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Comprendre les estimations préliminaires des émissions nationales

Par Seton Stiebert

Introduction

L’inventaire des émissions de gaz à effet de serre (GES) du Canada est habituellement publié en avril par Environnement et Changement climatique Canada (ECCC, 2023), soit 16 mois après la collecte de données. Ainsi, les chiffres d’avril 2023 portent sur l’année civile qui se termine en décembre 2021. Autrement dit, juste avant la publication du Rapport d’inventaire national (RIN) d’avril 2024, les dernières données complètes sur les émissions nationales de GES remonteront à 28 mois.

Ce décalage est compréhensible : ECCC doit recueillir une très grande quantité de données de départ issues de sources disparates, puis conduire une analyse complète en respectant des méthodes strictes, l’assurance de la qualité et des processus de révision fédéraux, provinciaux et territoriaux. Simultanément, le ministère fournit aussi des projections annuelles des émissions jusqu’en 2030 qui tiennent compte des politiques existantes et prévues.

Ces projections sont fondées sur le modèle d’ECCC, à savoir le modèle énergie émissions économie du Canada, et publiées dans le but de suivre la progression du Canada dans l’atteinte de son objectif climatique pour 2030 et de montrer l’incidence des politiques climatiques canadiennes (ECCC, 2023).  

À l’opposé, les estimations préliminaires des émissions nationales du projet 440 mégatonnes ont pour objectif de générer des prévisions à court terme plutôt que d’évaluer les effets à long terme des politiques. Ici, les estimations ne sont pas prospectives – elles utilisent les données sur l’activité collectées pour 2021 (c.-à-d., la production industrielle en unités physiques, le produit intérieur brut [PIB] ou les changements démographiques entre 2020 et 2021) pour comprendre comment les émissions peuvent évoluer en parallèle avec les tendances historiques de divers facteurs de décarbonisation (p. ex., l’efficacité énergétique, le remplacement des combustibles et d’autres mesures qui réduisent l’intensité des GES par unité de production).

L’intérêt des estimations préliminaires non officielles est de donner aux décideurs et aux parties prenantes une indication préalable leur permettant de déterminer si les changements dans l’activité et les tendances actuelles de réduction des émissions s’arriment avec les objectifs à long terme. Ces estimations peuvent bonifier la prise de décisions en accélérant la publication des données sur les émissions et la réaction à ces renseignements. Elles peuvent aussi être utiles pour mesurer l’effet des perturbations de l’économie ou de la production nationale (p. ex., une pandémie mondiale) sur les émissions. Par exemple, la récente pandémie de COVID-19 a fait chuter le PIB de près de 5 % et l’activité dans certains secteurs comme le transport de passagers, de plus de 10 %.

Une grande partie des données publiées par Statistique Canada et d’autres organismes sur la production, la demande et l’activité démographique qui influencent les émissions présentent habituellement un décalage bien plus court de seulement quelques mois. Il est possible de collecter et d’analyser ces données pour estimer les changements récents dans l’intensité des émissions de différentes catégories et réduire ainsi le décalage à aussi peu que huit mois. Bien que ces estimations ne remplacent pas les analyses ascendantes rigoureuses du RIN, elles rendent bien compte de l’activité d’un secteur, qui serait le principal facteur d’émissions dans la plupart des catégories.

La section suivante résume la méthodologie et les données utilisées pour élaborer les estimations préliminaires des émissions nationales de GES, qui sont classées par secteurs économiques ainsi que par catégories d’émissions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Méthode d’estimation des émissions de GES pour 2022

Les estimations préliminaires des émissions de GES pour chaque catégorie du RIN sont générées à partir de données économiques ou sur l’activité publiées avec un décalage de moins de huit mois, tout en tenant compte des tendances historiques d’efficacité énergétique et de décarbonisation. Elles sont préparées en respectant l’arrimage du RIN aussi bien pour les secteurs économiques que pour les ceux du GIEC.

Les émissions de 2022 pour chaque catégorie sont calculées en multipliant l’intensité de l’efficacité énergétique, l’intensité de la décarbonisation et les données sur l’activité publiées :

Émissions 2022 catégorie = Intensité de l'efficacité énergétique x décarbonisation x Activité
Émissions 2022 (tCO2e)=(CJ/Unité d'activité (ex.,PIB $))x(tCO2e/GJ)x(Activité (ex., PIB $))

Pour les émissions qui ne proviennent pas de l’énergie, on omet le terme d’efficacité énergétique et on exprime simplement l’intensité de décarbonisation par unité d’activité.

Pour obtenir l’intensité d’efficacité énergétique et l’intensité de décarbonisation, il faut une projection pour 2021 fondée sur l’évolution des relations historiques depuis 2005. Pour les émissions de source énergétique qui comptent pour environ 80 % de l’inventaire total des émissions, nous prenons en considération :

  1. le taux annuel de décarbonisation de l’énergie ou la variation des émissions de GES par unité d’énergie de 2005 à 2021;
  2. le taux annuel d’efficacité énergétique ou la variation de l’énergie par unité d’activité de 2005 à 2021.

Pour les émissions qui ne sont pas liées à l’énergie et représentent environ 20 % de l’inventaire total (émissions issues des procédés industriels, de l’agriculture et des déchets), nous prenons en considération :

  1. le taux annuel de décarbonisation ou la variation des émissions de GES par unité d’activité de 2005 à 2021.

Pour estimer une valeur pour 2022, on utilise une moyenne pondérée de la variation historique de l’efficacité énergétique et de la décarbonisation. Bien que la pondération tienne compte des tendances historiques depuis 2005, elle accorde une plus grande importance aux années récentes (c.-à-d., les variations des intensités annuelles de 2015 à 2021 sont plus fortement pondérées que celles de 2005 à 2015). De plus, lorsque la variation de l’activité des données pour 2021 s’écarte significativement de la moyenne historique (en raison de la COVID-19), on exclut la moyenne pondérée de la variation entre 2019 et 2021. Enfin, lorsque la variation de l’activité entre 2021 et 2022 dépasse considérablement la moyenne historique, la pondération des années qui ont également connu une activité considérablement plus élevée a été rehaussée. Ces rectifications de la pondération se sont avérées nécessaires pour tenir compte des réactions non linéaires dans les variations d’émissions attribuables à des changements importants dans l’activité.

Pour fixer les termes de l’activité, il a fallu collecter les données disponibles publiquement pour 2022 dans un laps de temps limité, à moins de huit mois de la fin de l’année civile 2021 (c.-à-d., le 31 août 2021). Ont été recueillies les données sur l’activité que nous considérons comme les plus pertinentes à la catégorie d’émissions du RIN. Une hiérarchie des types de données liées aux émissions à privilégier a été employée :

  1. Données sur la production physique (c.-à-d., unités physiques de production d’un secteur donné). Par exemple, la production totale de gaz naturel au Canada en m3 pour le secteur de la production et du traitement du gaz naturel en amont.
  2. Données économiques (c.-à-d., produit intérieur brut d’un secteur donné)
  3. Données démographiques (c.-à-d., croissance de la population et autres statistiques disponibles sur la demande par habitant)

Dans certains cas, la collecte de données sur l’activité pour l’année en question s’est avérée infructueuse. Pour pallier cette lacune, ce sont plutôt les relations historiques entre les émissions issues de l’activité qui ont été mesurées pour dégager les tendances historiques, méthode semblable à celle utilisée pour l’efficacité énergétique et la décarbonisation.

Une fois les estimations préliminaires des émissions nationales établies, une méthode de décomposition fondée sur l’équation de Kaya peut être utilisée pour analyser les principaux facteurs de hausses et de baisses pour toute catégorie d’émissions du RIN et pour toute période visée (Ang et coll., 2003; Mai, L. et coll. 2019). La méthode de décomposition permet de ventiler les variations des émissions de GES à l’aide d’une équation qui décompose les GES en indicateurs mesurables de l’activité ou de la production, de l’intensité de l’efficacité énergétique (par unité d’activité) et de l’intensité des émissions (émissions par unité d’énergie consommée). Cette méthode a été utilisée par de nombreuses instances pour suivre les progrès de la réduction des émissions de GES.

On peut exprimer l’identité de Kaya comme une équation qui lie les émissions de CO2 à l’énergie, la production, l’économie et la population :

C = (E/A)x(C/E)xA

Où:  

  • C = Émissions en équivalent CO2
  • E = Consommation d’énergie
  • A = Unité d’activité (p. ex., production physique ou PIB en $)

Sous forme d’addition, on peut exprimer la décomposition à trois facteurs de Kaya de la manière suivante :

∆C=(Cd+Cee+Ca)

Où:

  • ∆C= Variation des émissions entre la dernière année d’inventaire et l’année courante
  • CD = Variation des émissions issues de la décarbonisation
  • CEE = Variation des émissions issues de l’efficacité énergétique
  • CA = Variation des émissions découlant des effets de l’activité (p. ex., changement dans le volume de production ou dans l’activité économique)

Collecte de données

Le tableau 1 présente la source et la date de publication, de communication ou d’accès pour les différentes données sur l’activité et l’énergie utilisées dans le projet.

Table 1: Données sur l’activité et l’énergie qui ont servi à réaliser les estimations préliminaires

Type de donnéesDescription des donnéesSource des données
ActivitéProduction d’électricité du secteur public (GWh)Statistique Canada. Tableau : 25-10-0015-01 : Production de l’énergie électrique, production mensuelle selon le type d’électricité
Production de gaz naturel (Nm3)Statistique Canada. Tableau : 25-10-0055-01 : Approvisionnements et utilisations du gaz naturel, mensuel (données en milliers) (x 1 000)  
Production de pétrole classique (barils)Statistique Canada. Tableau : 25-10-0063-01 : Approvisionnement et utilisation du pétrole brut et équivalent
Production de bitume (barils)Statistique Canada. Tableau : 25-10-0063-01 : Approvisionnement et utilisation du pétrole brut et équivalent
Raffinage du pétrole (m3)Statistique Canada. Tableau 25-10-0063-01 : Approvisionnement et utilisation du pétrole brut et équivalent
Produit intérieur brut (PIB) par secteur du SCIAN (2012; million de dollars)Statistique Canada. Tableau 36-10-0434-01 : Produit intérieur brut (PIB) aux prix de base, par industries, mensuel (x 1 000 000)
Production sidérurgique (kilotonnes)WorldSteel Association. Synthèse du Steel Statistical Yearbook 2022
Production de ciment (kilotonnes)Base de données du CEEDC.
Kilomètres parcourus par les principaux types de véhicules(millions de km)Transport routier en kilomètres entre 2005 et 2021 selon l’ECCCCommunications personnelles. Inventaires des polluants et rapports sur les polluants de l’ECCC. 25 juillet 2023Prédictions de 2022 selon la croissance antérieure et des estimations de consommation de carburant pour le transport de 2022.
Élevage : bovins, veaux, porcs et moutons (nombre d’animaux produits et pesés)Statistique Canada. Tableau 32-10-0130-01, Tableau 32-10-0160-01, Tableau 32-10-0129-01. Nombre de bovins, porcs et moutons. Pondérés selon le nombre de bovins.
Production de charbon (tonnes)Statistique Canada. Tableau 25-10-0046-01 : Charbon, production et exportations, mensuel (x 1 000). Total de tous les types de charbon. 
Production d’engrais (tonnes de production)Statistique Canada. Tableau 32-10-0037-01 : Production d’engrais au Canada, selon le type de produit et la campagne de fertilisation (x 1 000). Somme en masse d’ammoniaque (NH3) (ammoniaque, urée, nitrate d’ammonium et urée, sulfate d’ammonium, nitrate d’ammonium).
Production de chaux et de gypse (tonnes)Statistique Canada. Tableau 16-10-0020-01 : Production et expéditions des minéraux non métalliques, mensuel. Chaux + 0,25 de la pondération du gypse
Population du CanadaStatistique Canada. Tableau 17-10-0005-01 : Estimations de la population au 1er juillet, par âge et sexe

Énergie
Écoulement d’énergie primaire et secondaire dans les principaux secteurs industriels et économiques (térajoules)Statistique Canada. Tableau : 25-10-0029-01 : Disponibilité et écoulement d’énergie primaire et secondaire en térajoules, annuel
Consommation d’énergie par secteur du SCIAN (en térajoules d’énergie fossile et en térajoules d’énergie renouvelable)Centre canadien de données sur l’énergie et les émissions (CEEDC). Base de données sur l’énergie et les émissions.

Références

Ang, B. W., Liu, F. L., et Chew, E. P. 2003. « Perfect decomposition techniques in energy and environmental analysis ». Energy Policy.31(14). 1561-1566. https://doi.org/10.1016/S0301-4215(02)00206-9

ECCC (Environnement et Changement climatique Canada). 2 022. « Rapport d’inventaire national 1990-2020 : Sources et puits de gaz à effet de serre au Canada ». Soumission du Canada à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. https://www.canada.ca/fr/environnement-changement-climatique/services/changements-climatiques/emissions-gaz-effet-serre/inventaire.html

ECCC (Environnement et Changement climatique Canada) (2020). 8e communication nationale sur les changements climatiques et cinquième rapport biennal du Canada sur les changements climatiques. Janvier 2023. https://unfccc.int/documents/624782

Mai, L., Ran, Q., et Wu, H. 2019. « A LMDI decomposition analysis of carbon dioxide emissions from the electric power sector in Northwest China ». Natural Resource Modeling. 33(4). e12284.