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Cinq points à retenir du World Energy Outlook 2024 pour le Canada

La semaine dernière, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a publié son rapport annuel World Energy Outlook. Cette sommité en matière de scénarios et d’analyses énergétiques présente sa perspective holistique sur les tendances mondiales de la transition.

Le rapport et ses trois scénarios – scénario de politiques en place (STEPS), scénario de politiques annoncées (APS) et scénario de carboneutralité d’ici 2050 (NZE) – sont souvent utilisés par les décideurs politiques, le secteur privé et les investisseurs pour éclairer leurs décisions et leurs analyses des risques liés à la transition. Chaque scénario illustre différentes hypothèses quant à l’avenir du climat, aux politiques énergétiques et aux mesures conséquentes1.

Dans la présente analyse, nous résumons cinq points à retenir du World Energy Outlook 2024 en lien avec le Canada, points qui s’inscrivent en grande partie dans la foulée de notre analyse de l’an dernier.

1. L’ère de l’électricité propre est arrivée

Les trois scénarios du World Energy Outlook 2024 montrent que les systèmes énergétiques du monde entier s’électrifient de plus en plus. Même dans le STEPS, où les pouvoirs publics ne prennent aucune autre mesure que les politiques actuelles ou en chantier, la demande en électricité dans les économies avancées est en voie de doubler d’ici 2050, notamment en raison du passage aux véhicules électriques, des thermopompes et de l’électrification industrielle. Au Canada, pour répondre à cette demande croissante, les réseaux électriques des provinces devront devenir plus grands, plus propres et plus intelligents. Nous concluons de notre analyse que la production d’électricité du pays devra croître de 1,6 à 2,1 fois d’ici 2050 pour répondre à la demande en électricité. 

Dans les scénarios du rapport, les sources d’électricité écologiques, tout comme la conception de systèmes intelligents, jouent un rôle de plus en plus important; la capacité des installations d’énergie renouvelable dans le monde augmente de 2,3 à 2,7 fois d’ici 2030 par rapport à aujourd’hui (figure 1). À l’expansion des énergies renouvelables s’ajoutent des investissements considérables dans le transport et la distribution de l’électricité, mais aussi dans les technologies de stockage afin d’améliorer la flexibilité des systèmes; dans le cas du STEPS, les investissements en stockage par batterie passent à près du triple d’ici 2030.

2. Qui dit plus d’électricité dit moins de combustibles fossiles

D’après la demande énergétique mondiale totale dans les trois scénarios du World Energy Outlook 2024, le pic de la demande de chaque combustible fossile arrive avant 2030, tandis que l’électrification progresse. C’est la deuxième année que l’AIE tire cette conclusion : son président, Fatih Birol, fait d’ailleurs valoir que cette année, nombre d’autres projections, dont celles de grandes sociétés pétrolières et gazières, en viennent à la même conclusion.

Le passage de ce pic dans la présente décennie est une excellente nouvelle pour le climat, mais la suite des choses sera aussi décisive, car la demande de combustibles fossiles en 2050 diffère radicalement d’un scénario à l’autre, tout comme les prévisions sur la hausse de la température à long terme. La baisse de la demande mondiale de combustibles fossiles aura également des répercussions sur la compétitivité à long terme du secteur pétrolier et gazier canadien.

3. La transition énergétique réduira la facture d’électricité des ménages

Dans son rapport 2024, l’AIE estime que le passage à l’énergie propre peut réduire la facture des ménages ainsi que l’exposition à la volatilité des prix du carburant. Dans le scénario NZE, les factures des ménages dans les économies avancées sont 25 % moins élevées que dans le STEPS en 2050, en raison : d’améliorations à l’efficacité énergétique, à l’isolation et aux systèmes de chauffage et de climatisation; de changements comportementaux; et d’une diminution des prix de gros des combustibles fossiles résultant d’une demande amoindrie.

Les conclusions de l’AIE cadrent avec l’analyse de l’Institut climatique concernant l’incidence de l’électrification domestique sur les prix au Canada. Nous avons déjà relevé d’importants progrès dans l’adoption des technologies propres prépondérantes dans le World Energy Outlook qui peuvent réduire les factures d’électricité. Les ventes de voitures électriques atteignent de nouveaux sommets chaque trimestre, et l’installation de thermopompes continue de s’accélérer, surtout dans certaines régions comme les Maritimes.

Malgré la diminution des coûts des technologies propres, le rapport 2024 note encore que les coûts prohibitifs en amont entravent la carboneutralisation, en particulier pour les ménages à revenu faible ou moyen. Il suggère aux gouvernements d’envisager des subventions à long terme et d’évaluer la possibilité de revoir les tarifs d’électricité et de gaz naturel afin de prendre en compte les répercussions d’un éventuel déclin des prix du gaz; nous formulons la même recommandation dans notre rapport Thermopompes rentables: chauffer et climatiser à faibles coûts au Canada.

4. Les minéraux critiques du Canada feront l’objet d’une forte demande

Les minéraux critiques sont indispensables pour la transition vers un avenir sobre en carbone puisqu’ils entrent dans la fabrication des infrastructures et des technologies nécessaires, par exemple dans les batteries de véhicules électriques et les éoliennes. L’AIE constate cependant que leur concentration dans un très petit nombre de pays, dont la Chine, présente des risques de sécurité énergétique (figure 2).

Plus tôt cette année, le Canada s’est classé au premier rang dans la liste de BloombergNEF sur les chaînes d’approvisionnement en batteries, ce qui présage que les entreprises canadiennes peuvent se tailler une place importante auprès des multinationales qui cherchent à diversifier leurs chaînes d’approvisionnement pour limiter les risques. Or, les producteurs miniers du pays devront remplir toutes les exigences économiques, environnementales et sociales pour rester dans la course.

5. Le Canada doit poursuivre sur la lancée des politiques en chantier

Le World Energy Outlook 2024 montre que la transition vers l’énergie propre progresse partout dans le monde. L’AIE affirme que l’augmentation des émissions depuis 2019 aurait été trois fois plus importante sans le déploiement grandissant de technologies propres. En revanche, la cadence et la portée des mesures prises au Canada et à l’étranger doivent augmenter si l’on espère s’éloigner de la trajectoire d’émissions décrite dans le STEPS et ainsi éviter les contrecoups dévastateurs d’un réchauffement de plus de 2 °C. Dans notre analyse précédente, nous avons montré comment les gouvernements du Canada peuvent intensifier l’élan des politiques afin de favoriser l’atteinte des cibles de réduction pour 2030 et de préserver l’avantage concurrentiel des entreprises du pays.

En somme, le rapport 2024 de l’AIE insiste sur les occasions et les risques considérables que la transition énergétique mondiale – qui prend de l’élan – représente pour le Canada. La réponse des décideurs aura en effet de vastes conséquences pour l’économie nationale pendant des années.


Arthur Zhang est associé de recherche à l’Institut climatique du Canada. Alison Bailie est associée de recherche principale à l’Institut climatique du Canada.


1 Dans l'étude STEPS, les gouvernements ne prennent aucune mesure politique supplémentaire majeure au-delà d'aujourd'hui (conduisant à un réchauffement de 2,4 degrés Celsius (°C) d'ici 2100). L'APS suppose que les gouvernements atteignent leurs objectifs nationaux en matière d'émissions (ce qui conduit à un réchauffement de 1,7 °C). Le scénario NZE prévoit des émissions carboneutres en 2050 tout en limitant l'augmentation de la température à moins de 1,5 °C. Cette année, l'AIE note que la NZE montre « une voie de plus en plus étroite mais toujours réalisable ».