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Crédit d'image : Des gens observent l'incendie de forêt de Dryden Creek depuis un pont piétonnier à Squamish, en Colombie-Britannique, le mardi 10 juin 2025. THE CANADIAN PRESS/ Tijana Martin

Les effets des feux de forêt sur le progrès climatique du Canada

En quelques mots, les feux de forêt soulignent l’importance de la réduction des émissions.

La population canadienne ne le sait que trop bien : le retour du printemps et de l’été marque également celui de la saison des feux incontrôlés. Cette année, des feux dévastateurs ont déjà touché des collectivités aux quatre coins du pays, y compris dans les Prairies, en Colombie-Britannique, dans l’Est de l’Ontario et dans les territoires. La fumée de ces incendies a détérioré la qualité de l’air dans de nombreuses villes du Canada ainsi que dans le Midwest et le nord-est des États-Unis. On nous a avertis : la saison 2025 est en passe de finir au deuxième rang des pires années jamais enregistrées en termes de zones brûlées.

Les feux incontrôlés sont à la fois un symptôme et un amplificateur des changements climatiques. D’un côté, ils en découlent indirectement, en raison des conditions de plus en plus sèches et chaudes qui les font gagner en probabilité et en intensité. De l’autre côté, ils accélèrent le phénomène en émettant énormément de carbone.

La mesure de ces émissions peut être complexe, mais la présente analyse examine plus en détail la manière dont le Canada les comptabilise, ainsi que les répercussions des feux sur le progrès climatique du pays.

Les émissions des feux incontrôlés au Canada sont très variables, et ont atteint un pic important en 2023

Chaque année, le Rapport d’inventaire national sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) du Canada contient une entrée sur le dioxyde de carbone émis par les feux de forêt. Ces émissions sont surveillées, mais ne sont pas prises en compte dans le bilan officiel des émissions nationales.

Comme le montre la figure 1, malgré leur grande fluctuation, les chiffres peuvent être énormes.

Les feux incontrôlés de 2023 dans les forêts canadiennes en sont l’exemple le plus marquant. Selon le dernier Rapport d’inventaire national, ils ont produit près d’une gigatonne, soit un milliard de tonnes, de dioxyde de carbone. Ce montant gigantesque dépasse de loin les émissions totales de toutes autres sources confondues au Canada la même année. Si les feux incontrôlés canadiens étaient un pays, ils auraient été le huitième plus grand émetteur au monde en 2023.

Figure 1

Le Canada tient compte des émissions des feux incontrôlés, mais seulement pour les forêts aménagées

Les données sur les émissions des feux de forêt de 2023 au Canada sont d’autant plus inquiétantes puisqu’elles sont incomplètes. Bien qu’elles ne soient pas inexactes, elles ont des angles morts.

Il existe deux grandes catégories d’émissions de feux incontrôlés qui échappent au compte du Canada.

Premièrement, les calculs des émissions causées par les feux incontrôlés au Canada ne reflètent que les répercussions sur les forêts. D’autres espaces brûlent également, comme les prairies ou les milieux humides, mais ces incendies ne sont pour l’instant pas pris en compte. Certains de ces environnements, comme les tourbières, sont reconnus comme regorgeant de carbone. Les feux relâchent probablement du carbone dans certaines de ces zones, mais ces émissions ne sont pas calculées dans l’inventaire du pays.

La seconde catégorie d’émissions non comptabilisées est plus abstraite : les émissions provenant de ce qu’on appelle des territoires non aménagés. La raison? Les règlements de comptabilisation internationaux qui s’appliquent aux émissions provenant des forêts et d’autres milieux. Ces émissions entrent dans une catégorie attribuée à l’affectation des terres, au changement d’affectation des terres et à la foresterie (ATCATF). Les pays sont seulement tenus de déclarer les émissions du secteur de l’ATCATF provenant des terres aménagées, c’est-à-dire des zones où l’humain est intervenu directement, notamment pour l’agriculture ou les parcs (ou la suppression des feux).

Chaque pays dispose d’une certaine latitude quant à la définition des forêts aménagées, et au Canada, plus de 30 % des terres forestières sont considérées comme non aménagées. Il n’existe actuellement aucun moyen formel de mesurer le carbone stocké ou émis sur ce territoire.

Tout cela signifie qu’ailleurs au Canada, des émissions de feux incontrôlés échappent aux estimations. Il existe des arguments en faveur de la comptabilisation des émissions d’autres gaz, d’autres milieux et de forêts non aménagées, qui servirait notamment à comprendre les répercussions des feux sur les paysages naturels du Canada et de ces émissions sur l’atmosphère.

Mais même si le Canada calculait ces émissions, aucune d’entre elles ne figurerait dans le bilan du pays.

Il y a des raisons pour lesquelles les émissions des feux incontrôlés ne sont pas prises en compte dans le total officiel

Dans son rapport officiel sur les GES, le Canada consigne consciencieusement les émissions du secteur de l’ATCATF, mais les exclut des émissions totales du pays. Et il n’est pas le seul à le faire; il suit les directives internationales pour ces inventaires.

L’exclusion des émissions de l’ATCATF s’explique en partie par le fait qu’elles ont souvent des origines qui échappent en grande partie au contrôle direct de l’humain, comme les feux de forêt et les infestations d’insectes. Les émissions du secteur de l’ATCATF sont également plus difficiles à calculer que les émissions provenant d’autres sources, comme les véhicules ou le secteur industriel. Qui plus est, ces émissions varient tellement qu’elles pourraient éclipser d’autres tendances de l’inventaire sur lesquelles les pays ont plus de contrôle direct.

Cette manière de répertorier les émissions peut sembler étrange, étant donné que les feux de forêt peuvent décupler la gravité du réchauffement climatique, mais son raisonnement est fondé sur la clarté et la responsabilité. Le système mondial de comptabilisation des émissions attire l’attention des pays sur les émissions qui peuvent être calculées avec le plus de précision et qui peuvent plus facilement être contrôlées par des mesures nationales (certaines personnes critiquent également la façon dont le Canada comptabilise les émissions qu’il prend bel et bien en compte, mais les calculs en eux-mêmes sont généralement considérées comme raisonnables).

Les grands feux de forêt soulignent l’importance de la réduction d’émissions, et non le contraire

Qu’est-ce que tout cela signifie pour le progrès climatique du Canada?

Il est évident que les feux incontrôlés sont préoccupants pour la population canadienne ainsi que pour le climat. Et tout comme la hausse des températures aggrave les feux, ces derniers aggravent à leur tour les changements climatiques.

Il est évident que des mesures d’adaptation, y compris des programmes de gestion des forêts qui visent à lutter contre la propagation des feux et de nouvelles politiques qui réduisent les risques pour les collectivités, sont nécessaires.

Mais l’adaptation seule ne résout pas le problème plus grave, soit celui des émissions des forêts qui brûleront quoi qu’il arrive. S’il n’est pas facile de s’attaquer à ces émissions, que peut-on faire? L’ampleur de la menace ne laisse qu’une option possible : les sociétés doivent réduire les émissions qu’elles peuvent contrôler.

C’est précisément parce que certaines émissions ne peuvent pas être facilement évitées que nous devons nous attaquer aux émissions dans notre zone de pouvoir. L’atténuation du changement climatique n’arrêtera pas tous les feux de forêt, mais elle peut ralentir leur progression et mettre des limites à un problème qui, s’il n’est pas maîtrisé, ne cessera de croître. Chaque gramme de carbone retiré de l’atmosphère compense chaque gramme émis. Toute forme d’atténuation en vaut la peine.

La leçon à tirer des feux de forêt au Canada n’est pas que nos efforts ont peu d’utilité, mais qu’ils sont plus nécessaires que jamais.

Cette analyse a été modifiée le 30 juin 2025. Alors que la publication originale indiquait que le Canada n’estime que les émissions de dioxyde de carbone dues aux incendies de forêt, le pays estime également les émissions de méthane et d’oxyde nitreux dues à ces événements.


Ross Linden-Fraser est chargé de recherche à l’Institut climatique du Canada.