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Crédit d'image Des personnes évacuées de Yellowknife se dirigent vers Fort Providence, T.N.-O., le jeudi 17 août 2023, le long de l'autoroute 3, à la lisière d'une forêt brûlée. THE CANADIAN PRESS/Bill Braden

Les trois oubliés des estimations d’émissions nationales

Véritables prouesses d’analyse de données, les inventaires d’émissions nationaux manquent toutefois un peu d’exhaustivité.

Lorsque 440 mégatonnes a signalé que les émissions du Canada avaient monté à 685 mégatonnes d’équivalent dioxyde de carbone (Mt d’éq. CO) en 2022, les gens ont, avec raison, voulu savoir ce qui avait contribué à cette hausse. Les estimations de l’ampleur et des sources des émissions passées sont d’une importance vitale si l’on veut mesurer le progrès vers les objectifs climatiques.

Mais qu’en est-il des grandes oubliées des estimations d’émissions du Canada?

Chaque pays exclut des émissions de son estimation officielle, appelée le Rapport d’inventaire national (RIN). Ces exclusions sont régies par des règles fixées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui établit les lignes directrices pour tous les inventaires nationaux.

Ces lignes directrices permettent de produire des données rigoureuses et comparables en matière d’émissions nationales, mais elles excluent certaines sources potentiellement substantielles. Dans cette analyse, nous étudierons les trois types d’émissions qui ne sont pas comptabilisées dans les inventaires nationaux.

Les émissions des forêts non aménagées

En date d’août 2023, les feux incontrôlés sans précédent qui ont fait rage au Canada avaient libéré environ 290 Mt d’éq. CO depuis le début de l’année. Toutefois, l’inventaire officiel du Canada ne tiendra compte que d’une partie de ces émissions, et aucune d’entre elles ne sera comptabilisée dans le total du pays.

Le GIEC oblige les pays à calculer leurs émissions liées à ce qu’il appelle les « forêts aménagées », mais ces émissions sont tout de même exclues du total. La raison : les émissions de l’affectation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie (ou ATCATF) sont particulièrement difficiles à calculer, imprévisibles et, en théorie, ont moins à voir avec l’activité humaine que celles d’autres secteurs.

Le Canada classe environ 62 % de ses forêts comme « aménagées ». Il calcule le carbone absorbé par ces forêts et les émissions provenant de l’exploitation forestière, des feux incontrôlés et de l’infestation d’insectes, mais rien de tout cela n’est comptabilisé dans les 670 mégatonnes attribuées au pays dans le dernier RIN.

En parallèle, le Canada ne compte pas les émissions liées aux 130 millions d’hectares de forêts « non aménagées », émissions sans aucun doute imposantes. En 2021, il a affirmé que ses forêts aménagées captaient environ 130 Mt d’éq. CO, mais rejetaient autour de 310 Mt d’éq. CO en raison de perturbations naturelles comme les feux incontrôlés.

Alors que les émissions totales du RIN ne tiennent pas compte du carbone forestier, le Canada ne comptabilise pas certaines émissions forestières lors de l’évaluation de son progrès vers ses cibles climatiques, et des détracteurs affirment que l’exclusion des émissions des forêts non aménagées lui sert d’avantage injuste. Selon une analyse, la manière dont le pays définit les forêts aménagées exclut certaines forêts gravement endommagées et inclut de façon disproportionnée des forêts plus saines, ce qui améliore artificiellement son bilan de carbone.

Émissions des transports maritimes et aériens internationaux

En 2021, le transport maritime et le transport aérien international représentaient une fois et demie les émissions du Canada; des émissions qui n’étaient toutefois pas comptabilisées dans l’inventaire du pays.

Le principe de base des inventaires d’émissions veut que les pays comptabilisent seulement les émissions générées sur leur territoire. Il s’agit d’une méthode plus facile que de mesurer les émissions intégrées aux produits de consommation, mais cela signifie également qu’aucun pays n’assume directement la responsabilité des gaz à effet de serre émis en territoire international. Les émissions des bateaux en eaux internationales et des avions qui volent d’un pays à l’autre appartiennent à cette catégorie.

Les émissions du transport maritime et aérien international sont relativement faciles à calculer, mais difficiles à gérer. Ces secteurs ont pris quelques engagements pour réduire leurs répercussions climatiques, mais leurs émissions sont tout de même à la hausse, plutôt qu’à la baisse. En 2019, avant la pandémie, le transport aérien intérieur et international produisait 41 % plus d’émissions qu’en 2005, alors que le transport maritime international avait connu une hausse de 21 %.

Les émissions sans estimations

Chaque RIN couvre des centaines de catégories d’émissions figurant dans les lignes directrices du GIEC. Cependant, chaque rapport laisse aussi certaines des catégories vides ou, pour reprendre les termes officiels, « non estimées ».

Les pays peuvent déclarer certaines formes émissions « non estimées » dans deux cas.

Le premier, c’est lorsque le GIEC n’a pas encore élaboré de méthodologie pour ce type d’émissions. Le deuxième, c’est quand un pays peut démontrer que les émissions sont minimes et que les efforts pour les mesurer seraient excessifs.

Cela dit, dans le dernier RIN du Canada, 55 catégories d’émissions n’avaient pas été estimées. Le même phénomène s’observe aux États-Unis, qui n’avaient pas fourni d’estimations pour 47 catégories.

Le cas de l’asphalte illustre bien la situation. Le Canada calcule les émissions liées à la fabrication de cette substance collante, mais pas celles de la pose de cette même substance sur nos routes.

Le Canada a deux raisons d’exclure les émissions du revêtement d’asphalte; le GIEC n’a pas de lignes directrices concernant les émissions de méthane ou d’oxyde nitreux, et celles de CO2 sont trop difficiles à calculer et vraisemblablement minimes. Par contraste, les États-Unis ne calculent pas les émissions de l’asphalte, puisqu’ils ont mené assez d’études démontrant que presque tout le carbone de ce type de revêtement reste dans la route.

Avec le temps, la quantité de calculs manquants à l’inventaire du Canada diminueront à mesure que les méthodes s’améliorent. La liste d’émissions non estimées dans le RIN du Canada est déjà plus courte qu’elle ne l’était il y a 5 ans, alors qu’elle comportait 68 catégories.

Conclusion

Les inventaires d’émissions sont des prouesses d’analyse de données; elles estiment des quantités invisibles de gaz provenant de milliards de points de données. Toutefois, elles n’englobent pas tout.

Les émissions non comptabilisées dans les inventaires nationaux peuvent être déterminantes. Leur exclusion ne compliquera pas nécessairement l’atteinte des cibles nationales, mais elles donnent une idée des bouchées doubles qu’il faudra mettre dans les prochaines années. Pour certaines sources inconnues ou non estimées, les pays devront améliorer leurs méthodes. Pour celles qui ne relèvent de la responsabilité d’aucun pays, les gouvernements devront coopérer.

Que le rapport officiel tienne compte de ces émissions ou non, l’atmosphère, elle, les absorbera.


Ross Linden-Fraser est associé de recherche principal à l’Institut climatique du Canada.