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Trois pistes à explorer pour réduire les émissions polluantes au Canada

Donner suite aux politiques en cours d’élaboration, renforcer certaines mesures et ajouter quelques actions ciblées.

Introduction

Les politiques climatiques du Canada parviennent à réduire les émissions, mais les efforts déployés à ce jour ne permettent pas au pays d’atteindre l’objectif de réduction des émissions fixé par la législation à l’horizon de 2030, à savoir une réduction de 40 à 45 % par rapport aux niveaux de 2005. Nos travaux passés ont révélé que l’ensemble des politiques actuelles du Canada peut diminuer les émissions de 34 à 36 % par rapport aux niveaux de 2005, à condition que les politiques proposées soient intégralement mises en œuvre. Les projections d’Environnement et Changement climatique Canada ont également conclu que les politiques décrites dans le Rapport d’étape sur le Plan fédéral de réduction des émissions ne permettaient pas d’atteindre l’objectif du Canada pour 2030.

Pour combler cette lacune, le Groupe consultatif pour la carboneutralité (GCPC) a demandé à l’Institut de se pencher sur des mesures politiques qui pourraient mettre le Canada sur la bonne voie au regard de son objectif de 2030 et contribuer à étayer les recommandations qu’il adressera au gouvernement fédéral. Nous avons travaillé avec Navius Research pour quantifier les options politiques renforcées et supplémentaires qui permettraient d’aller au-delà de l’ensemble des politiques actuelles de manière à réaliser l’objectif d’émissions du Canada pour 2030 (voir notre annexe technique pour un complément d’information).

Comment le pays peut-il atteindre cet objectif? Nous avons recensé trois moyens de réduire considérablement les émissions et de mettre le Canada sur les rails de son objectif à l’horizon de 2030. Par ordre de priorité, ces mesures sont les suivantes : donner suite aux politiques toujours en cours d’élaboration, renforcer certaines mesures et ajouter (judicieusement) quelques nouvelles actions ciblées.

Quelles politiques climatiques sont à même de contribuer au rattrapage de l’écart par rapport à 2030?

Nous avons évalué quantitativement et qualitativement une série d’actions susceptibles de combler l’écart par rapport à l’objectif du Canada pour 2030. Nous avons préparé des scénarios à la fois pour déterminer où de nouvelles réductions d’émissions pourraient être obtenues d’ici à 2030 et pour définir les ensembles de mesures qui permettraient de les concrétiser.

Nous avons d’abord modélisé un scénario conçu pour atteindre l’objectif de 2030 au plus bas coût afin de recenser les éventuelles possibilités dans les différents secteurs. Nous avons ensuite modélisé cinq scénarios d’ensemble de politiques pour vérifier si des options politiques renforcées et nouvelles pouvaient débloquer ces possibilités et mettre le Canada sur la voie de son objectif de 2030. Trois des cinq scénarios répondent à l’objectif du Canada pour 2030.

Nous avons ensuite évalué les options politiques sur la base de critères multiples et établi un ensemble de priorités politiques qui ont permis au GCPC de conseiller le ministre de l’Environnement et du Changement climatique. Notre annexe technique présente des précisions sur les politiques évaluées et sur les réductions obtenues grâce à chaque scénario.

Comme illustré à la figure 1, les politiques décrites dans le Rapport d’étape 2023 sur le Plan de réduction des émissions pour 2030 sont à l’origine de la majorité des réductions, soulignant ainsi l’importance du suivi des politiques actuelles et de la mise en œuvre des politiques proposées (colonne bleue). Le renforcement de certaines de ces politiques (colonne verte) peut accélérer considérablement les progrès, ce qui laisse un ensemble relativement restreint de réductions requises par des actions supplémentaires (colonne jaune). Chacune de ces étapes est décrite avec plus de précisions ci-dessous.

Première étape : Donner suite aux politiques en cours d’élaboration

Parmi les politiques actuelles et proposées, celles qui sont toujours en cours d’élaboration représentent environ 25 % des réductions de cette étape, principalement issues des secteurs pétroliers et gaziers en amont. Pour parvenir à ces réductions, le gouvernement fédéral devrait rapidement mettre en œuvre le plafond d’émissions proposé pour le pétrole et le gaz de même que les modifications apportées aux Règlements, et ce, en vue de réduire de 75 % le méthane provenant du pétrole et du gaz en amont, notamment par le biais d’accords avec les provinces en matière d’équivalence. Bien que les autres politiques proposées jouent un rôle moins déterminant pour 2030 – notamment le Règlement sur l’électricité propre, les normes d’émissions des véhicules moyens et lourds et les règlements sur le méthane des sites d’enfouissement – elles sont néanmoins indispensables aux réductions d’émissions à plus long terme, soit 2035 et les années qui suivront.

Comme nous l’avons noté dans une précédente analyse, il ne fait aucun doute que les politiques actuelles fonctionnent; d’ici 2030, ces mesures représenteront les trois quarts des réductions de la première étape. Les systèmes de négociation des grands émetteurs (SNGE) couvrant les secteurs du pétrole et du gaz, de l’électricité et de l’industrie lourde constituent les principaux facteurs de réduction. Les politiques en vigueur dans le domaine des transports individuels, notamment la taxe fédérale sur les carburants et les règlements sur les émissions, contribuent en outre à la réduction des émissions. L’affaiblissement des politiques actuelles ou un retour en arrière compromettrait les progrès accomplis et creuserait l’écart avec les objectifs de réduction des émissions du Canada.

Deuxième étape : Renforcer les politiques en place

Deuxièmement, les gouvernements disposent d’une marge de manœuvre pour renforcer les politiques existantes et proposées afin d’aider le Canada à avancer dans la bonne direction. Cette étape correspond à la deuxième source de réduction d’émissions la plus importante de notre analyse (figure 1).

Les secteurs pétrolier et gazier en amont et les secteurs de l’électricité et de l’industrie lourde sont à l’origine d’environ la moitié des réductions de cette deuxième étape. Les gouvernements pourraient renforcer les critères de référence du SNGE couvrant ces secteurs, élargir le champ d’application et consolider le plafond d’émissions annoncé pour le pétrole et le gaz, tout en rendant plus strict le règlement sur le méthane pour le pétrole et le gaz en amont. Notre analyse précédente a mis en évidence les interactions possibles entre ces politiques (et d’autres) dans le cadre du bouquet stratégique actuel du Canada, ce qui peut entraîner une surabondance de crédits sur les marchés du SNGE, faisant ainsi baisser les prix des crédits et réduisant les mesures incitatives pour les installations à décarboner. Le renforcement des critères de référence pour les performances du SNGE est l’une des approches permettant d’éviter ce risque. La multiplication des contrats sur différence appliqués au carbone (CCfD) pourrait également aider à signaler aux investisseurs et aux entreprises que la tarification du SNGE est là pour durer, ce qui pourrait encourager les investissements en capitaux nécessaires à la réduction des émissions de carbone.

Le secteur du transport de marchandises contribue grandement aux émissions du Canada, mais les politiques actuelles ont une incidence relativement faible d’ici à 2030. Notre analyse a révélé des réductions supplémentaires éventuelles dans ce secteur, en grande partie grâce à la transition vers les biocarburants, ainsi qu’à de légères augmentations de la consommation d’hydrogène et d’électricité. Le renforcement du règlement sur les carburants propres et des règlements sur les émissions pour les véhicules moyens et lourds pourrait permettre d’obtenir ces réductions supplémentaires. Le renforcement du règlement sur les carburants propres favorise en outre des réductions accrues dans le secteur des transports individuels.

Troisième étape : Ajouter de nouvelles actions en faveur du climat

Si la mise en œuvre et le renforcement des politiques actuelles et proposées peuvent permettre au Canada de se rapprocher de l’objectif de 2030, il faudra peut-être prévoir des actions ultérieures pour atteindre les objectifs du Canada en matière de climat. L’élaboration et la mise en œuvre de nouvelles politiques d’ici à 2030 présentent des défis pratiques; toutefois, la mise en œuvre minutieuse d’un certain nombre de nouvelles actions ciblées pourrait venir en complément des politiques existantes.

Dans le secteur du bâtiment, les politiques actuelles, y compris la Stratégie canadienne pour les bâtiments verts récemment publiée, laissent de nombreuses réductions rentables sur la table. Pour progresser dans ce secteur, nous avons relevé la possibilité d’adopter des règlements exigeant que tous les systèmes de chauffage neufs et de remplacement ne produisent pas d’émissions au cours de la présente décennie. Les gouvernements provinciaux peuvent aussi jouer un rôle de premier plan dans la réduction des émissions dans ce secteur — en fait, la Colombie-Britannique a déjà mis en place une disposition de ce type.

Pour réduire davantage les émissions dans le secteur de l’industrie légère, les gouvernements pourraient instaurer des obligations d’efficacité pour le chauffage industriel à basse température, en vertu desquelles les fabricants seraient tenus d’adopter des équipements conformes aux normes d’émission, notamment des pompes à chaleur ou l’utilisation de la chaleur résiduelle, lors de l’achat de nouveaux équipements.

Les réductions résultant d’actions supplémentaires mentionnées à la figure 1 comprennent également les contributions de la comptabilisation de l’utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie, des solutions climatiques fondées sur la nature et des sols agricoles, comme cela est indiqué dans le Rapport d’étape sur le Plan de réduction des émissions. Le gouvernement fédéral pourrait continuer à mettre au point et à étoffer les solutions climatiques fondées sur la nature afin de saisir ces réductions.

Il se peut aussi que les résultats d’atténuation transférés de façon crédible à l’échelle internationale aient un rôle limité pour respecter les engagements du Canada en matière de climat, bien que nous ne les ayons pas évalués dans le cadre de cette analyse.

Les gouvernements doivent agir maintenant pour intensifier les réductions d’émissions

Si la mise en œuvre de ces trois étapes peut permettre au Canada d’atteindre son objectif climatique pour 2030 et de s’engager sur la voie de la carboneutralité, cette perspective d’avenir n’est pas acquise. Notre modélisation indique que les gouvernements peuvent agir pour réduire fortement les émissions dans un avenir proche, mais ces actions nécessiteront des politiques strictes allant au-delà de ce qui est aujourd’hui en place ou proposé. L’attention portée à la mise en œuvre sera cruciale pour garantir que les décideurs politiques puissent minimiser tout effet économique négatif éventuel pour les ménages ou l’industrie et maximiser l’efficacité de la politique.

Cependant, le plus grand risque pour la réalisation des objectifs climatiques du pays est le retard. Le Canada fait des progrès en matière de réduction des émissions, mais le rythme et l’ampleur des réductions doivent s’accélérer. Notre analyse montre que c’est techniquement réalisable, mais que cela se produira dans la pratique en fonction de la rapidité et de l’efficacité avec lesquelles les gouvernements mettront en œuvre des politiques à la hauteur de leurs ambitions en matière de climat.


Alison Bailie est associée principale de recherche à l’Institut climatique du Canada, Dave Sawyer est l’économiste principal de l’Institut climatique du Canada, Brad Griffin est un conseiller de 440 Megatonnes et le directeur du Centre canadien de données sur l’énergie et les émissions de l’Université Simon Fraser. Anna Kanduth est la directrice du projet 440 Megatonnes, à l’Institut climatique du Canada.

Les données sont fournies par Navius Research.