La rapidité et l’efficacité de la transition verte du Canada menacées par ses ambitions climatiques en dents de scie.
On dit qu’il est ardu de changer le cours du navire de l’État. Cette réalité est amplifiée dans une flottille comme celle de la fédération canadienne, d’autant plus que les navires qui la composent ne s’entendent pas toujours sur la destination.
Au Canada, les politiques climatiques sont l’affaire à la fois du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux et territoriaux. C’est là un avantage, mais aussi un désavantage. D’un côté, comme l’Institut climatique l’a précédemment expliqué, le fait d’avoir une multiplicité d’autorités qui sont responsable d’un objectif commun favorise l’atteinte de ce dernier. Or, de l’autre, la lutte contre les changements climatiques requiert un mouvement collectif, chose plus difficile à susciter lorsque les différents responsables ont des intérêts divergents.
Comme nous le verrons dans cette analyse, les provinces et territoires du pays sont à des stades très différents de leur planification climatique : certains ont des cibles de réduction des émissions ambitieuses et des plans pour les atteindre, et d’autres tardent à entrer dans la danse.
Ces ambitions en dents de scie pourraient avoir des conséquences inquiétantes sur les efforts nationaux, menaçant la rapidité et l’efficacité économique que permettrait une action concertée des différents ordres de gouvernement.
La somme des cibles provinciales et territoriales inférieure à la moitié de la cible nationale
Bien que ce soit le gouvernement fédéral qui définisse les objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, les provinces et territoires disposent d’outils importants pour contribuer à la lutte climatique, dont bien sûr les politiques sur l’électricité.
Ainsi, pour réagir efficacement à la crise des changements climatiques, le Canada aura besoin d’une grande coopération intergouvernementale. Dans un monde idéal, les différents ordres de gouvernement s’entendraient sur des objectifs compatibles et coordonneraient leurs politiques.
Dans le monde réel, cependant, les administrations n’arrivent pas à un consensus sur leurs objectifs ni sur les façons de les atteindre. Pour illustrer ce problème, il suffit de regarder les cibles de réduction des émissions à court terme.
Si le gouvernement fédéral s’est engagé à réduire les émissions du Canada de 40 % à 45 % par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030, l’ambition collective des provinces et territoires est beaucoup plus anémique. En additionnant leurs cibles officielles, on n’atteint même pas la moitié de la cible de réduction nationale.
Il ne faut toutefois pas prendre cet écart comme une inévitabilité. Les cibles régionales n’empêcheront pas nécessairement le Canada d’atteindre ses objectifs nationaux : en effet, le gouvernement fédéral dispose de ses propres instruments politiques (règlements, tarification du carbone, subventions ciblées) ainsi que d’un processus de responsabilisation climatique pour mettre le pays sur la bonne voie.
Il n’est pas non plus mauvais que différents ordres de gouvernement aient des approches différentes. Cela peut parfois être utile, notamment pour alimenter des conversations sur les façons d’impulser un effort cohérent et ambitieux au pays.
Le problème, c’est qu’une action désorganisée et inconséquente demeure plus lente, plus coûteuse et moins efficace qu’une approche intégrée. Selon nos estimations préliminaires des émissions nationales, les nouvelles politiques ne suffiront pas : les gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral devront coopérer davantage pour que le Canada atteigne sa cible.
Comment se comparent les provinces et territoires?
Il existe aussi des écarts entre les provinces et territoires. Différents gouvernements ont certes pris des mesures considérables – l’Alberta et l’Ontario remplacent progressivement le charbon, le Québec subventionne les infrastructures de recharge de véhicules électriques, et l’Île-du-Prince-Édouard offre des thermopompes gratuites –, mais les mesures individuelles n’égaleront jamais un plan cohérent pour réduire les émissions globales.
Comme l’a déjà déploré 440 mégatonnes, quatre des provinces et territoires n’ont toujours pas fixé de cible de réduction des émissions pour 2030. Même si ces régions œuvrent à éliminer une part de leurs émissions, l’absence de cibles claires et de plans crédibles fait en sorte qu’une réduction dans un secteur pourrait simplement être annulée par une hausse dans un autre.
En outre, bien que certaines se disent prêtes à viser la carboneutralité pour 2050, il sera très difficile d’atteindre cet objectif sans plans ni cibles intermédiaires. Le fait que ce groupe de provinces et territoires englobe les économies les plus émettrices du pays soulève aussi des questions sur l’équité régionale.
Il ne faut toutefois pas prendre cet écart comme une inévitabilité. Les cibles régionales n’empêcheront pas nécessairement le Canada d’atteindre ses objectifs nationaux : en effet, le gouvernement fédéral dispose de ses propres instruments politiques (règlements, tarification du carbone, subventions ciblées) ainsi que d’un processus de responsabilisation climatique pour mettre le pays sur la bonne voie. Mais cela n’excuse pas l’inaction.
Au contraire, les économies à plus forte intensité d’émissions ont tout avantage à se projeter à long terme, car elles seront particulièrement vulnérables aux risques économiques de la transition vers des énergies plus propres.
L’action climatique : quand tout le monde gagne
Si 2030 a déjà pu nous sembler une date si lointaine, il s’agit désormais d’une échéance qui approche à vive allure, particulièrement lorsque l’on comprend tout le travail à faire sur les systèmes énergétiques, les cycles d’investissement et les processus réglementaires. Pourtant, il reste des provinces et territoires qui ne coordonnent pas de réductions de leurs émissions, même celles qui ont des visées carboneutres à long terme.
Cette incertitude qui entoure les politiques n’avantage ni la population ni les investisseurs. Les provinces et territoires gagneraient à se fixer des cibles climatiques et à planifier l’avenir, sur les fronts de l’abordabilité, de la concurrence et de la sécurité publique. Et plus les cibles régionales se rapprocheront des objectifs nationaux, plus le projet sera aisé. Les régions du Canada ne sont peut-être pas toutes dans le même bateau, mais elles sont toutes dans la même flottille.
Ross Linden-Fraser est associé de recherche principal à l’Institut climatique du Canada.