Il faut accélérer le déploiement du stockage par batterie pour aligner le système électrique canadien avec la carboneutralité.
Il est essentiel d’augmenter l’offre en éolien et en solaire dans toutes les régions du Canada si l’on veut des systèmes électriques plus grands et plus propres capables d’alimenter la transition vers l’énergie propre du pays pour qu’il puisse ainsi atteindre ses objectifs climatiques. Cependant, pour absorber la variabilité de la production d’énergie renouvelable à faible coût et renforcer la résilience, les systèmes électriques doivent aussi devenir « plus intelligents » (plus flexibles).
Plusieurs solutions en appui à la flexibilité des systèmes s’offrent à nous à mesure que de nouvelles sources renouvelables variables arrivent sur le marché, comme unir éolien et solaire, stimuler les liens entre les réseaux de différentes régions, augmenter la flexibilité de la demande et déployer des solutions de stockage d’énergie (figure 1).
Figure 1 : Il existe de nombreux moyens de gérer la variabilité du solaire et de l’éolien
Dans l’analyse de cette semaine, on se penche sur le rôle des solutions de stockage par batterie et on remarque que le mouvement prend de l’ampleur, mais que les gouvernements, les exploitants de réseau, les services publics et les autres acteurs du système doivent accélérer le déploiement pour amener les systèmes électriques à la hauteur des objectifs climatiques du Canada.
L’ABC du stockage par batterie
D’une manière générale, les technologies de stockage de l’énergie permettent de stocker l’électricité et de l’utiliser ultérieurement. En gros, les technologies de stockage d’énergie permettent de stocker de l’électricité pour une utilisation ultérieure. Ce stockage peut prendre bien des formes, notamment des technologies à l’arrière du compteur (p. ex. : les batteries de véhicules électriques ou les batteries résidentielles), le stockage à court terme sur les réseaux (p. ex. : les batteries au lithium-ion) ou celui à longue durée (p. ex. : le pompage hydraulique).
La viabilité commerciale et les coûts à la baisse font des batteries au lithium-ion à court terme sur les réseaux une valeur sûre. Les réseaux de régions comme l’Australie-Méridionale, le Texas et le Royaume-Uni utilisent déjà modérément ces batteries À l’opposé, le potentiel des solutions de stockage à long terme sur les réseaux – comme l’air comprimé, les batteries rédox et l’hydrogène – est moins certain, puisque bon nombre de ces technologies en sont encore seulement à la phase pilote et font face à des coûts élevés.
Au-delà de l’amélioration de la flexibilité des systèmes électriques – c’est-à-dire, leur aptitude à répondre aux fluctuations de l’offre et de la demande –, les solutions de stockage d’énergie présentent d’autres avantages. Tout d’abord, une augmentation du stockage peut sabrer les coûts globaux du système électrique en réduisant le niveau d’investissement requis pour avoir plus d’infrastructure de transport et de distribution ou de capacité de production, y compris les centrales au gaz plus polluantes et plus coûteuses, comme les centrales de pointe.
En outre, les batteries peuvent renforcer la résilience du système électrique en fournissant une source de secours lorsque les sources de production sont perturbées – une caractéristique qui deviendra utile à mesure que les réseaux composent avec les conséquences grandissantes des phénomènes météorologiques extrêmes causés par les changements climatiques.
Dynamiser le stockage par batterie au Canada
Bien que le stockage par batterie ait connu une hausse lente et progressive, il est propice à une croissance exponentielle. Partout dans le monde, on s’attend à ce que la capacité de stockage d’énergie augmente de 15 fois entre aujourd’hui et 2030, avec la majorité de la nouvelle capacité attribuable aux batteries. Cela s’explique en grande partie par la chute récente du coût desdites batteries.
Le Canada aussi est sur le point de connaître un boom de stockage par batterie (figure 2). La capacité de stockage croît continuellement, et les récentes données de S&P Global indiquent une puissance installée totale ayant passé de 11 mégawatts en 2016 à environ 92 mégawatts en 2023. Le nombre de projets installés au Canada à la fin de l’année dernière laisse croire à une capacité encore plus grande En 2024, les projets planifiés ou en construction pourraient faire grimper la capacité de stockage par batterie du pays à 559 mégawatts. D’ici 2028, on pourrait atteindre 4 177 mégawatts – une hausse de 45 fois par rapport aux données de 2023.
Durant la même période, la capacité en stockage par batterie devra sans aucun doute augmenter pour que le Canada atteigne ses objectifs climatiques : notre récente analyse avec Navius Research montre que la capacité doit dépasser 12 000 mégawatts d’ici 2030 et tourner autour de 50 000 mégawatts d’ici 2050 pour ce faire. De la même façon, Energy Storage Canada estime que la transition vers la carboneutralité nécessitera entre 8 000 et 12 000 mégawatts de capacité de stockage d’énergie d’ici 2035.
Le rythme exact du déploiement dépendra ultimement de l’adoption d’autres options flexibles, comme l’intégration au réseau et la flexibilité côté demande, ainsi que le rythme de l’électrification et du déploiement des énergies renouvelables. L’adoption variera d’une région à l’autre; des provinces riches en hydroélectricité comme le Québec, le Manitoba et la Colombie-Britannique auront probablement besoin de moins de stockage par batterie que les provinces avec moins d’options flexibles. C’est parce que l’hydroélectricité réduit le besoin de déploiement éolien et solaire et fait office de solution de stockage d’énergie.
Canada s’efforce de populariser les batteries
Avec les forces du marché international, le stockage par batterie devient courant, et les gouvernements fédéral et provinciaux prennent des mesures pour faire décoller davantage de projets au pays.
À ce jour, la source principale d’aide fédérale provient de la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC), qui a offert plus de 673 millions de dollars en financement à deux projets de stockage par batterie à l’échelle du réseau. D’autres programmes, comme Énergie propre pour les collectivités rurales et éloignées et le Programme des énergies renouvelables intelligentes et de trajectoires d’électrification, ont appuyé de tels projets dans des collectivités éloignées et des communautés autochtones.
Qui plus est, une série de crédits d’impôt à l’investissement proposés par le fédéral accéléreront davantage le déploiement du stockage par batterie au Canada. Bien qu’il reste à mettre la dernière main à certains détails, les crédits d’impôt à l’investissement pour l’électricité propre, les technologies propres et la fabrication de technologies propres considèrent tous les projets de stockage par batterie comme des investissements admissibles.
À l’échelle provinciale, les sociétés d’État et les exploitants de réseau mettent la main à la pâte. L’Ontario fait de belles avancées pour augmenter sa capacité de stockage par batterie; le plus grand projet en chantier dans la province est actuellement celui d’Oneida Energy Storage, qui prévoit avoir une capacité installée de 250 mégawatts d’ici 2025. De plus, la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité de l’Ontario est en vue de se procurer une première ronde de 2 500 mégawatts de capacité de stockage avant 2027, avec sept installations de stockage par batterie totalisant 739 mégawatts qui devraient entrer en service d’ici 2026.
En Alberta, l’installation de stockage par batterie d’Enfinite au nord de l’Alberta a ajouté 60 mégawatts au réseau le mois dernier, et l’Alberta Electric System Operator a plusieurs projets en cours. Parmi ceux-ci, deux propositions de projets de batterie ayant chacune une capacité de 465 mégawatts, soit le maximum permis pour une unité en Alberta. La Nouvelle-Écosse a aussi annoncé prévoir construire trois installations de 50 mégawatts, dont la mise en service est prévue en 2025.
Donner un coup de pouce politique au stockage par batterie
Le stockage par batterie prend de l’ampleur au Canada et ailleurs. Toutefois, pour accélérer la capacité des batteries de sorte qu’elle atteigne la cadence et l’ampleur nécessaire pour que le Canada touche sa cible climatique, il faut du soutien politique ciblé pour faire tomber les obstacles au déploiement, comme les longs délais de réalisation des projets et la nécessité d’obtenir de l’appui local, mais aussi des défis propres au stockage par batterie, comme les contraintes de la chaîne d’approvisionnement, les défis d’intégration au réseau et les structures, les règles et les systèmes de tarification du marché actuel.
Bien que certains de ses défis soient plus faciles à relever que d’autres, une solution évidente s’offre à nous : ajuster la réglementation et les règles du marché pour reconnaître et récompenser les avantages singuliers et multiples du stockage par batterie, notamment sa capacité à renforcer la flexibilité des systèmes d’électricité propre.
En surmontant ces obstacles et en stimulant le stockage par batterie, on encourage des systèmes électriques plus grands, plus propres et plus intelligents, essentiels au succès des stratégies climatiques canadiennes.
Arthur Zhang est associé de recherche à l’Institut climatique du Canada. Anna Kanduth est directrice de l’initiative 440 mégatonnes à l’Institut climatique du Canada.