Sans une action concertée des secteurs public et privé, les emplois de demain en environnement et en technologies propres refléteront probablement les iniquités salariales d’aujourd’hui.
Quoi de neuf?
Le gouvernement fédéral publiait en février son Plan pour des emplois durables, dont les objectifs et les mesures provisoires pour 2023-2025 visent la formation d’une main-d’œuvre prête pour la transition vers la carboneutralité. Au cœur de ce plan : la réconciliation autochtone, l’égalité des sexes et la construction d’un Canada plus inclusif et plus diversifié.
Pour atteindre les cibles climatiques canadiennes, il faudra pouvoir compter sur une main-d’œuvre abondante et hautement qualifiée. À ce jour, le nombre d’emplois liés à l’environnement et aux technologies propres (ETP) au Canada est passé de 270 746 en 2012 à 340 870 en 2019; à cela devraient s’ajouter 400 000 nouveaux emplois dans ce secteur d’ici 2050. Cette main-d’œuvre héritera d’une grande part des compétences, des connaissances, de la formation et de l’expérience de ceux et celles qui travaillent actuellement dans le secteur des énergies traditionnelles, mais il est à souhaiter que les iniquités salariales qui touchent les femmes, les personnes racisées et d’autres groupes sous-représentés, courantes dans ce secteur, deviennent chose du passé.
Où en sommes-nous?
Les meilleures données sur l’équité salariale proviennent à l’heure actuelle de Statistique Canada, qui présente, pour les secteurs de l’ETP, le revenu annuel selon le sexe et le groupe de population. Il existe toutefois d’importants obstacles à une analyse plus détaillée. Par exemple, les données de Statistique Canada ne couvrent pas tous les groupes de personnes racisées ni toutes les identités de genre, et elles ne présentent que les salaires moyens, ce qui occulte les différences entre les types d’emploi (à temps plein ou à temps partiel) ou entre les fonctions occupées (débutant, cadre, etc.). Le Plan pour des emplois durables fait de l’amélioration de la qualité des données une priorité, mais on ne sait pas encore si cela se traduira par davantage de données ventilées pour les secteurs qui nous occupent.
La figure 1 montre les salaires annuels indexés dans l’ensemble des secteurs de l’ETP selon les données disponibles. En 2019, les femmes touchaient en moyenne 0,82 $ pour chaque dollar gagné par les hommes. L’écart se creuse encore davantage chez les travailleurs autochtones, particulièrement les femmes, qui touchaient 0,75 $ pour chaque dollar gagné par les hommes non autochtones.
Figure 1: Comparaison des écarts touchant les femmes et les travailleurs autochtones dans les secteurs de l’ETP.
Les données antérieures montrent toutefois que les secteurs de l’ETP sont sur la bonne voie. Dans l’ensemble, les écarts salariaux entre hommes et femmes ont diminué de 0,06 $ depuis 2015 (passant de 0,76 $ en 2015 à 0,82 $ en 2019), un progrès légèrement plus rapide que pour l’économie dans son ensemble, les femmes ayant passé de 0,69 $ pour chaque dollar gagné par les hommes en 2015 à 0,73 $ en 2019.
En revanche, les disparités observées dans les secteurs des énergies traditionnelles et de l’extraction de ressources sont parmi les plus substantielles : une femme n’y gagnait en 2019 qu’un salaire hebdomadaire moyen de 0,60 $ pour chaque dollar gagné par un homme dans les mêmes catégories d’emploi. Il existe donc d’importants obstacles systémiques généralisés dans les secteurs de l’énergie traditionnelle et de l’extraction de ressources – les femmes et les groupes sous-représentés se butent en effet à de nombreuses difficultés pour accéder à des emplois payants et des possibilités d’avancement. Sans une action ciblée des secteurs public et privé, ces inégalités et obstacles structurels risquent d’être reproduits avec la transition de ces secteurs vers d’autres moins polluants.
Politiques et engagements : une bonne base pour lutter contre les inégalités
S’ajoutent aux engagements énoncés dans le Plan pour des emplois durables plusieurs politiques et programmes mis en place pour éliminer et prévenir ces obstacles dans les secteurs de l’ETP. Pensons au volet « Renforcement des capacités » du Programme fédéral des énergies renouvelables intelligentes et de trajectoires d’électrification, qui prévoit du financement pour du mentorat, des programmes d’apprentissage et de la formation pour les groupes sous-représentés dans les secteurs de l’énergie propre. De plus, le budget de 2023 assujettissait les crédits d’impôt accordés aux entreprises au respect de certaines conditions de travail – un salaire équitable, des avantages sociaux pour les travailleurs et l’embauche d’apprentis. Mais des primes pourraient aussi être versées sous forme de crédits d’impôt à l’investissement dans l’économie propre aux entreprises qui respectent les critères d’équité salariale et comptent un fort contingent de personnes issues de groupes sous-représentés à des postes de haute direction. À l’inverse, ces crédits pourraient être refusés aux sociétés qui présentent un haut taux d’inégalités et d’iniquités salariales.
En somme, la rémunération de la main-d’œuvre canadienne ne deviendra pas équitable sans un effort considérable et soutenu des gouvernements et des entreprises.
Arthur Zhang est associé de recherche à l’Institut climatique du Canada.