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CINQ CHOSES À SAVOIR SUR LES ÉMISSIONS DU CANADA EN 2022

Analyse approfondie du plus récent Rapport d’inventaire national

Le 2 mai, le gouvernent fédéral a publié les plus récentes données sur les émissions de gaz à effet de serre pour 2022. Le Rapport d’inventaire national (RIN) fait état de progrès : les émissions du Canada ont diminué depuis l’atteinte de leur sommet, et elles se dissocient de la croissance économique. Ce sont de bonnes nouvelles, mais il faudra hâter le pas pour atteindre la cible de 2030.

Les émissions nationales totales se situent actuellement à 7,1 % sous les niveaux de 2005, l’année de référence pour la mesure de la cible de réduction officielle du pays d’au moins 40 % d’ici 2030, et à 5,9 % sous les niveaux prépandémie (2019), et ce, malgré la croissance économique de 3,2 % enregistrée depuis.

Les données du RIN en disent long; nous les avons analysées pour en dégager les grandes lignes.

Voici cinq choses à savoir.

1. Le découplage de la croissance économique et des émissions s’accélère

Le défi de la décarbonisation, c’est de réduire les émissions tout en stimulant l’économie. Selon le plus récent RIN du gouvernement fédéral, le Canada continue de dissocier les émissions de la croissance économique et suit les tendances générales estimées par l’Institut climatique du Canada plus tôt cette année (figure 1).

La croissance économique de 2020 à 2022 a également entraîné une remontée des émissions, mais celles-ci restent bien en deçà des niveaux prépandémie (2019). Sur une note positive, les réductions de l’intensité des émissions (t d’éq. CO₂/PIB en $) enregistrées après 2019 sont beaucoup plus substantielles que celles des années précédentes, ce qui indique une accélération de la dissociation entre les émissions et la croissance économique. En effet, le taux annuel est passé de 1,9 % avant 2019 à 3 % depuis. Cependant, il faut accélérer encore le découplage et faire doubler ce taux (à 6 %) pour atteindre la cible, qui est de 419 à 457 Mt éq. CO₂ d’ici 2030.

2. Les émissions des sables bitumineux sont plus élevées que jamais, tandis que les émissions de méthane sont sur la bonne voie

Chaque année, le RIN subit un processus de mise à jour et d’amélioration de l’information publiée par les années passées. Cette année, les plus importants changements méthodologiques sont l’intégration de mesures atmosphériques pour estimer les émissions issues de la mise à l’air du méthane provenant de l’équipement de production pétrogazière en amont, et la révision du potentiel de réchauffement planétaire sur 100 ans pour le méthane selon les données du cinquième rapport d’évaluation du GIEC.

Cette année, les émissions totales de 2021 ont été revues à la hausse, passant de 670 à 698 Mt éq. CO₂ pour une augmentation de 28 Mt éq. CO₂. C’est le secteur pétrogazier qui enregistre le gros de cette hausse, soit 26,6 Mt éq. CO₂. Ses émissions représentent maintenant 31 % des émissions nationales totales, et ce, sans compter l’affectation des terres et les changements à cette affectation.

L’incidence de ce recalcul n’est pas uniforme dans l’ensemble du secteur. Les révisions pour le méthane concernaient surtout la production et le traitement du gaz naturel ainsi que la production de pétrole classique. Cela ne fait qu’affirmer l’importance des règlements sur la réduction du méthane pétrolier et gazier. La baisse des émissions de méthane – en particulier, celles issues de la mise à l’air – s’est accentuée en 2022, ce qui compense largement l’augmentation des émissions rapportée dans les nouveaux calculs ainsi que de l’accroissement du secteur de la production de pétrole classique.

L’exploitation des sables bitumineux et les activités pétrogazières en aval, y compris le raffinage du pétrole et la distribution de gaz naturel, émettent moins de méthane; par conséquent, la nouvelle méthode de calcul a peu d’effet pour ce sous-secteur. Malgré cela, les émissions liées aux sables bitumineux ont augmenté d’un peu moins de 1 Mt en 2022 pour atteindre un niveau plus élevé que jamais, soit 83,3 Mt éq. CO₂.

3. Le secteur de l’électricité est (en grande partie) un modèle de décarbonisation

Depuis 2005, le secteur de l’électricité réduit constamment ses émissions. C’est aussi le seul secteur où les politiques inscrites dans la loi et les politiques en cours d’élaboration semblent raisonnablement compatibles avec les cibles de carboneutralité. Avec la diminution annuelle moyenne de 5 % de l’intensité des émissions qu’il affiche depuis 2005, le secteur enregistre une baisse totale de 54 % des émissions pour cette période (figure 2).

Depuis cinq ans, c’est l’Alberta qui mène la course grâce à une réduction de 54 % (23 Mt) de ses émissions d’électricité. En 2022, le secteur de l’électricité albertain a réduit ses émissions de 3,3 Mt éq. CO₂, le plus important recul dans l’inventaire national au pays, tous secteurs économiques confondus. C’est sans contredit le résultat de la mise sur pied du système d’échanges pour les grands émetteurs de la province, en 2017, et d’autres politiques comprenant des mesures pour inciter la production non émettrice. S’ajoutent à cela l’interdiction de la production d’électricité à partir du charbon à l’échelle provinciale et fédérale et la chute des coûts de production d’énergie renouvelable, pour créer un contexte favorable à la décarbonisation rapide. Deux provinces vont toutefois à l’encontre de cette tendance nationale : le Nouveau-Brunswick, où les émissions du secteur de l’électricité de 2022 ont grimpé de 22 % par rapport à l’année précédente, et l’Ontario, où l’augmentation se chiffre à 12 %.

4. Les émissions des transports demeurent un enjeu

Les émissions des transports ont augmenté depuis l’année dernière en raison d’une hausse majeure de la demande du côté des véhicules utilitaires, du transport aérien et des camions et véhicules routiers lourds. Nous aurons besoin de politiques robustes pour atténuer les émissions dans ce secteur en dépit de la croissance économique et de l’accroissement rapide de la population. Les effets de ces deux facteurs se font particulièrement sentir en Ontario (+2,7 Mt), au Québec (+1,5 Mt) et en Colombie-Britannique (+1,18 Mt).

5. Les émissions de l’agriculture demeurent élevées, et sont mauvais présage quant aux répercussions de la variabilité du climat

En 2022, les émissions de l’agriculture ont atteint un sommet historique de 70 Mt, soit 4 Mt de plus qu’en 2005. Mais le bilan n’est pas uniforme : depuis 2005, l’utilisation de combustibles dans l’exploitation agricole a augmenté de 52 %, la production des cultures a grimpé de 78 %, et l’élevage a diminué de 19 %. La combinaison de ces trois sources d’émissions a pour résultat que les émissions agricoles totales se sont maintenues dans une fourchette assez étroite – entre 61 Mt et 70 Mt – de 2005 à 2022.

Cela dit, le secteur est aussi concerné par l’enjeu du stockage de carbone dans les sols et les cultures, et le dernier RIN tire la sonnette d’alarme sur les changements climatiques. En effet, en 2022, les sécheresses – qui nuisent à la capacité des sols et des cultures de séquestrer le carbone – ont causé le relâchement d’un impressionnant 22 Mt d’émissions. C’est là presque le triple du relâchement record précédent, soit 8 Mt en 2003. Depuis 2005, le secteur affichait une moyenne de -20 Mt, les terres cultivées ayant généralement séquestré bien plus de carbone qu’elles n’en produisaient. Il sera impératif de comprendre ces grands relâchements d’émissions pour trouver des façons de les ralentir ou de les atténuer, sans quoi ils pourraient avoir d’énormes répercussions.

Suivi des progrès

L’Institut climatique du Canada publie ses estimations préliminaires des émissions nationales à l’avance de la sortie du RIN afin qu’il y ait toujours des données récentes pour éclairer la prise de décisions. Les estimations préliminaires pour 2022 sont parues en septembre de l’an dernier, soit plus de sept mois avant le RIN de l’année.

Afin de permettre la comparaison directe des deux jeux de données, l’Institut climatique a dû procéder à un recalcul appliquant les grandes améliorations méthodologiques mentionnées plus haut. Après ce travail, les émissions de 2005 à 2021 ont été rajustées, et les estimations préliminaires pour 2022, augmentées de 685 Mt à 712 Mt (+27 Mt).

Cet exercice aura réduit l’écart avec les émissions déclarées dans le RIN à 4 Mt, une différence de moins d’un pour cent.

Les nouvelles estimations préliminaires des émissions nationales pour 2023 seront publiées en septembre, encore environ sept mois avant les données officielles, et présenteront le progrès du découplage ainsi que l’évolution des émissions par secteurs. Le décompte est lancé : il ne reste que huit années de déclaration avant la fin de 2030. Si le Canada espère réduire ses émissions de façon significative, atteindre ses objectifs et bâtir une économie plus propre, il devra déployer des politiques en ce sens sans tarder.


Seton Stiebert est conseiller pour le projet 440 mégatonnes, et Dave Sawyer, économiste principal à l’Institut climatique du Canada.