Les projets de CUSC peuvent aider le Canada à atteindre la carboneutralité. Comment promouvoir leur multiplication? Par une tarification du carbone habilement conçue.
Le mois dernier, le Canada a mis en place le tant attendu crédit d’impôt à l’investissement qui couvrira au plus la moitié du coût en capital de la captation, l’utilisation et le stockage du carbone (CUSC). Les plans climatiques du pays – tout comme la recherche mondiale sur l’atteinte de la carboneutralité – placent de grands espoirs dans le potentiel de cette technologie à décarboniser l’activité industrielle.
En théorie, la CUSC est polyvalente, regroupant toute une batterie de technologies pouvant capter le dioxyde de carbone produit par des procédés industriels. En pratique, les projets de CUSC s’avèrent chers à mettre en application, et plusieurs ne réalisent pas les gains espérés.
Comme l’illustre le nouveau crédit d’impôt du Canada, les politiques publiques sont un important levier pour réconcilier la promesse et les difficultés de la CUSC. La présente analyse regarde comment le pays pourrait employer cette technologie et mettre à profit sa politique climatique – en particulier la tarification industrielle du carbone – pour en réaliser le plein potentiel.
La CUSC : un pari à la fois sûr et risqué
Branche parmi tant d’autres des technologies de captation du carbone, la CUSC désigne spécifiquement les projets où l’on capte et stocke les émissions à leurs sources ponctuelles (sites qui émettent des gaz à effet de serre) plutôt que de les extraire directement de l’atmosphère.
Cela représente quand même plusieurs types de projets. On peut les séparer entre ce que l’Institut climatique du Canada appelle les valeurs sûres – des projets fiables se prêtant aisément à une utilisation à grande échelle – et les paris risqués – des projets susceptibles de réduire beaucoup les émissions, mais dont la viabilité est incertaine. Pour atteindre la carboneutralité, le Canada aura besoin d’un mélange des deux.
En règle générale, les valeurs sûres en CUSC sont des projets qui s’attaquent à des flux de dioxyde de carbone (CO2) très concentrés et donc faciles à intercepter : cimenteries, raffineries, usines de produits chimiques en tous genres…
Les paris risqués sont des projets qui cherchent à capter le CO2 présent à faibles concentrations, comme à la sortie des fournaises au gaz naturel qui s’utilisent dans différentes industries comme la production d’électricité ou l’extraction des sables bitumineux. Ces sources sont bien plus nombreuses, mais leurs émissions sont coûteuses à capter.
Beaucoup projets de CUSC s’envisagent au pays
Le Canada est bien placé pour mettre en œuvre la CUSC : il regorge d’industries ouvertes à cette technologie, de formations géologiques idéales au stockage du carbone et, du moins dans son secteur pétrogazier, d’installations déjà raccordées par des pipelines propres à acheminer le CO2. Sans compter la longueur d’avance que lui confèrent ses dispositifs de CUSC déjà en activité – d’une capacité de captation combinée d’environ quatre mégatonnes par année – principalement dans les milieux de la production d’électricité, de la valorisation et du raffinage du bitume, et de la production de fertilisant.
Cela dit, les plans climatiques de l’État et de l’industrie comptent sur la mise en œuvre de beaucoup plus de projets de CUSC dans les années qui viennent. Selon les projections fédérales, le Canada devrait plus ou moins quadrupler sa capacité de captation, qui atteindrait 16 Mt d’ici 2030. Et dans ses scénarios de carboneutralité, la Régie de l’énergie du Canada estime que le pays pourrait faire grimper ce chiffre à hauteur de 60 à 80 Mt à l’horizon 2050.
D’après la base de données compilée par l’Agence internationale de l’énergie (AIE, figure 1), les chantiers en cours devraient mener à la concrétisation des projections gouvernementales – à condition toutefois qu’ils se déroulent comme prévu. Les données de l’AIE montrent que, au vu de sa filière de projets proposés, le pays pourrait se doter d’une capacité de CUSC d’au plus 26 Mt d’ici 2030, dont 12 Mt seraient captées dans le cadre du projet Pathways Alliance que pilotent les exploitants des sables bitumineux. La base de données fait également état de projets dans certains secteurs qui ne recourent pas actuellement à la CUSC, mais pourraient potentiellement s’en prévaloir à bon escient : c’est notamment le cas des usines de ciment Heidelberg et Exshaw, qui chacune envisagent la captation de 1 Mt de CO2 par année.
Les données font toutefois aussi état de la grande incertitude entourant les projections. Très peu de chantiers sont actuellement en construction. Et au moins quelques projets ont avorté par manque de certitude quant à leur viabilité économique, tandis que d’autres n’en sont qu’au stade d’ébauche.
La tarification industrielle du carbone peut apporter une certitude salutaire aux projets de CUSC
Les projets de CUSC, même les plus sûrs, sont loin d’être exempts d’incertitude.
Ils sont techniquement complexes à bâtir et à exploiter, et nécessitent une infrastructure de captation, de transport et de stockage spécialisée. Il en existe encore très peu d’exemples à grande échelle, et beaucoup d’entre eux n’affichent pas les bilans attendus.
Il reste qu’à long terme, le plus gros problème est potentiellement la facture salée des projets de CUSC. Il s’agit d’une technologie dont la construction est dispendieuse et l’exploitation vorace en ressources; elle capte aussi un gaz qui a peu de valeur commerciale (sauf si on le réinjecte dans le sol pour en extraire le pétrole, mais c’est là une application qui mine l’utilité de la CUSC à réduire les émissions).
C’est donc ici qu’intervient la politique climatique pour créer des incitatifs qui rendent la CUSC intéressante.
Les gouvernements ont différentes raisons de recourir à des subventions, comme le récent crédit d’impôt fédéral, l’initiative Accélérateur net zéro et l’incitatif albertain à la captation du carbone, qui viennent financer la CUSC à même les recettes de la tarification du carbone. En effet, non seulement cette technologie est censée mener à une réduction considérable des émissions, mais le pays pourrait aussi tirer profit de son potentiel de stockage et de son expertise en la matière. Et comme les États-Unis consentent déjà de généreux crédits d’impôt pour la captation du carbone, une aide directe aiderait le Canada à faire concurrence à son voisin du sud pour les investissements dans la CUSC.
La mesure la plus importante demeure la tarification industrielle du carbone, qui attribue un coût aux émissions tout en permettant aux projets qui réduisent celles-ci d’engranger des crédits qu’ils peuvent ensuite vendre aux émetteurs. Ainsi, le système vient alimenter en liquidités les projets de CUSC, qui deviennent viables et ne dépendent plus autant des subventions.
Pour que la tarification industrielle du carbone soit un incitatif efficace à la CUSC, il faut que les systèmes de tarification eux-mêmes fonctionnent comme prévu. Or, il en est certains au pays qui risquent de mal interagir avec d’autres politiques climatiques et d’ainsi perdre en efficacité.
Une étude antérieure de 440 mégatonnes rapporte que certaines politiques climatiques pourraient déséquilibrer les marchés de crédits établis sous les régimes de tarification industrielle du carbone. En effet, lorsque l’offre de crédits dans ces marchés dépasse la demande, le prix chute, ce qui ébranle le flux de revenus des projets de réduction des émissions (comme ceux de CUSC).
Pour stimuler économiquement et efficacement la CUSC, il faut que la tarification du carbone soit certaine
Les décideurs ont différentes options pour veiller à ce que la tarification du carbone ait les effets escomptés. Les autorités de réglementation peuvent imposer des normes plus sévères aux grands émetteurs. Il peut aussi être bon d’approuver des contrats sur différence et autres instruments stratégiques qui garantissent la valeur des crédits de carbone afin de solidifier suffisamment les perspectives pour que les promoteurs concrétisent leurs projets. Les études montrent que ces mesures peuvent asseoir la valeur des crédits de carbone et aider à populariser la CUSC au pays. Il y en a aussi des exemples concrets : on relève jusqu’à trois mégatonnes de projets de captation du carbone dans les sables bitumineux et d’autres industries difficiles à décarboniser qui sont étayés par des contrats entre les promoteurs et le Fonds de croissance du Canada leur garantissant un prix fixe sur le carbone.
Comme l’illustre la figure 2, si la tarification du carbone est suffisamment sévère pour que les crédits s’achètent à 170 $ la tonne (prix du carbone contraignant), elle va considérablement stimuler l’adoption de la CUSC. L’analyse ci-dessous montre qu’un prix contraignant mène au développement, à l’horizon 2030, d’une capacité de captation du carbone supérieure de quelque 56 % comparativement à un prix non contraignant sous la barre des 170 $ par tonne. (Contrairement à l’AIE, qui fonde ses données sur la liste de tous les projets proposés au Canada à ce jour, ces projections montrent l’effet des politiques climatiques actuelles et envisagées.) Les mesures d’ajustement de la tarification du carbone ne font pas qu’impulser la CUSC : elles entraînent également une plus grande réduction des émissions au total.
L’une après l’autre, les études montrent que si la CUSC doit apporter une contribution importante à l’atteinte des objectifs climatiques du Canada, le pays doit voir se concrétiser davantage de projets. Et pour ce faire, la politique climatique sera cruciale.
Le défi pour les gouvernements consiste à adopter des politiques présentant des incitatifs cohérents et rentables. La tarification du carbone est le meilleur outil dont dispose le Canada à cette fin. D’autres politiques pourront être des étais efficaces à la CUSC, mais c’est la tarification qui en sera la pierre d’assise. Il faut simplement s’assurer de bien poser cette fondation si l’on veut réaliser le plein potentiel de la technologie.
En resserrant les systèmes de tarification du carbone, le pays garantira non seulement le bon fonctionnement d’une politique climatique cruciale, mais pourra aussi lever une bonne partie de l’incertitude entourant une technologie potentiellement capitale pour la carboneutralité.
Ross Linden-Fraser est associé de recherche principal à l’Institut climatique du Canada. Arthur Zhang est associé de recherche à l’Institut climatique du Canada.