Les estimations préliminaires pour 2023 montrent que les progrès sont possibles, mais pour que le Canada atteigne la cible de 2030, les gouvernements doivent poursuivre l’élan sur le plan des politiques.
Les estimations préliminaires des émissions nationales (EPEN) de l’Institut climatique du Canada pour 2023 indiquent une légère baisse de 1 pour cent globalement en 2023, ce qui marque une petite amélioration après la remontée post-COVID observée en 2022.
Avec ce recul, les émissions nationales sont maintenant de 702 mégatonnes (Mt) d’équivalent dioxyde de carbone, soit 8 pour cent en dessous des niveaux de 2005, mais encore loin de la cible de réduction de 40 pour cent d’ici 2030. Bien que certains secteurs, comme l’électricité, aient réalisé de grandes avancées, les progrès restent inégaux, avec la hausse des émissions dans les secteurs clés tels que le secteur pétrogazier et celui du transport, qui contrebalancent ces gains. Les efforts politiques soutenus dans le secteur de l’électricité démontrent que d’importantes avancées sont possibles, mais d’autres secteurs doivent lui emboîter le pas et accélérer leur élan pour que le Canada reste sur la bonne voie.
Émissions en baisse, mais les progrès doivent s’accélérer
La diminution observée des émissions en 2023 s’est produite malgré une forte croissance économique et démographique, poursuivant ainsi le découplage des émissions. La croissance économique en 2023 a fait bondir les émissions de 8,6 Mt éq. CO2 par rapport à l’année précédente. Cependant, l’impact de la politique climatique et des marchés en évolution rapide, y compris l’accélération du déploiement des technologies d’énergie propre, ont fait en sorte de réduire les émissions de 14,2 Mt, donnant lieu à une diminution nette globale de 5,6 Mt (figure 2). Les émissions par unité du PIB ont reculé de 3 pour cent en 2023, une amélioration par rapport à la tendance historique de 2 pour cent. Pour se mettre sur la bonne voie, une réduction annuelle de 7 pour cent est nécessaire. Bien que cela puisse indiquer un certain retard, on observe une accélération du taux de réductions, indiquant ainsi que les politiques ainsi que le déploiement de technologies réduisent les émissions à un rythme accéléré.
Progrès inégaux d’un secteur à l’autre
Les EPEN de 2023 mettent en évidence le contraste saisissant entre les progrès dans certains secteurs et la hausse des émissions dans d’autres. Bien que certains changements positifs soient survenus, ils ne sont pas assez généralisés pour permettre au pays de demeurer sur la bonne voie à l’horizon 2030.
Voici cinq points à retenir de notre plus récente estimation des données sur les émissions nationales :
- Les émissions du secteur pétrogazier continuent d’augmenter
Les émissions du pétrole et du gaz ont poursuivi leur tendance de longue date d’augmentations annuelles, en hausse de 1,0 pour cent par rapport à 2022 (+2,2 Mt) et de 12,1 pour cent par rapport aux niveaux de 2005. Le secteur représente maintenant 31 pour cent des émissions nationales. L’augmentation des émissions a été attribuable à une production plus élevée, avec celle du gaz naturel en hausse de 3 pour cent, du pétrole conventionnel en hausse de 3 pour cent et celle du bitume en hausse de 2 pour cent. Bien que le secteur ait observé de faibles améliorations dans l’intensité des émissions par unité du PIB, elles ont été contrebalancées par une croissance générale de la production, annulant tout progrès significatif.
- L’électricité alimente les baisses d’émissions
Le secteur de l’électricité continue de se démarquer, affichant une diminution de 6,2 pour cent de ses émissions en 2023 et atteignant 38 pour cent des niveaux de référence de 2005. La décarbonisation de ce secteur est dictée par des politiques ciblées telles que les systèmes d’échange des grands émetteurs et l’élimination graduelle de l’électricité alimentée par le charbon, ainsi que d’imposantes avancées dans le domaine de l’énergie renouvelable. Les efforts politiques soutenus dans le secteur de l’électricité montrent que le changement transformationnel est possible, mais d’autres secteurs doivent emboîter le pas.
- Le secteur des bâtiments se stabilise
Les émissions du secteur des bâtiments ont reculé de 6 pour cent en 2023, baisse largement attribuable à une plus faible consommation de gaz naturel résidentiel, grâce à l’hiver le plus chaud depuis 2005. Ces plus récents progrès reflètent une tendance positive, où l’intensité des émissions par habitant a diminué de plus de 4 pour cent depuis 2019, contrairement au taux historique de seulement 0,44 pour cent annuellement. Ce signe de progrès des émissions par habitant peut être lié au fait que la population augmente beaucoup plus rapidement que le stock de bâtiments. Toutefois, l’ampleur de l’amélioration indique que les politiques et les améliorations apportées aux bâtiments ont des répercussions.
- Les émissions des transports augmentent à travers la croissance
Les émissions des transports ont enregistré l’augmentation sectorielle la plus importante, en hausse de 1,6 pour cent par rapport à 2022, du fait d’une reprise de 27 pour cent de l’aviation nationale tandis que les émissions des transports routiers sont restées stables. Malgré cela, les émissions par habitant dans le secteur des transports diminuent de plus de 3 pour cent annuellement, conservant le total des émissions en deçà des niveaux pré-COVID, malgré la croissance rapide de la population.
- Les progrès des émissions de l’industrie lourde sont inégaux
Les émissions dans l’industrie lourde ont reculé de 2 pour cent par rapport à 2022, mais cette réduction est inégale d’un sous-secteur à l’autre. Par exemple, les émissions dans le secteur minier ont augmenté, tandis que les émissions de la production de chaux et de gypse ont reculé de 20 pour cent. L’incertitude quant aux projections des émissions demeure élevée en raison de données limitées dans l’ensemble du secteur.
L’adoption de l’énergie propre ne suit pas le rythme
Alors que le Canada enregistre certaines améliorations, la tendance générale en matière d’émissions révèle que les progrès ne se produisent pas assez rapidement ou de manière assez égale pour que le Canada soit en voie d’atteindre sa cible pour 2030, mettant en péril les progrès à long terme. Le secteur de l’électricité s’affiche comme exemple positif de décarbonisation, mais d’autres secteurs — plus particulièrement ceux du pétrole et du gaz, des transports et de l’industrie lourde — demeurent des cas particuliers, alors que leurs émissions augmentent ou qu’elles ne diminuent pas assez rapidement. Ces secteurs continuent de contrebalancer les gains des autres secteurs.
Un enjeu clé est la lente adoption de l’énergie propre. Malgré la baisse de 69 pour cent de l’intensité des émissions du secteur de l’électricité depuis 2005, la demande d’électricité n’a pas augmenté de manière marquée, ce qui indique que la transition vers l’électrification continue de prendre du retard.
Dans le même ordre d’idées, l’adoption de carburants à faible teneur en carbone comme les biocarburants demeure minimale. Une grande partie des progrès pour réduire l’intensité énergétique provient de la transition du charbon au gaz naturel, mais des mesures plus ambitieuses sont requises pour élargir la gamme de sources d’énergie propre afin de répondre à la future demande.
Accélérer le rythme pour être sur la bonne voie
Les EPEN de 2023 soulignent un défi central pour le Canada. Bien que des progrès aient été accomplis dans certains domaines, et que les émissions nationales aient atteint un plateau globalement, chaque ordre de gouvernement doit profiter de l’élan politique — plus particulièrement dans les secteurs tels que celui du pétrole et du gaz.
Les EPEN de 2023 envoient un premier signal, avant la diffusion du Rapport d’inventaire national officiel au printemps prochain, que les gouvernements doivent accélérer l’action pour être sur la bonne voie de respecter les prochains grands engagements climatiques du Canada et pour suivre le rythme de la transition énergétique mondiale.
Seton Stiebert est un conseiller de 440 Megatonnes et Dave Sawyer est l’économiste principal de l’Institut climatique du Canada.