La grande majorité des foyers canadiens sont équipés de compteurs intelligents, ce qui permet déjà à un tiers des provinces et territoires canadiens de mettre en œuvre des mesures d’incitation à la flexibilité de la demande, mais il demeure des différences régionales.
Pour créer un réseau électrique carboneutre au Canada, il ne suffit pas de produire plus d’électricité propre, il faut repenser la manière dont nous consommons l’électricité, et surtout, le moment où nous le faisons.
Pour y arriver, il faut augmenter la flexibilité du réseau électrique canadien en déplaçant autant que possible la consommation hors des périodes de pointe et en outillant les clients à prendre des décisions mieux adaptées à cet égard. Les compteurs intelligents ont un rôle déterminant dans l’atteinte de cet objectif : ils établissent une communication bilatérale entre les services publics et les clients et fournissent aux deux parties des données en temps réel sur les habitudes de consommation d’énergie. Qui plus est, ils permettent aux services publics de tarifer l’électricité de sorte à inciter les gens à déplacer leur consommation hors des pointes énergétiques.
Cette analyse s’intéresse aux progrès dans le déploiement des compteurs intelligents au Canada, commencée il y a plus de 20 ans, mais encore inégale. Nous risquons donc de passer à côté d’avantages importants, d’autant plus que l’électrification des résidences est plus rapide que jamais.
Que sont les compteurs intelligents?
Les compteurs intelligents sont des dispositifs qui mesurent et consignent automatiquement la consommation d’énergie en temps réel ou quasi réel. Ces appareils succèdent aux compteurs analogues traditionnels, qui nécessitent une collecte mensuelle ou bimensuelle des données sur place. À bien des égards, l’adoption des compteurs intelligents est une première étape pour améliorer la flexibilité du réseau électrique.
Le passage aux compteurs intelligents comporte des avantages administratifs immédiats. Comme les données sont enregistrées de manière électronique, ces compteurs réduisent les dépenses liées à la lecture manuelle des appareils et abaissent les frais administratifs et de facturation. Grâce à la collecte en temps réel des données, la facturation est plus juste et les clients peuvent mieux comprendre leur consommation d’énergie, et donc choisir de meilleures pratiques d’économie. Les compteurs intelligents permettent aussi aux clients qui produisent de l’énergie solaire de vendre de l’électricité au réseau (prise en compte dans la facturation nette), ce qui rend le réseau électrique plus réactif à d’autres sources d’électricité.
Par-dessus tout, les compteurs intelligents indiquent aux services publics la quantité exacte d’énergie consommée par un client et le moment de la consommation. Tout un éventail d’outils qui influencent les choix des clients en matière de consommation d’électricité deviennent alors possibles, comme la tarification selon l’heure de consommation et des incitatifs de réduction de la consommation en période de pointe, comme le programme Peak Saver de la Colombie-Britannique. La tarification dynamique consiste à faire varier le prix selon la demande énergétique. Les clients déplacent alors une partie de leur consommation d’électricité hors des périodes de pointe – alors que les tarifs sont élevés – pour profiter d’un tarif plus bas. Ainsi, tout le monde y gagne : les ménages qui utilisent l’électricité hors des périodes de pointe paient moins cher, tandis que les services publics peuvent économiser en équilibrant la charge du réseau et optimiser leurs ressources tout en reportant d’importants investissements dans les technologies de gestion des pointes énergétiques.
Cette stratégie rime aussi avec une réduction des émissions de carbone lorsque les services publics peuvent éviter le recours aux centrales de gaz de pointe.
Importants progrès dans l’adoption des compteurs intelligents au Canada
Le Canada a été l’un des premiers à adopter les compteurs intelligents. Des programmes de remplacement des compteurs analogues ont été mis sur pied dès le début des années 2000. À la fin de 2018, Ressources naturelles Canada estimait que 82 % des compteurs au Canada étaient des compteurs intelligents. La figure 1 présente l’adoption des compteurs intelligents dans les provinces et territoires du Canada.
Figure 1
Plusieurs provinces ont déjà complètement adopté les compteurs intelligents, notamment la Colombie-Britannique, le Québec, l’Ontario et, plus récemment, la Nouvelle-Écosse.
Le programme de compteurs intelligents de la Colombie-Britannique a été bouclé à la fin de 2015. Plus de 2 millions de compteurs ont été installés, et les coûts ont totalisé environ 150 millions de dollars de moins que le budget prévu. BC Hydro estime les économies à 235 millions de dollars dans les cinq premières années du programme.
La Nouvelle-Écosse a quant à elle récemment terminé le déploiement des compteurs intelligents chez plus de 500 000 clients et prévoit d’économiser environ 203 millions de dollars sur 20 ans, pour un coût d’installation maximal de 133 millions de dollars (ce qui inclut un fond d’urgence).
Le programme du Québec s’est aussi terminé en 2015, et en 2024-2025 seulement, plus de 400 000 ménages ont participé aux programmes de tarification dynamique, ce qui a permis de réduire la demande d’électricité de 530 MW par événement de pointe. C’est l’équivalent de l’électricité nécessaire pour alimenter 70 000 résidences.
Certaines de ces provinces ont aussi mis sur pied des programmes de gestion de la demande auprès des clients résidentiels. Ces programmes poussent les ménages à réduire leur consommation pendant les événements de pointe contre des incitatifs financiers.
D’autres provinces et territoires sont en mode rattrapage. Le Nouveau-Brunswick a commencé l’installation de compteurs intelligents en 2023 et en est à 61 % de sa clientèle. L’autorité de réglementation de l’Î.-P.-É. a approuvé le déploiement des compteurs intelligents par Maritime Electric en 2023. En Alberta, Fortis, qui est surtout présente dans les régions rurales hors d’Edmonton et de Calgary, compte installer 760 000 compteurs d’ici 2029, alors qu’en Saskatchewan, SaskPower avait terminé 24 % des installations en décembre 2024. Au Nunavut, la Société d’énergie Qulliq, en partenariat avec Ressources naturelles Canada, a installé 4000 compteurs à Iqaluit; il s’agit du premier programme d’installation de compteurs intelligents dans l’Arctique canadien.
Avec l’électrification des foyers, les compteurs intelligents gagneront en importance
Pour rendre le réseau électrique plus flexible, il faut d’abord atténuer les pointes énergétiques, résultat que promettent les compteurs intelligents, mais qui nécessite l’adoption, par les services publics, d’outils de gestion de la demande, comme la tarification dynamique. Une fois ces programmes en place, les consommateurs sont encouragés à modifier leur consommation de manière à éviter les pointes énergétiques.
Cet aspect prendra de l’importance avec l’électrification des foyers et la hausse de la demande en électricité. Selon les rapports Avenir énergétique du Canada, l’électricité devrait dominer la consommation d’énergie résidentielle d’ici 2050 (figure 2).
Figure 2
Cette hausse de la demande en électricité viendra surtout du passage des combustibles fossiles à l’électricité dans les technologies, comme pour les voitures et le chauffage électriques. On constate déjà un intérêt pour une meilleure consommation d’électricité. De nombreux clients ontariens, par exemple, se voient offrir le choix entre des tarifs selon l’heure de consommation ou des tarifs d’électricité de nuit très bas, adoptés en 2023, qui proposent un tarif de nuit de 2,8 ¢/kWh en échange d’un tarif plus élevé lors des pointes, soit 28,4 ¢/kWh. BC Hydro donne aussi à ses clients l’option de tarifs selon l’heure de consommation pour les compteurs de voitures électriques seulement, ce qui donne une certaine flexibilité aux clients qui ne souhaitent pas appliquer la tarification dynamique à leur compteur domiciliaire. Ces tarifs sont spécialement adaptés pour les ménages qui ont une voiture électrique ou des technologies plus flexibles, comme des batteries de stockage.
Alors que le Canada développe des réseaux électriques plus grands, plus propres et plus intelligents, les avantages des mesures de flexibilité, comme les compteurs intelligents et la tarification dynamique, deviendront plus marqués pour les services publics et leurs clients. Leur réussite dépend des autorités de réglementation : celles-ci doivent autoriser les services publics à créer et à déployer d’excellents outils que les consommateurs voudront utiliser.
Arthur Zhang est associé principal de recherche à l’Institut climatique du Canada. Alexander Vanderhoof était associé de recherche, Atténuation, à l’Institut climatique du Canada.