Selon notre deuxième évaluation indépendante du Plan de réduction des émissions pour 2030, les politiques prévues devraient permettre au Canada d’atteindre 85 à 90 % de sa cible – pour peu qu’elles soient déployées rapidement et efficacement.
La semaine dernière, le gouvernement fédéral a publié son tout premier rapport d’étape sur le Plan de réduction des émissions pour 2030. Avec l’aide de Navius Research, l’Institut climatique du Canada a ensuite réalisé une évaluation indépendante (la traduction française sera disponible début janvier 2024) de ce rapport, tout comme il l’avait fait après la publication initiale du Plan l’année dernière.
Cette analyse confirme bon nombre des constats dans le rapport d’étape fédéral, soit que le Canada a fait d’importants progrès, mais que tous les ordres de gouvernement devront accélérer et resserrer leur encadrement pour atteindre la cible pour 2030.
Le présent aperçu résume les principales conclusions et recommandations de l’analyse.
Des progrès majeurs pour le Canada
Nous avons projeté les émissions du Canada en 2030 dans plusieurs scénarios représentant différents degrés de certitude entourant les politiques, de modélisations se limitant aux politiques inscrites dans la loi à d’autres comprenant toutes les politiques annoncées ou en cours d’élaboration. Comme le montre la figure 1, si l’ensemble des politiques prévues étaient déployées rapidement et efficacement et que certaines des politiques existantes étaient resserrées, les émissions pourraient atteindre un creux de 467 à 482 Mt en 2030 (34 à 36 % sous les niveaux de 2005). le Canada se rapprocherait grandement de la carboneutralité.
Nous avons également projeté un scénario où les administrations fédérales, provinciales et territoriales n’auraient adopté aucune politique sur les émissions depuis 2015. Dans ce cas, les émissions atteindraient 775 Mt d’ici 2030 – 41 % de plus qu’avec les politiques actuellement inscrites dans la loi.
Figure 1 : Les trajectoires d’émissions du Canada selon les projections indépendantes de l’Institut climatique
Le progrès ne se mesure pas qu’à la réduction des émissions, mais aussi à la mise en place de politiques. Nous avons donc mesuré la vitesse à laquelle ces dernières étaient déployées, de leur annonce à leur élaboration, ou de leur élaboration à leur entrée dans la loi. Plusieurs politiques majeures ont progressé dans les 20 derniers mois, y compris le Règlement sur les combustibles propres, des règlements provisoires sur le méthane dans le secteur pétrogazier et un mandat de vente proposé pour les véhicules zéro émission. Comme l’illustre la figure 2, des politiques simulées dans cette analyse, 19 sont aujourd’hui inscrites dans la loi, contre 9 lors de l’évaluation de 2022.
Figure 2 : Politiques mises en œuvre depuis la première évaluation indépendante de l’Institut climatique en 2022
Trois recommandations pour atteindre la cible de 440 Mt
Trois mesures sont à envisager pour augmenter les chances que le Canada atteigne sa cible pour 2030.
- Premièrement, tous les ordres de gouvernement devraient s’assurer de déployer l’entièreté des politiques en élaboration et annoncées en date du rapport d’étape 2023. En effet, un déploiement rapide et efficace permettrait au Canada d’amener ses émissions à 34 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030. Or, cela est tout sauf garanti, et le pays risquerait alors de s’éloigner de sa cible.
- Deuxièmement, les gouvernements devraient trouver des façons de combler l’écart restant avec la cible, en resserrant les politiques existantes ou en adoptant de nouvelles mesures. Dans cette optique, notre évaluation fait ressortir plusieurs possibilités d’interactions entre les politiques. Notamment, les crédits carbone risquent de devenir trop nombreux (et donc de perdre de la valeur) sur les marchés des grands émetteurs, ce qui pourrait être corrigé en renforçant les normes de rendement pour réduire les émissions de 15 Mt de plus, soit deux points de pourcentage complets – de 34 à 36 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030. En plus d’ajuster les interactions entre les politiques pour augmenter l’efficacité, les gouvernements devraient explorer des options pour resserrer les programmes existants ou en créer de nouveaux afin d’aller chercher les réductions manquantes d’ici 2030. Par exemple, le gouvernement fédéral pourrait renforcer le Règlement sur l’électricité propre ou encore limiter davantage le méthane dans le secteur pétrogazier.
- Troisièmement, bien que le rapport d’étape 2023 soit un morceau important pour la transparence du Canada sur les progrès dans la réduction des émissions, la mesure de cette progression gagnerait à être améliorée. Plus particulièrement, le gouvernement fédéral devrait élaborer des indicateurs transparents supplémentaires, et les gouvernements provinciaux et territoriaux qui n’en ont pas déjà devraient mettre en place leurs propres processus de responsabilisation climatique.
Malgré tout, il ne faut pas oublier que le fait de ne pas entièrement atteindre la cible n’annule pas le progrès accompli; chaque mégatonne de GES évitée ralentit la crise climatique. Le Canada a fait beaucoup de chemin en instaurant des politiques pour réduire significativement ses émissions, même si celles-ci ne permettent pas encore tout à fait de toucher l’objectif pour 2030.
Néanmoins, le reste du parcours ne sera pas sans embûches. Pour que le Canada remplisse ses engagements, tous les ordres de gouvernement devront bouger très rapidement et efficacement pour déployer leurs politiques planifiées. Tout retard majeur ou affaiblissement des politiques éloignera le pays de sa cible. Le défi est de taille, mais pour peu que les efforts soient concertés, l’objectif national n’est pas hors d’atteinte.
Anna Kanduth est directrice de l’initiative 440 mégatonnes à l’Institut climatique du Canada. Dave Sawyer est économiste principal à l’Institut climatique du Canada.