Deux tiers des grandes entreprises du Canada ont maintenu leurs objectifs de carboneutralité en 2024, mais la couverture des émissions de portée 3 demeure un enjeu.
Les mesures climatiques prises par les entreprises du Canada ont fluctué au cours de la dernière année. Interruption de l’élaboration de règles de divulgation climatiques, abandon des initiatives mondiales de carboneutralité par les grandes banques canadiennes, résistance des États-Unis face à l’action climatique : à première vue, l’ambition climatique semble s’essouffler.
Toutefois, malgré ce que suggèrent les manchettes, les grandes entreprises canadiennes visent encore discrètement la carboneutralité, du moins par leurs principes. En effet, deux tiers des 60 plus grandes entreprises cotées à la Bourse de Toronto (le TSX 60) ont maintenu leurs cibles de carboneutralité en 2024-2025, une légère baisse de cinq points de pourcentage par rapport à 2023.
La dernière mise à jour de la Boussole des engagements climatiques des entreprises de 440 mégatonnes est maintenant en ligne. Elle révèle que la plupart des grandes entreprises canadiennes demeurent résolues à atteindre leurs cibles de carboneutralité. Cependant, comme l’analyse le souligne, la prochaine étape pour plusieurs entreprises sera de fournir le détail des moyens par lesquels elles comptent atteindre ces cibles.
Malgré les défis, les engagements climatiques des entreprises canadiennes demeurent fermes
L’analyse des engagements climatiques des entreprises révèle les émissions qu’elles visent à réduire. Ces détails permettent d’accroître leur responsabilisation et leur transparence, et témoignent de la crédibilité de leurs promesses.
La Boussole des engagements climatiques des entreprises permet de suivre les engagements climatiques et les progrès de réduction des émissions des 60 plus grandes entreprises cotées à la Bourse de Toronto (TSX). Selon les derniers rapports publics de ces entreprises, 63 % d’entre elles maintiennent leurs cibles de carboneutralité, du moins pour leurs émissions de portée 1, soit celles émises directement par leurs activités (figure 1). Nos données sont fondées sur les derniers rapports publiés en date d’août de cette année.
Le nombre d’entreprises affichant des engagements liés à la carboneutralité a connu une légère baisse par rapport à l’année précédente. Cette baisse est principalement due à une réduction des cibles d’émissions fixées par les producteurs de sables bitumineux.
L’adoption du projet de loi C-59 a permis au gouvernement fédéral de modifier la Loi sur la concurrence et d’obliger les entreprises d’appuyer leurs déclarations environnementales par des « épreuves suffisantes et appropriées ». Cette modification entraîne des risques juridiques supplémentaires, tant réels que perçus, puisque les entreprises peuvent désormais être poursuivies pour des déclarations environnementales trompeuses.
Figure 1
À noter que quelques entreprises ont éprouvé des difficultés à atteindre leurs cibles initiales à court terme cette année. Quatre d’entre elles ont abaissé leurs cibles ou ont abandonné certains objectifs sectoriels pour les émissions financées. En revanche, quatre autres entreprises ont augmenté leurs cibles de réduction. Elles ont notamment établi de nouveaux objectifs pour les émissions des secteurs de l’agriculture, de la forêt et des terres, ainsi que pour les émissions de portée 3.
Les entreprises canadiennes ont progressé dans la divulgation de leurs émissions, mais elles doivent élargir leur portée
Il y a plus de deux ans, nous avons publié une analyse révélant des lacunes dans la déclaration des émissions substantielles du TSX 60. Depuis, plusieurs entreprises ont commencé à divulguer l’ensemble de leur empreinte carbone, ce qui est un signe encourageant de progrès. En effet, plus une entreprise prend conscience de son empreinte carbone, plus elle est en mesure de saisir des occasions de réduire ses émissions.
La plupart des entreprises établissent des cibles pour leurs émissions de portée 1 et 2, qui comprennent celles liées à la consommation d’électricité, de chauffage ou d’hydrogène (figure 2). Les cibles relatives aux émissions de portée 1 et 2 sont souvent plus faciles à établir et à atteindre. Il s’agit des émissions directes émanant de sources détenues ou contrôlées par l’entreprise, ainsi que des émissions indirectes découlant de la production d’énergie achetée. Les entreprises ont déjà fait des progrès considérables dans ces domaines. Des solutions pour ces émissions contrôlables deviennent de plus en plus accessibles, comme l’énergie renouvelable plus abordable, le biodiesel, les véhicules électriques, l’éclairage à DEL et les thermopompes.
En ce qui concerne les émissions substantielles de portée 3, c’est-à-dire les émissions indirectes en amont et en aval, comme celles émises par leurs fournisseurs ou leurs investissements, il est encore difficile pour les entreprises canadiennes de couvrir l’ensemble de leurs émissions. Seulement 23 % d’entre elles ont établi des cibles pour couvrir leurs principales sources d’émissions de portée 3.
Figure 2
L’un des défis de l’élaboration des objectifs de réduction des émissions de portée 3, c’est le manque de contrôle de l’entreprise sur ces émissions. Par conséquent, il est souvent plus difficile de garantir une réduction de ces émissions. Il serait préférable d’adopter une approche plus collaborative pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de portée 3, par exemple en travaillant avec les entreprises tout au long de leur chaîne d’approvisionnement, en s’approvisionnant auprès de fournisseurs qui ont leurs propres cibles, plutôt qu’en se concentrant explicitement sur la réduction des émissions.
Les entreprises canadiennes doivent établir des plans crédibles pour atteindre leurs cibles et réduire les risques liés à la transition
Malgré tout, les statistiques révèlent des avancées. Certaines entreprises ont accru leurs cibles à court terme en fonction des améliorations révélées par leurs propres données, tandis que 7 % d’entre elles ont accru leurs ambitions et leur couverture.
Cependant, il y a encore beaucoup de travail à faire. Nombre d’entreprises n’ont pas encore fixé d’objectifs pour une grande partie de leurs opérations, notamment en ce qui concerne les émissions de portée 3. Cela peut nuire à la crédibilité de leurs engagements liés à la carboneutralité.
Comme nous l’avons déjà lu dans 440 mégatonnes, les engagements liés à la carboneutralité ne sont pas suffisants à eux seuls : les entreprises doivent agir en élaborant des plans de transition crédibles. Selon un récent rapport de Parcours des entreprises de demain, les entreprises canadiennes sont en retard par rapport à leurs homologues étrangères quant à l’adoption de mesures concrètes pour réduire les risques associés à la transition. Alors que de plus en plus d’entreprises fixent des objectifs précis de carboneutralité, il est crucial de savoir comment elles comptent les atteindre afin d’accroître leur crédibilité et leur transparence. Il est encourageant de constater que la plupart des entreprises n’ont pas abandonné leurs objectifs de carboneutralité. Cependant, il est maintenant temps qu’elles démontrent comment elles comptent respecter leurs promesses.
Arthur Zhang est associé de recherche principal à l’Institut climatique du Canada.