenu de la faisabilité de ces solutions, et de leur coût relativement bas par rapport à certaines autres solutions offertes à d’autres industries lourdes, notre analyse conclut que les politiques climatiques actuelles, ainsi que les moteurs du marché, permettront de réduire les émissions du secteur des pâtes et papiers de près de 3 mégatonnes d’ici 2030. Cliquez sur l’onglet des projections de la figure 1 pour découvrir l’effet de ces solutions sur la réduction des émissions. La figure 2 illustre une comparaison entre ces réductions et la trajectoire carboneutre du secteur.

De plus, puisque la biomasse est parfois considérée comme carboneutre, le secteur des pâtes et papiers pourrait théoriquement passer sous la barre de la carboneutralité et atteindre des émissions nettes négatives. Toutefois, certaines solutions proposées, comme la bioénergie associée au captage et au stockage du carbone, seraient très coûteuses, et un désaccord subsiste quant à la réelle carboneutralité des combustibles provenant de la biomasse.

La politique en matière de climat peut maintenir les pâtes et papiers sur une trajectoire carboneutre

Les réductions projetées dans la figure 2 mettraient l’industrie des pâtes et papiers sur une trajectoire carboneutre. Pour réussir ces réductions, une industrie qui est confrontée à des vents économiques contraires devrait tout de même investir dans la décarbonation. Et pour se maintenir sur cette trajectoire après 2030, la réduction des émissions devrait être plus importante.

Bien que l’industrie des pâtes et papiers projette de réduire ses émissions au cours des prochaines années, elle n’a pas accordé beaucoup d’attention à la politique climatique. Malgré le fait que certaines installations ont bénéficié de subventions provenant d’importantes enveloppes de financement, l’industrie a reçu moins d’aide financière que certains autres secteurs. Ce constat est lié, en partie, à un facteur d’échelle. Par rapport aux autres industries, le secteur des pâtes et papiers est un petit émetteur et la dispersion des émissions produites par plusieurs petites installations fait en sorte qu’aucun projet à lui seul ne permettra d’importantes réductions des émissions.

Pourtant, le secteur des pâtes et papiers peut attirer l’attention pour d’autres raisons. La plus importante, peut-être, est l’importance économique énorme du secteur des pâtes et papiers dans leurs régions puisque les installations sont souvent situées dans les collectivités éloignées ou petites. Les interventions qui améliorent la compétitivité à long terme de ces installations, et minimisent leurs impacts sur l’environnement local, auraient des impacts positifs disproportionnés sur les collectivités hôtes.

Le fait que l’industrie des pâtes et papiers ait reçu moins d’aide financière des programmes publics de décarbonation peut être en partie attribuable aux lignes directrices de ce financement qui privilégient les projets ayant un faible coût par tonne de réduction des émissions. Il serait peut-être nécessaire d’élargir des paramètres de mesure en raison de la combinaison des défis économiques structuraux et de l’importance régionale de l’industrie des pâtes et papiers. Parallèlement, la tarification du carbone visant les industries peut s’avérer un incitatif permanent pour amener les installations à faire la transition vers des sources d’énergie moins émettrices et à utiliser leurs intrants énergétiques le plus efficacement possible. Compte tenu de la possibilité de réaliser des réductions d’émissions, certaines installations seraient en bonne position pour obtenir des crédits de tarification du carbone qu’elles pourraient revendre.

L’industrie des pâtes et papiers a rencontré plusieurs obstacles sur son parcours, mais les données suggèrent qu’il y a une trajectoire possible qui mènera à un avenir plus prospère.


Ross Linden-Fraser est associé principal de recherche à l’Institut climatique du Canada.