Le démantèlement des systèmes d’échange pour les grands émetteurs ferait disparaître des milliards en investissements.
Les systèmes d’échange pour les grands émetteurs qui assurent la tarification du carbone industriel ont contribué à attirer des investissements massifs au Canada. Par conséquent, leur élimination amènerait une perte de valeur qui pourrait coûter très cher aux entreprises ayant déjà pris la décision d’investir. En effet, celles-ci comptent sur l’existence des systèmes d’échange et sur les crédits revendables que les projets sobres en carbone peuvent générer.
Or, la valeur totale des actifs qui seraient en péril – crédits, projets physiques et responsabilité civile compris – est loin d’être négligeable.
L’élimination de la tarification du carbone éroderait la valeur de milliards de dollars en crédits
Non seulement les systèmes d’échange créent un incitatif à l’investissement pour les projets sobres en carbone grâce aux précieux crédits, mais ils créent un marché où ces crédits peuvent être vendus au comptant. Si on élimine ces marchés, on déprécie les crédits, qui constituent d’importants actifs au bilan des émetteurs industriels.
L’Alberta a été la pionnière de l’approche nationale adoptée par la plupart des provinces et territoires. Depuis 2007, elle raffine son système au fil de ses objectifs en matière de compétitivité et d’émissions. Son système TIER (Technology Innovation and Emissions Reduction) est le plus grand système de tarification industrielle au Canada.
En Alberta, où l’on a les données réelles, le secteur privé détient près de 5 milliards de dollars en crédits carbone, et jusqu’à nouvel ordre, on comptait sur ces crédits pour générer un rendement lorsque le prix du carbone augmenterait.
L’élimination de la tarification mettrait à mal les projets physiques
Petit à petit, les systèmes d’échange du fédéral, des provinces et des territoires ont généré des investissements considérables. Les modèles issus des recherches de l’Institut au sujet des politiques climatiques du Canada indiquent que les nouveaux investissements dans l’énergie propre liés aux systèmes d’échange pour les grands émetteurs totalisent environ 4,3 milliards de dollars annuellement à l’échelle nationale. L’élimination de ces programmes va bien au-delà de la simple réorientation politique : elle signerait la disparition d’une valeur d’investissement équivalant à des milliards de dollars. En effet, des entreprises dont les projets étaient financés sur la base d’une éventuelle hausse du prix du carbone accuseraient maintenant des pertes au bilan qui viendraient affaiblir leur position financière. En Alberta, par exemple, Emissions Reduction Alberta rapporte qu’en réponse au programme de tarification provincial, le privé a investi plus de 7 milliards de dollars – tandis que la province en a investi 1 milliard – dans 296 projets de réduction du carbone. Pas plus tard que le mois dernier, le fonds a annoncé 55 millions de dollars supplémentaires en nouveaux investissements.
L’élimination des systèmes d’échange met en péril le capital investi dans des projets de réduction des émissions qui comptaient sur la possibilité de générer des crédits revendables – voire l’existence même de ces projets. On peut penser notamment à l’usine pétrochimique carboneutre prévue en périphérie d’Edmonton (9 milliards de dollars), à la modernisation projetée de deux aciéries à Algoma et à Hamilton, en Ontario (2,7 milliards), ainsi qu’à l’usine de ciment sobre en carbone attendue en Alberta (1,4 milliard).
Les retombées vont bien au-delà des poches des investisseurs : chaque projet génère des milliers d’emplois un peu partout au pays.
L’élimination de la tarification pourrait mettre les contribuables dans l’embarras
Dans certains cas, les contribuables pourraient avoir à éponger les pertes liées à la disparition de la tarification du carbone industriel. Par exemple, le Fonds de croissance du Canada a besoin des crédits carbone pour rembourser le milliard en fonds publics investi dans un projet de captation du carbone issu de l’exploitation des sables bitumineux. Sans ces crédits, il n’y aurait aucun mécanisme pour aider les contribuables à récupérer leur placement collectif. Par ailleurs, le gouvernement fédéral a signé des contrats, à hauteur de centaines de millions de dollars, garantissant la valeur des crédits carbone pour certains projets; sans ces crédits, ce sont les contribuables, ultimement, qui devront essuyer ces pertes financières.
Une décision critique
Si la tarification du carbone industriel fonctionne aussi bien et à si bas coût, c’est qu’elle s’arrime aux forces du marché. Mais dans le marché, les changements soudains détruisent la valeur. Non seulement cela, mais ils sèment l’incertitude et donnent l’image que les politiques sont instables. Or, en ces temps où l’économie canadienne est déjà sous pression, une décision critique comme celle-ci menace la prospérité actuelle et future.
Dave Sawyer est économiste principal à l’Institut climatique du Canada. Ross Linden-Fraser est chargé de recherche à l’Institut climatique du Canada. Dale Beugin est vice-président exécutif de l’Institut climatique du Canada.