Un ensemble coordonné de politiques provinciales et fédérales a permis de réduire considérablement les émissions de méthane, et ce, bien plus tôt que prévu. Des efforts concertés seront essentiels pour poursuivre sur cette lancée.
La Colombie-Britannique, l’Alberta et la Saskatchewan peuvent célébrer cette année une réussite sur le plan climatique, dans le secteur pétrogazier de surcroît. En 2022, ces provinces ont atteint leurs cibles de réduction des émissions de méthane du secteur pétrogazier en amont pour 2025. Elles y sont parvenues en fixant des cibles précises et en appliquant un cadre stratégique coordonné.
Le méthane est un gaz à effet de serre particulièrement puissant, et le secteur pétrogazier en est le principal émetteur industriel au Canada. Heureusement, comme les émissions de ce secteur sont principalement dues à des fuites de l’équipement qui sont relativement peu coûteuses à éliminer, la mesure politique à prendre est évidente.
Cette analyse explore les plus récentes données sur les réductions des émissions de méthane du secteur pétrogazier et les leçons qui peuvent en être tirées pour progresser sur ce front.
Les émissions de méthane du secteur pétrogazier ont diminué de plus de moitié en moins d’une décennie
La lutte contre les émissions de méthane est une priorité majeure au Canada et dans le monde. En 2021, le Canada a annoncé son soutien à l’engagement mondial sur le méthane (dans le cadre duquel près de 100 pays devaient se doter de plans d’action nationaux achevés ou en voie de l’être d’ici 2024) et s’est engagé à mettre au point un plan pour réduire les émissions de méthane du secteur pétrogazier d’au moins 75 % sous les niveaux de 2012 d’ici 2030. La charte de décarbonisation du secteur pétrogazier compte plus de 50 signataires – dont de grandes entreprises telles que Shell, Exxon Mobil et BP – qui ont notamment comme objectif la réduction quasi complète des émissions de méthane en amont d’ici 2030.
En 2022, les émissions de méthane s’élevaient à 117 millions de tonnes (ou mégatonnes, Mt) d’éq. CO₂, ce qui équivaut à plus de 16 % des émissions nationales de gaz à effet de serre, selon le Rapport d’inventaire national d’Environnement et Changement climatique Canada1. Le secteur pétrogazier a produit 56 Mt éq. CO₂, soit un peu moins de la moitié des émissions totales de méthane.
Les provinces sont à l’avant-garde en matière de politiques de réduction des émissions dans le secteur pétrogazier, l’Alberta étant la première région productrice de pétrole et de gaz à limiter les émissions provenant du brûlage. En 2018, le gouvernement fédéral a présenté un règlement fédéral sur le méthane pour soutenir l’engagement du Canada à réduire les émissions de 40 à 45 % sous les niveaux de 2012 d’ici 2025. L’Alberta a élaboré son propre règlement qui reflète ses priorités et a collaboré avec le gouvernement fédéral pour convenir d’un accord d’équivalence. La Colombie-Britannique et la Saskatchewan ont fait de même.
Comme le montre la figure 1, chaque province a déclaré d’importantes réductions et a atteint sa cible plus tôt que prévu.
Réduire les émissions de méthane à l’aide de politiques coordonnées à plusieurs volets
Les chiffres montrent clairement que cette approche a porté fruit. Les cibles ont été atteintes et dépassées grâce à un éventail de politiques coordonnées, notamment la collaboration avec le gouvernement fédéral.
D’abord, les provinces ont adopté des règlements axés sur la technologie qui s’harmonisent aux mesures fédérales de réduction, comme expliqué ci-dessus.
Ensuite, les trois provinces ont créé des incitatifs à la recherche et au développement sur la mesure et la réduction des émissions de méthane, à l’aide de fonds provenant de paiements de conformité. Par exemple, la Saskatchewan utilise des pénalités en vertu de son règlement pour financer des projets de captage du méthane.
Enfin, les gouvernements ont créé des structures d’incitatifs qui récompensent la réduction. En Alberta, les émissions fugitives ont été intégrées au système provincial d’échanges pour les grands émetteurs, ce qui permet d’ajouter celles-ci au total d’une installation à des fins de conformité pour ainsi éviter de recourir à des mesures de réduction plus coûteuses. (En Colombie-Britannique et en Saskatchewan, les émissions fugitives sont en grande partie exclues des systèmes de tarification industrielle.) L’Alberta a également offert des crédits compensatoires pour les réductions des dispositifs pneumatiques (typiquement des régulateurs de pression, des pompes et d’autres équipements utilisant du propane ou du gaz comprimé aux puits ou aux installations de traitement) installés avant l’adoption du règlement, ce qui a encouragé les entreprises à agir rapidement.
Du côté fédéral, le gouvernement a fourni du soutien financier et technique grâce aux fonds de recherche et développement et au lancement du Centre d’excellence sur le méthane, en 2024.
Grâce au financement provincial et fédéral, les méthodes de mesure des fuites de méthane ont été affinées au cours des cinq dernières années. Il s’agit d’un bénéfice considérable qui permet au gouvernement fédéral d’apporter d’importantes mises à jour aux estimations du Rapport d’inventaire national. Cependant, ces modifications ont fait augmenter les émissions déclarées, les émissions fugitives de méthane du secteur pétrogazier passant de 12 Mt (27 %) à 19 Mt (32 %) par année de 1990 à 2022 (les valeurs représentent les écarts par année). Autrement dit, l’empreinte du secteur pétrogazier est plus importante que prévu. Heureusement, les mises à jour ont aussi un effet sur les émissions déclarées de l’année de référence et des années précédentes ainsi que sur le pourcentage des cibles de réduction à atteindre. Par exemple, selon une étude sur la Saskatchewan s’appuyant sur les mesures affinées, la province a probablement atteint sa cible de réduction. Les mises à jour ont amélioré la précision et la fiabilité des valeurs de méthane déclarées, un élément essentiel pour la surveillance des émissions et les mesures stratégiques dans les années à venir.
Comment réduire davantage les émissions de méthane du secteur pétrogazier
Le moment est venu pour les provinces et le gouvernement fédéral de mettre les bouchées doubles en établissant des cibles et en adoptant des politiques afin d’élargir le champ d’application et de réduire davantage les émissions de méthane du secteur pétrogazier. La précédente réussite a entraîné une modeste réduction de l’intensité des émissions pour l’ensemble du secteur, mais la croissance de la production a été plus rapide que cette réduction. Cela signifie que les émissions totales du secteur ont continué d’augmenter et alourdissent donc les coûts croissants des changements climatiques.
Une analyse récente de 440 Mégatonnes montre que la réduction des émissions de méthane de 75 % d’ici 2030 est une des politiques les plus prometteuses pour corriger le tir et permettre au Canada d’atteindre sa cible de réduction des émissions pour 2030 prévue par la loi.
Certains gouvernements sont plus ambitieux. La Colombie-Britannique a déjà resserré son règlement afin de réduire les émissions à 75 % sous les niveaux de 2014 d’ici 2030. Comme précédemment mentionné, le gouvernement fédéral s’est engagé en 2021 à élaborer un plan pour réduire les émissions de 75 % et a publié un nouveau projet de règlement sur le méthane du secteur pétrogazier, une pièce maîtresse de ce plan. Enfin, le projet de règlement introduit une option de conformité fondée sur le rendement qui ajoute de la flexibilité dans la conformité par rapport au règlement de 2025.
Cependant, les gouvernements ne se sont pas tous engagés à atteindre cet objectif, et il pourrait être nécessaire de resserrer les exigences du projet de règlement. Le gouvernement de la Saskatchewan n’a pas adopté de nouvelle cible, même si son secteur pétrogazier a déjà réduit ses émissions d’évacuation et de brûlage à la torche de 67 %. En outre, l’analyse commandée par la province prévoit que les réductions de méthane devraient être l’une des options les moins coûteuses pour le secteur. Le gouvernement de l’Alberta a annoncé qu’il mobiliserait sa population pour atteindre une cible plus ambitieuse, soit une réduction des émissions de méthane de 75 à 80 %, mais il n’a toujours pas agi et a exprimé son opposition au règlement fédéral dans son mémoire technique en faisant valoir qu’il est trop prescriptif et que les coûts y sont sous-estimés. Le règlement de la Colombie-Britannique, bien qu’il permette certaines avancées, reçoit aussi son lot de critiques voulant qu’il ne couvre pas toutes les activités du secteur pétrogazier où il pourrait y avoir davantage de réductions, et que certains délais de conformité ont été reportés jusqu’en 2035.
Les provinces peuvent surmonter ces difficultés en s’appuyant sur leurs précédentes réussites, en fixant des objectifs clairs et réalisables et en testant de nouvelles approches techniques et stratégiques en collaboration avec l’industrie, les équipes de recherche des secteurs public et privé, les peuples autochtones et d’autres intervenants. Une coopération continue avec le gouvernement fédéral sera également essentielle pour atteindre des cibles ambitieuses de réduction des émissions de méthane.
Il serait judicieux pour la Colombie-Britannique, l’Alberta et la Saskatchewan de prendre des mesures afin de réduire davantage les émissions de méthane du secteur pétrogazier en amont. Ces provinces ont démontré que des politiques coordonnées et adaptées à la région peuvent entraîner une réduction considérable des émissions sans compromettre la productivité économique. Le méthane est un puissant gaz à effet de serre; le succès des politiques de réduction des émissions dans le secteur pétrogazier permet de tirer de précieuses leçons quant à l’urgente possibilité qui se présente de les réduire davantage d’ici 2030.
Alison Bailie est associée de recherche principale à l'Institut climatique du Canada.
1 La contribution du méthane au réchauffement climatique est plus conjecturale que celle des émissions de dioxyde de carbone. En effet, certains scientifiques font valoir que les émissions de méthane ont un impact plus important que les calculs d’équivalent CO₂ l’indiquent, alors que d’autres affirment le contraire. Pour la présente analyse, nous avons utilisé, dans la figure 1, les valeurs que les provinces ont déclarées dans leurs propres discussions sur la réduction des émissions de méthane du secteur pétrogazier. La déclaration nationale des émissions utilise les normes internationales et établit que le potentiel de réchauffement climatique du méthane est 28 fois celui du dioxyde de carbone sur une période de 100 ans.